mercredi 19 septembre 2007 par Le Matin d'Abidjan

Le 19 septembre 2002. Cinq ans, jour pour jour que la Côte d'Ivoire s'est précipitamment réveillée au petit matin avec un visage des plus hideux. Victime d'une tentative de coup d'Etat qui a fini par se muer en une longue crise politique-armée. Cinq ans après, flash-back pour comprendre pourquoi et comment la Côte d'Ivoire a failli sombrer dans le chaos.

Octobre 2000. Après 30 années passées dans l'opposition, Laurent Gbagbo accède enfin au pouvoir. Fermant ainsi la parenthèse du coup d'Etat de décembre 1999 avec ses dix mois de gestion militaire. La Côte d'Ivoire renoue donc avec l'ère démocratique. Le programme de société du nouveau chef de l'Etat, c'est la ''Refondation''. Et l'un des points clés de ce programme est la relecture des relations franco-ivoiriennes. Ce qui se traduit par la diversification des partenaires économiques. Dès lors, certains marchés qui étaient jusque-là la chasse gardée de Paris sont désormais soumis à appel d'offre. Le chef de l'Etat va lui-même à la conquête de nouveaux partenaires extérieurs. Et plusieurs pays, notamment la Chine où Laurent Gbagbo effectue une visite historique, répondent à l'appel de pied d'Abidjan. Les voyants économiques sont même au vert. L'Elysée finit donc par se rendre compte qu'avec un tel interlocuteur à la tête de la Côte d'Ivoire, la vache à lait est en train de lui échapper. Surtout que bien que reçu en grandes pompes à l'Elysée, le nouveau président ivoirien refuse de se plier aux ordres de Paris et d'entrer dans le contexte de la Françafrique. Crime de lèse-majesté ! Le régime d'Abidjan est victime de tentatives de coups d'Etat. Il informe même Paris que " quelque chose se prépare contre la Côte d'Ivoire à partir du Burkina ". Mais le pays des hommes intègres réussit à détourner l'attention des autorités ivoiriennes en leur livrant Sia Popo, l'auteur du hold-up contre la BCEAO. Au plan de la politique interne, tout va pour le mieux. La tension politique qui était encore visiblement vive après les élections de 2000 a fini par baisser. A la ''rencontre des quatre grands'' regroupant Gbagbo, Ado, Bédié et Guéi à Yamoussoukro, chacun des ''grands'' prend l'engagement d'aider le président élu dans la gestion du pays. Ce qui aboutit à la formation le 5 Août 2002 du gouvernement de large ouverture composé des représentants de tous les partis significatifs dont le RDR d'Ado. Et c'est donc dans ce climat plus ou moins apaisé que dans la nuit du 18 au 19 septembre 2002, la Côte d'Ivoire est victime d'une attaque. Ce jeudi meurtrier fait 300 morts dont deux victimes de taille que sont : Emile Boga Doudou alors ministre de la Sécurité et de l'Intérieur et l'ex-président le Gal Robert Guéi. On parle d'une mutinerie de ''Zinzins' et Bafoué''. Les FDS réussissent le même jour à repousser les assaillants jusqu'aux portes de Bouaké. Laurent Gbagbo alors en visite officielle en Italie regagne précipitamment Abidjan, malgré l'exil doré que lui proposait l'Elysée, pour prendre les choses en main. Du fait des accords de défense et sécurité qui lient la France à la Côte d'Ivoire, il sollicite l'appui de Chirac pour repousser les assaillants qui ont désormais pris leurs quartiers à Bouaké. Paris déploie ses soldats. Mais, on finira par se rendre compte que les objectifs de Chirac sont différents de ceux de son homologue ivoirien. Prétextant en effet l'évacuation de leurs ressortissants de Bouaké, les militaires français vont imposer un ''temps mort'' pour, à la vérité, réorganiser les assaillants. Et c'est dans cette ambiance que la Cedeao réussit à arracher un cessez-le-feu aux belligérants. Peu après, sur initiative du président togolais, les deux parties se retrouvent à Lomé pour des négociations. Dans le même temps ce qui était présenté comme une mutinerie s'avère être en réalité une rébellion. Les négociations de Lomé échouent et tout le monde se retrouve à Linas Marcoussis à Paris. Comme une hydre, la rébellion présente désormais plusieurs têtes. La France monte désormais elle-même en première ligne. Chirac fait d'ailleurs du départ de Gbagbo une affaire personnelle. Et il ne s'en cache pas. Une vaste campagne médiatique est menée contre le régime d'Abidjan. Laurent Gbagbo est présenté aux yeux du monde comme un nationaliste sanguinaire. C'est l'homme à abattre. L'aile officielle de la rébellion conduite par Soro Guillaume est reçue dans certains palais européens pour ''casser du Gbagbo''. Les relais africains sont eux aussi mis à contribution. Chaque membre de la françafrique joue sa partition à fond. Les relais locaux regroupés au sein du G7 puis du RHDP y vont aussi à fond. La Côte d'Ivoire est présentée comme le pays de tous les dangers, un no man's land. L'Onu décide donc de l'envoi de casques bleus. La France au prix de mille manigances obtient elle aussi l'envoi de ses troupes sous le mandat onusien. Ces troupes de maintien de la paix ont la gestion d'une zone dite de confiance qui consacre la partition de fait du pays. Mais en réalité Licorne n'a d'autre objectif que le pillage des ressources ivoiriennes. Cacao, café, or, diamant, minerais, tout y passe. Même les numéraires des agences BCEAO des zones sous contrôle de la rébellion n'échappent pas à la razzia de Licorne. En novembre 2004, Laurent Gbagbo, excédé, lance une offensive pour la reconquête de la totalité de son territoire. L'opération ''dignité'' est vite stoppée. Sur ordre de Chirac, l'armée française prétextant le bombardement d'un camp français à Bouaké déclare officiellement la guerre à la Côte d'Ivoire et tente d'enlever le Président Laurent Gbagbo. Le coup échoue. Puis la Côte d'Ivoire renoue avec le cycle des négociations et autres résolutions de l'Onu. Les différents premiers ministres qui se sont succédé sont même mis à contribution pour en finir avec le Chef de l'Etat ivoirien qu'on tente désormais de présenter comme un président illégitime. Mais Laurent Gbagbo décidé d'avoir Jacques Chirac son principal adversaire à l'usure continue de tenir tête. Et ce jusqu'à la signature de l'Accord de Ouaga le 4 mars 2007.

Mireille Abié

De Annan à Ban Ki-moon

Gbagbo triomphe de la France

Le chef de l'Etat a résisté, cinq ans durant, à l'offensive diplomatique de la France. Il a plié sans rompre pour au finish, gagner la bataille de l'opinion, forçant ses adversaires à aller à son rythme.

Paris Kléber, le 24 février 2003. C'est un Laurent Gbagbo assommé et blasé qui sort de la conférence internationale sur la crise armée, déclenchée par le MPCI, cinq mois plus tôt. La veille, la nébuleuse françafricaine venait d'obtenir le paraphage au forceps, du très contesté accord de Lina Marcoussis à la satisfaction de la rébellion, qui obtenait de fait le partage du pouvoir exécutif. Le chef de l'Etat est alors visiblement ébranlé et ses partisans, aussi bien à Abidjan qu'en France, sont indignés et révoltés contre Jacques Chirac, le chef d'orchestre de toute la manigance contre le régime ivoirien. Kofi Annan est là pour la caution internationale. Les Présidents Mbeki, Wade, Bongo et d'autres sont présents, pour la coloration africaine d'une mascarade diplomatique. La Côte d'Ivoire patriotique n'en croit pas ses yeux et ses oreilles. Lorsque Gbagbo revient à Abidjan et plaide, afin que " les Ivoiriens essaient ce médicament ", plus d'un, aussi bien dans son camp que dans l'opposition politico-armée, ne parie plus un kopek sur la refondation. Tant la diplomatie française faisait feu de tout bois. Le chef de l'Etat plie, mais ne rompt pas. Il résiste aux coups de Chirac et ses amis et homologues ouest africains. Dans la foulée, c'est un Gbagbo isolé sur le continent qui parvient à sensibiliser Thabo Mbeki sur la cause républicaine, après moult accords qui font la part belle aux insurgés de Bouaké. Sur sa lancée, le numéro un ivoirien se rapproche de Muhammar Kadhafi. D'autres pays tels le Rwanda, l'Angola prennent ouvertement fait et cause pour la Côte d'Ivoire républicaine. Tous, y compris le Guide libyen, empêchent l'Union africaine de faire le jeu de la France. Au conseil de sécurité, la Russie et la Chine s'opposent à la volonté de Chirac de mettre la Côte d'Ivoire sous tutelle. L'ambassadeur de la Côte d'Ivoire, Diagoné Bi, selon des observateurs, a agi avec tact. Puis vient le déclic. Patiemment, au risque d'affronter ses partisans, Gbagbo tisse sa toile. La France ne démord, certes pas, mais la mayonnaise a du mal à prendre. Seydou Diarra, le Premier ministre d'alors, y perd des plumes au passage. Banny est pressenti à la barre pour poursuivre l'?uvre de déstabilisation. Le banquier ne fait pas mieux. C'est sous son règne à la Primature que le chef de l'Etat sort ses griffes. Quelques repères : Dimanche 16 juillet 2006. Depuis Yamoussoukro, Laurent Gbagbo fustige l'ONU tenue encore par Kofi Annan. " C'est nous qui les avons appelés pour venir nous aider. Qu'ils (les envoyés de l'ONU) comprennent qu'ils sont ici parce que nous le voulons. Aucun pays n'a été rayé de la carte parce qu'il a refusé de recevoir l'ONU. Ils sont zélés quand il s'agit de dénoncer les jeunes patriotes alors qu'ils sont silencieux et rasent les murs lorsqu'il s'agit de réclamer le désarmement ", a tancé le chef de l'Etat au cours d'une cérémonie à la Fondation Félix Houphouët-Boigny. Palais présidentiel, jeudi 14 septembre 2006. Gbagbo reçoit les Forces de défense et de sécurité, à six jours d'un mini-sommet sur la crise ivoirienne, initié par Kofi Annan à New York. Invités, les opposants Ouattara et Bédié, et le chef du MPCI Soro, en sus de chefs d'Etat africains adoubés par la France. " Je n'irai pas à New York. Je n'y enverrai aucune délégation parce que je ne veux pas cautionner la mascarade du GTI. " Il proteste ainsi " contre la manière cavalière et impolie dont le GTI traite l'affaire de la Côte d'Ivoire() Le GTI est manipulé par des gens pour lesquels la paix n'est pas importante. " Gbagbo est indigné par un des points à l'ordre du jour de la réunion qui se tient à l'ONU, à savoir la suspension de la constitution ivoirienne. La galaxie patriotique jubile de voir enfin son chef s'opposer à la paire Annan-Chirac. Les piques du chef de l'Etat se succèdent. Il bat en brèche la résolution 1721, fort du soutien de ses alliés, de plus en plus nombreux et qui ne cachent plus leur agacement devant la volonté de recolonisation de la Côte d'Ivoire. Gbagbo revient de loin. Une diplomatie souterraine et efficace lui permet de survivre politiquement à ses farouches adversaires internationaux. Chirac, Annan, Teovodjrè, Schori et bien d'autres ont quitté la scène. Au plan local, le RHDP est désemparé. La France passe donc à la trappe, malgré quelques velléités que d'aucuns assimilent à un baroud d'honneur. L'ère Ban Ki-moon annonce de nouveaux rapports entre la Maison de verre de New York et Abidjan. Le diplomate sud-coréen a porté un coup de pied dans la fourmilière françafricaine. A contrario du Ghanéen qui l'a précédé. John Bolton, l'ambassadeur américain à l'ONU accuse d'ailleurs Annan qui " a très ouvertement pris fait et cause pour la France " dans le combat que le prédécesseur de Sarkozy livre à Laurent Gbagbo. Cinq ans après l'attaque rebelle, le locataire du Palais du Plateau peut pousser un ouf ! Ses adversaires restent sans voix, face à sa détermination, consacrée par une grande victoire diplomatique. Et si sa démarche a quelques fois irrité et désarçonné, ils sont demeurés confiants sur la capacité de leur leader à porter l'estocade le moment venu ". C'est fait avec l'accord de Ouaga. Blaise Compaoré, naguère détracteur de haut vol de Gbagbo a même conduit les discussions entre les délégations, dans son pays. Le Sénégalais Wade et le Gabonais Bongo restent sans voix. Ces pourfendeurs et parrains de la rébellion sont neutralisés. Avec eux, leurs filleuls du RHDP, désemparés par la récusation, signée Gbagbo, du haut représentant de l'ONU chargé les élections, sur qui Bédié et Ouattara ont misé pour parvenir au pouvoir. La diplomatie de Gbagbo a eu raison de ses adversaires, internes et externes, réduits à marcher aux pas imprimés par celui qu'ils vouent aux gémonies depuis cinq ans.


Relations France-Côte d'Ivoire
5 ans de rapports tumultueux
Guerre personnelle. Pendant près de cinq années, Jacques Chirac s'est échiné à évincer Laurent Gbagbo du pouvoir. Conséquence de l'acharnement de l'Elysée, le ciel des relations entre la Côte d'Ivoire et la France s'est assombri. 60 mois de crise politico-armée, et autant de temps d'âpres guerre diplomatique, mais aussi armée, comme l'attestent les évènements de septembre 2004. Ce jour-là, l'inimitié de Chirac pour son homologue ivoirien s'est exprimée dans toute sa laideur. L'armée française aux portes de la résidence présidentielle à Cocody, l'a survolée par des hélicos de combat de la Licorne. C'est la parfaite illustration de l'implication de la France dans la crise. Tout commence lorsque, par le biais de Abdoulaye Wade, le dialogue inter-ivoirien entre la rébellion et l'Etat- l'ancêtre du dialogue direct- qui se déroule à Lomé au Togo, est délocalisée à Linas Marcoussis. La suite se déroule comme dans un film. Partage du pouvoir exécutif, des Premiers ministres parachutés, les ministères sensibles de la Défense et de l'Intérieur que la France tente de confier au MPCI, tout y passe à Paris-Kléber. Sauf le désarmement. L'accord de Marcoussis est d'abord l'instrument de déstabilisation. Echec et mat. S'ensuivent des conclaves à travers des capitales africaines. Des sommets instrumentalisés par la cellule africaine de l'Elysée, tenue alors par Michel de Bonnecorse. Très tôt, Chirac qui avance encagoulé, trouve la parade. C'est l'ambassadeur français à l'ONU Jean-Marc de la Sablière qui sert de relais à la machine diplomatique activée par le Président français. Résultats, le conseil de sécurité vote une pluie de résolutions onusiennes, à l'initiative de la France. De la 1428 à la 1765, qui met la France sur la touche, Paris a déployé un trésor d'imaginations pour venir à bout de Gbagbo. Le Groupe de travail international (GTI) qui se réunissait mensuellement à Abidjan était la caution internationale aux messes basses de Paris. Objectif bien défini, détrôner le chef de l'Etat, au profit de Seydou Diarra, puis Charles Konan Banny. Bien d'actes illustrent la détermination de Chirac dès le 19 septembre 2002. Entre autres, la destruction de la flotte aérienne de l'armée ivoirienne en novembre 2004. Aujourd'hui, le locataire du Palais d'Abidjan fait des révélations, qui mettent à nu la conspiration française. C'est clair, Chirac a toujours protégé la rébellion. Dans l'interview qu'il a accordée à ''Jeune Afrique'' de cette semaine, Gbagbo revient sur l'attitude de l'Elysée, s'agissant du bombardement de la caserne de la Licorne à Bouaké. Et les représailles qui ont suivi. Un bombardement qui reste à vérifier, indique clairement le chef de l'Etat. " L'armée française a tout fait pour cacher la vérité ", soutient Gbagbo, avant de préciser : " Quelques jours avant ce 6 novembre, j'avais averti l'ambassadeur de France de notre intention d'attaquer les infrastructures militaires de la rébellion, à Bouaké. Il est venu me voir avec le Général Poncet qui commandait l'opération Licorne. Tous deux m'ont fait part de leurs réserves. Je leur ai répondu que je ne demandais pas leur autorisation mais je les informais. Ensuite, Chirac m'a appelé pour m'en dissuader. " La suite est connue. Gbagbo maintient sa position et subit la foudre de l'Elysée Les Ivoiriens, révoltés font front. Des leaders de la galaxie patriotique qui, depuis 2002, accusent la France de se cacher derrière Soro et ses hommes, donnent encore plus de la voix. Mamadou Koulibaly, Simone Gbagbo, Fologo, Blé Goudé etc, et bien d'autres ne manquent aucune occasion de voler dans les plumes de la France officielle. Les positions sont si tranchées que Gbagbo et Chirac ne se téléphonent plus. En Côte d'Ivoire, Paris adoube les chefs de gouvernements et la coalition des houphouëtistes. Tous les coups semblent alors permis pour la nébuleuse françafricaine, jusqu'en début d'année, à l'approche de la présidentielle française. Chirac qui est sur le départ garde le profil bas. Chirac est l'interlocuteur " qui m'a le plus déçu ", clame le numéro un ivoirien. Cela dit, le ciel ne s'est pas encore éclairci. Les nouveaux gouvernants, plus subtilement sans doute, poursuivent l'?uvre de déstabilisation. Sûrement, ils auront à faire à une forte adversité. Si Gbagbo ménage son nouveau collègue français, il n'entend pas renoncer à l'indépendance de son pays. " Nous devons tout remettre à plat avec la France, tout rediscuter. Nous nous retrouverons autour d'une table le moment venu ", promet-il. Pour autant, il espère que les autorités françaises vont mettre un terme à la tentative de recolonisation. " Si Sarkozy nous fait espérer, ce n'est pas par rapport à sa politique déclarée, mais parce qu'il est le seul président de la République à être né après la seconde guerre mondiale. C'est important car cela signifie qu'il n'a pas les mêmes références que ses prédécesseurs ", explique Gbagbo.

Guillaume N'Guettia

Comment le RHDP a détruit le pays d'Houphouët
19 septembre 2002 - 19 septembre 2007. Cinq ans après la guerre de la France à la Côte d'Ivoire par le biais de ses relais locaux que sont les Forces nouvelles et ensuite le RHDP, quel bilan établir ? Retour sur le parcours d'une opposition abonnée à la politique de la terre brûlée et qui a ruiné le pays et les espoirs du peuple ivoirien.

Cinq ans, jour pour jour. Les Ivoiriens toutes tendances politiques confondues, se souviennent de cette nuit du 18 au 19 septembre 2002. Un coup d'Etat minutieusement préparé depuis certains pays voisins du Nord de la Côte d'Ivoire. Quelques jours après l'échec de ce putsch, les langues se délient. Le peuple de Côte d'Ivoire découvre hébété le visage hideux d'une rébellion conduite par l'actuel Premier ministre, Soro Kigbafori Guillaume. Pour ce qui est de la partie visible de l'iceberg. Les parrains locaux et l'ancienne puissance colonisatrice qui a fourni la logistique, s'étant murés jusque là, dans un mutisme. Quelques mois après cet épisode, la France arrache à feu Gnassingbé Eyadéma, la médiation dans la crise ivoirienne et convoque la table ronde de Linas-Marcoussis. Les masques tombent enfin en France. Bédié pour le PDCI, Alassane Dramane Ouattara pour le compte du RDR, Mabri Toikeusse au nom de l'UDPCI et Anaky Kobena pour le MFA, s'alignent sur les positions de ceux qui ont attaqué nuitamment la mère patrie, c'est-à-dire, le MPCI, le MPIGO et le MJP baptisées plus tard Forces nouvelles?. Un front commun contre le pouvoir central d'Abidjan est formé. Il se nomme G7.

Une propension pour les raccourcis
Ce que les déstabilisateurs n'ont pu obtenir dans la nuit du 18 au 19 septembre 2002 en surprenant les Forces loyalistes, ils veulent l'obtenir par le biais du G7. Conditionné pour mener la vie dure au pouvoir Gbagbo, ce regroupement de quatre formations politiques allié au trois mouvements rebelles, fait feu de tout bois. Le président du RDR, le Dr Alassane Dramane Ouattara, le plus porté sur la violence politique, entraîne cette ''force'' dans une spirale de défiance à l'autorité de Laurent Gbagbo. Plus tard, pour se défaire du complexe de la rébellion, les quatre partis politiques forment le RHDP à Paris. Le pouvoir qui voit ''le dos des nageurs'' ne dort que d'un seul ?il. L'opposition civile réussit à associer à son amour pour les raccourcis, l'ancien premier ministre Charles Konan Banny. Le RHDP reste donc actif pour contenter les multinationales françaises, qui le tient visiblement par la barbichette. Pendant cinq ans donc ces puissances d'argent ont organisé, planifié et financé les campagnes de déstabilisation du régime Gbagbo. Conscient que le contrat qui lie la CIE à l'Etat de Côte d'Ivoire expire ce mois de septembre, le groupe Bouygues multiplie par le biais du RHDP les mouvements de grogne au sein de certaines structures étatiques et privées. La bataille médiatique confiée aux médias occidentaux ayant lamentablement échoué contre le pouvoir d'Abidjan, les multinationales françaises ont décidé de changer leur fusil d'épaule. Le RHDP se contentant jusque-là d'une opposition de salon. Elles ont, depuis peu, opté pour le rechauffement du front social. L'échec du lynchage médiatique en plus d'une rébellion qui n'a pas tenu ses promesses oblige forcément à réfléchir à d'autres stratégies pour dégommer ce pouvoir qui empêche les ''patrons français'' de se servir et à leur aise à Abidjan. Malgré la multiplicité des actes subversifs contre la refondation, Laurent Gbagbo tient bon. Ses adversaires réunis au sein du RHDP optent pour le noircissement systématique du pouvoir en place. Pourtant les lauriers glanés par le pouvoir FPI sont bien là : l'école gratuite, la décentralisation et le développement des régions par les conseils généraux, l'érection de nombreux gros villages en communes, sous-préfectures, l'accord de Ouaga, la ''flamme de la paix'' etc. Des acquis qui donnent l'insomnie au RHDP qui voit ses chances de gagner la présidentielle prochaine s'amenuiser chaque jour. Les poulains de la France sont donc depuis 5 ans en panne sèche d'idées, de propositions pour le bien-être social des populations. A l'image de Ouattara qui a repris récemment à son compte le projet de l'école gratuite de Laurent Gbagbo.

La communauté internationale, comme appui dans la déstabilisation
Ils se contentent depuis 5 ans maintenant d'invectives, d'appels à la désobéissance civile, à l'insurrection populaire. Conscient de ce que le peuple sait qu'il est incapable d'idées novatrices, le RHDP pense que son salut se trouve aujourd'hui dans des grèves multiples. Cinq ans après la guerre des relais locaux de la France, quel est le bilan de la lutte du RHDP ? A l'analyse ce regroupement politique a le plus causé du tort au pays d'Houphouët. Pendant cinq ans, il a bataillé pour que la Côte d'Ivoire soit de nouveau recolonisée en voulant la placer sous la tutelle de l'ONU. Il a fait de la suspension de la constitution de la Côte d'Ivoire, son cheval de bataille. Et monté tout le long de cette crise sur ses grands chevaux afin qu'on cède sans un radis, la CIE, la SODECI, la SIR, le Port autonome d'Abidjan, la filière café-cacao au tuteur français. Mais en vain, parce que en face, les frontistes au pouvoir veulent une renégociation des clauses des contrats qui lient l'ancienne métropole à la Côte d'Ivoire. Ils veulent que le pays de Sarkozy traite d'égal à égal avec le pays laissé par Houphouët. Voilà le tort de Laurent Gbagbo. Et c'est ce qui lui vaut une guerre qui dure depuis 5 ans. Le peuple sait aujourd'hui faire la différence entre ceux qui ont balafré ce pays et qui roulent uniquement pour leurs intérêts personnels et égoïstes et ceux qui au contraire y mettent en avant ses aspirations Il attend de désavouer les ''serviteurs et suiveurs'' de la France dans la destruction de la Côte d'Ivoire. Le RHDP apparaît aujourd'hui comme le regroupement politique qui a ruiné pendant 5 ans les espoirs d'un peuple paisible surpris dans la nuit du 18 au 19 septembre 2002 par une rébellion armée dont-il portera à vie les séquelles et les affres. Bédié, Ouattara et autres, ont contribué à faire perdurer la guerre pour contenter leurs ''maîtres'' occidentaux et continuer de bénéficier de leurs grâces. Tel est le vrai visage du RHDP renvoyé par le miroir du peuple de Côte d'Ivoire qui n'est pas dupe. 5 ans de défiance, de désobéissance civile et de recherches effrénées du succès d'un putsch; toutes soldées par un échec. Voilà le RHDP.

Maxime Wangué

L'Acccord de Ouaga ou la leçon de maturité politique de la Côte d'ivoire à la France
Jacques Chirac, on le sait, a voulu renverser le pouvoir du Président Laurent Gbagbo pour pérenniser la domination de la France sur un pays auquel lui et les siens ont longtemps refusé l'indépendance politique et économique. Depuis le 19 Septembre 2002, il aura en vain tenté d'infantiliser les Ivoiriens avec leur Chef charismatique, à travers la guerre qu'il leur a imposée. Son entêtement à régler la crise ivoirienne, selon ses propres méthodes sous tendues par des visées racistes fini par accoucher des accords et des résolutions aux contours sinueux, conçus à partir de schémas invariables, inadaptés mais surtout orientés vers des objectifs autres que ceux de la recherche de la paix dans un Etat en crise politico-militaire. Marcoussis, Kléber, résolutions onusiennes, ces recherches de solution incongrues à la crise ivoirienne traduisent la parfaite détermination du gouvernement chiraquien à démonter le régime du FPI pour s'approprier la Côte d'Ivoire. Si elles n'ont pas atteint leur objectif funeste, celui de déstabiliser ce pays et de permettre sa recolonisation, grâce à la résistance des Ivoiriens devenus jaloux de leur souveraineté, elles auront surtout dévoilé l'acharnement impérialiste de la France à légitimer la violence armée comme voie de liquidation des refondateurs de l'Afrique. Dans ses rapports avec celle-ci, l'Etat français a toujours choisi de protéger ses intérêts par l'usage de moyens iniques qui mettent en avant l'hypocrisie, la traîtrise, la ruse, l'exploitation et l'expropriation. Jamais, il n'a eu l'intention de la rendre heureuse, cette Afrique, même si le discours officiel tend à y faire croire. Pour parvenir à ses fins, il s'appuie sur des relais locaux dont les discours politiques, de même que les actes remplis de haine, reprennent en ch?ur les ordres de leur chef d'orchestre. Manquant de personnalité ou de projets politiques fondés sur le désir de rechercher le bonheur pour leur propre peuple, les opposants ivoiriens en veulent à Laurent Gbagbo d'avoir brisé président français et la logique des relations de dupes qui durent depuis plus d'un demi siècle entre la France et la Côte d'Ivoire. L'on comprend dès lors qu'ils tiennent souvent des propos empreints de mauvaise foi, quand ils ne sont pas ouvertement discourtois ou ne prononcent pas des phrases pour décrire une situation chaotique imminente, mais en réalité inexistante. Leurs discours inclinent à la violence, ils invitent à l'affrontement, au chaos. Parce qu'ils sont incapables de provoquer l'adhésion à leur cause par la défense d'idées politiques courageuses, les opposants à la refondation ont recours au langage de la violence, démontrant du même coup qu'ils sont dans l'incapacité d'apporter la réplique au Président Laurent Gbagbo sur le terrain du débat démocratique et du discours visant le développement du pays. Dans ce contexte, tout est mis en ?uvre pour que le champ politique ivoirien enregistre des sons discordants sur un même sujet, par exemple, sur un texte de loi ou celui d'une résolution, ainsi que l'on a pu le constater avec les résolutions 1633 et 1721 de l'ONU. Le but étant de réussir le blocage du processus devant conduire à la paix, le cafouillage et le camouflage langagiers deviennent l'art le mieux maîtrisé par la France et ses alliés du RHDP. Les accords prennent ainsi différents sens au gré des intérêts des groupes de pression français qui se .croient toujours dans le rôle de puissances colonisatrices; rôle que les dirigeants politiques n'ont d'ailleurs pas le courage de défendre officiellement, dans la mesure où ils veulent continuer de leurrer

les Ivoiriens sur leur capacité de nuisance.
L'élection du nouveau Président Nicolas Sarkozy n'apportera pas de changement fondamental quant à l'objectif poursuivi par son prédécesseur. Les Ivoiriens ne devraient pas croire à une révision miracle de la politique française vis-à-vis de Gbagbo, l'UMP est resté au pouvoir et la France continue de prendre la Côte d'Ivoire pour une vache à lait, un espace géométrique à partir duquel les Européens jaugent la santé des relations de domination qu'ils entretiennent avec l'Afrique de l'Ouest. L'affaire dite d'André Kieffer remise sur la place Publique, avec le témoignage presque cocasse d'un certain Berté, est là pour rappeler que la France, bien qu'elle n'ait pas encore réutilisé ouvertement ses canons, ainsi que l'a fait Chirac en novembre 2004, Vise toujours à mettre fin à la refondation de la Côte d'Ivoire. La volonté de provoquer le soulèvement de l'armée républicaine en faisant circuler dans les casernes des rumeurs relatives aux millions qu'aurait promis Gbagbo aux soldats, ne donne-t-elle pas la preuve suffisante que "la guerre de la France contre la Côte d'Ivoire" se poursuit ? L'auteur de cette phrase, le Professeur Mamadou Coulibaly, reçu récemment sur la première' -chaîne de la télévision ivoirienne, qualifiait la stratégie des ennemis de la stabilité de l'Etat ivoirien de "tentative de

subversion". Et il a eu raison.
C'est pourquoi le Président Laurent Gbagbo qui a compris que le départ officiel de son homologue de la tête de l'Etat français ne garantit pas forcément la fin de la guerre dans son pays, devrait insister plus encore pour que son premier Ministre Guillaume Soro accepte enfin "le fétichisme des dates" pour accélérer le processus de paix enclenché par l'accord de Ouaga, fruit du dialogue direct initié par lui. Les ex-rebelles, nous voulons dire les forces nouvelles doivent effectivement déposer les armes, les problèmes de grades ne pouvant constituer un obstacle majeur à cet espoir auquel s'accroche aujourd'hui tout le peuple ivoirien. Cet accord, réaliste, apporte bien de réponses politiques aux maux de ce peuple martyrisé, humilié, présenté au monde entier comme une jungle où les nationaux charcutent les étrangers, où les nationaux deviennent finalement des cannibales affamés pour les immigrés. En plus d'avoir l'avantage de réconcilier les Ivoiriens avec eux-mêmes, il prouve la maturité politique des gouvernants de cette terre d'Eburnie, las d'être considérés comme de grands enfants. En signant l'accord dans un pays africain et en acceptant de l'appliquer malgré la langue de bois "des apprentis sorciers de la politique", le Président Gbagbo et le Premier Sora donnent les limites des méthodes occidentales de règlement des conflits en Afrique. Mais, au-delà de cette considération, la fin du conflit ivoirien constitue un cas d'école à méditer pour comprendre les perspectives de la politique africaine de la France condamnée à développer de nouvelles stratégies qui devraient nécessairement être fondées sur le respect des Africains. Le signal pour la libération totale de l'Afrique est peut-être donné, pourvu que les autres Chefs d'Etat et peuples africains veuillent abandonner le complexe de damnés éternels pour suivre l'exemple de la résistance offert par Côte d'Ivoire. La France est condamnée a laissé à celle-ci et aux Africains les initiatives de résolution de leurs propres différends. L'accord de Ouaga l'invite d'ailleurs à une inévitable réadaptation de sa politique étrangère de l'Afrique, au risque de perdre sa crédibilité, si elle en a encore un peu.

D'Accra à Ouagadougou

La longue marche de la Côte d'Ivoire vers la paix
Que de chemin parcouru ! D'Accra à Ouagadoudou en passant par Lomé, Linas-Marcoursis et Tshwane, la Côte d'Ivoire revient de loin. Au moment où pointe à l'horizon ce qui constitue désormais la perle rare des Ivoiriens (la paix), Le Matin d'Abidjan revient sur les grands moments qui ont jalonné ce parcours de la nation ivoirienne. Rétrospective.

La Côte d'Ivoire a assurément plus souffert de ses accords que du conflit politico-militaire qui a éclaté le 19 septembre 2002. Car très tôt, la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) par le biais du groupe de contact a pu imposer un cessez-le-feu le 17 octobre 2002 c'est-à-dire environ un mois après le déclenchement du conflit. Les belligérants, sans toutefois se rencontrer pour des discussions, acceptent sous les auspices de la CEDEAO de parapher un accord de cessez-le-feu présenté tour à tour à chaque camp à Abidjan puis à Bouaké. C'est également à cette date que les Forces françaises s'interposent officiellement entre les Forces armées nationales et la rébellion ivoirienne. Les premières véritables négociations entre le camp présidentiel et la rébellion débutent le 30 octobre à Lomé au Togo sous la présidence de l'ancien chef d'Etat togolais, feu Gnassigbé Eyadema. Durant deux mois, les négociations piétinent du fait des tergiversations de la rébellion ivoirienne. Elle présente des revendications articulées autour du départ du président Laurent Gbagbo du pouvoir et l'organisation de nouvelles élections. Ce qui était impossible car les rebelles n'ont pas gagné la guerre. En même tant, ils évoquaient une simple mutinerie. "C'est compliqué ; je n'ai jamais vu pareille crise. Quand j'ai reçu les jeunes gens à Lomé, ils ont évoqué une mutinerie et non un coup d'Etat. J'ai décidé avec la compréhension de mon jeune frère, le président Laurent Gbagbo, de trouver une solution à leurs revendications corporatistes ", avait déclaré feu le président Eyadéma pour dépeindre la complexité de la crise ivoirienne. Tant les revendications variaient du jour au lendemain. Pendant qu'ils réfutaient l'idée d'un coup d'Etat, les rebelles étaient incapables de poser clairement leurs revendications qu'ils masquaient sous le vocable de " nouvel ordre politique ". Le président Eyadema qui a considéré uniquement l'aspect militaire de la crise a pu obtenir, lors de sa médiation, des points tels que la réintégration des rebelles dans l'armée, l'amnistie. Les véritables objectifs de la rébellion n'ayant pas été dévoilés et traités lors des négociations de Lomé, la France entre alors en scène en annonçant la table ronde de Linas-Marcoussis. Le blocage permanent des négociations de Lomé a été dû au fait que les questions de fonds révélées plus tard - nationalité, identification, éligibilité, fonciers, etc. - n'ont pas été évoquées par la rébellion ivoirienne.

Marcoussis et la décapitation du régime
Les rencontres sur la crise ivoirienne vont quitter le continent pour la France à l'initiative de l'ancien président français Jacques chirac. A Paris, contrairement à Lomé où il a été mis en place une délégation gouvernementale face aux rebelles, les partis politiques représentés à l'Assemblée nationale ainsi que le RDR de Alassane Dramane Ouattara ont été conviés à la table de négociation. Outre les mouvements rebelles du MPCI, MPIGO et MJP, il y avait le FPI, le PDCI, le RDR, le PIT, l'UDCY, l'UDPCI et le MFA à ces négociations qui se sont déroulées du 15 au 23 janvier 2003. Dans le complexe sportif de rugby, un autre invité surprise était présent : Seydou Elimane Diarra, l'assistant - avec le juge Kéba M'Baye - du président des travaux Pierre Mazeaud. Il deviendra le premier ministre né de l'accord de Marcoussis. A Marcoussis, le FPI, le parti au pouvoir, devait faire face à la décapitation du régime. Dans la salle de conférence du complexe de rugby où ont lieu les négociations, le parti au pouvoir se trouvait isolé face à des interlocuteurs (quasiment tous les autres participants aux négociations) travaillant à la perte du régime du président Gbagbo. De tous les membres de la délégation du parti au pouvoir, qui a quitté Abidjan, seuls Pascal Affi N'Guessan et Hubert Oulaye étaient présents dans la salle de négociation. A deux, ils devaient faire face aux représentants des trois mouvements rebelles (MPCI, MPIGO et MJP) ainsi que des représentants de partis de l'opposition à savoir le PDCI, l'UDPCI, le RDR, le MFA. Difficile donc pour le FPI de convaincre ces nombreux interlocuteurs. Il fallait également compter avec le président des travaux, Pierre Mazeaud, qui assurément était hostile au pouvoir d'Abidjan. Les thèmes abordés et les solutions présentées par la France étaient le parachèvement du coup de force militaire du 19 septembre 2002. Ce qui ne laisse pas le camp présidentiel indifférent. Mamadou Koulibaly bien que ne prenant pas part aux discussions rentre précipitamment à Abidjan pour crier sa colère. Depuis Abidjan, le président Gbagbo qui avait un compte rendu minutieux de tout ce qui se déroulait à Linas-Marcoussis ordonne la bataille pour la reconnaissance des institutions de la République. Le reste suivra par la suite, une fois au pays. Pascal Affi N'guessan expliquera plus tard qu' " il fallait rester au cours de la chirurgie pour veiller à ce qu'on ne touche pas au c?ur ". Le camp présidentiel a pu regagner le pays avec les Institutions de la République; mais la lutte n'était pas terminée.

Dichotomie entre la Constitution et les textes de Marcoussis
La chirurgie a eu lieu et les médecins n'ont pas touché au c?ur de la mère patrie. Et le communiqué qui a sanctionné les négociations le précise : "la table ronde réaffirme la nécessité de préserver l'intégrité territoriale de la Côte d'Ivoire, le respect de ses institutions et de restaurer l'autorité de l'Etat. Elle rappelle son attachement au principe de l'accession au pouvoir et son exercice de façon démocratique ". C'est cette précision qui figure au point 3 de l'accord qui sera l'arme de défense et d'attaque du pouvoir en place. Outre la crise autour de la prise de fonction de Seydou Diarra nommé à Paris par le président Gbagbo, sous la pression de Jacques Chirac ainsi que la formation du gouvernement qui a conduit à un autre accord (en réalité un réaménagement de Marcoussis) le 7 mars 2003, il y aura la bataille pour le respect des Institutions. C'est elle qui marquera tout le long processus de sortie de crise. L'accord de Linas Marcoussis mis en place par la France butera depuis le début sur la loi ivoirienne. Les députés du camp présidentiel s'opposeront ainsi à l'application à "la lettre" des projets de loi qui étaient en de nombreux points une violation de la constitution ivoirienne. C'est dans ce contexte qu'à l'Assemblée nationale, la bataille pour le respect des lois fera rage. Tous les projets de lois inspirés de l'accord de Linas-Marcoussis seront modifiés conformément aux lois ivoiriennes et cela, au grand dam de l'opposition alliée à la rébellion.

L'identification et le désarmement : pomme de discorde
Au c?ur de la polémique, se trouvait également la priorité entre l'exécution du processus d'identification des populations et le désarmement de la rébellion ivoirienne. En effet, pendant que le camp présidentiel exigeait le démarrage du désarmement, la rébellion exigeait lplutôt l'identification. Les positions étaient tellement tranchées que les acteurs seront contraints à un autre sommet, au Ghana, à l'invitation du président John Agyekum Kufuor, alors à la tête de la CEDEAO. L'on était maintenant à Accra III. Cet accord, qui est en réalité le premier que le président Laurent Gbagbo paraphe avec les autres signataires des accords de Linas-Marcoussis a eu lieu le 30 juillet 2004. Et indiquait que " les parties ivoiriennes sont engagées à commencer le DDR au plus tard le 15 octobre 2004 ". Le calendrier du redéploiement de l'administration, qui devait précéder l'identification devait être fixé une fois à Abidjan par le premier ministre et le gouvernement. Malgré le calendrier clairement indiqué, le processus de désarmement tant attendu par le camp présidentiel, n'aura pas lieu et cela va envenimer la situation. Le parti au pouvoir monte au créneau pour donner un ultimatum - la fin du mois d'octobre - à la rébellion pour s'exécuter. A défaut, elle sera contrainte par les Forces de défense et de sécurité. Ainsi le 4 novembre 2004, l'opération dignité est lancée par le camp présidentiel et interrompue 48 heures plus tard par la force Licorne. Sous le prétexte que l'armée ivoirienne aurait bombardé un camp français à Bouaké. La France, dans la foulée, tente de renverser le régime du président Gbagbo. Les patriotes s'interposent. Le président sud-africain, Thabo Mbeki, entre en jeu. Et prend en main la médiation dans la crise ivoirienne.

Mbeki et le retour de la confiance internationale
Thabo Mbeki se donne du temps pour s'imprégner de la crise ivoirienne avant de réunir ses acteurs en Avril 2005 à Pretoria I ; puis les 28 et 29 juin 2005 à Pretoria II. La médiation Thabo Mbeki permet au processus de faire un pas de géant avec l'obtention de résultats concrets notamment l'éligibilité de fait à la présidence de la République des leaders des partis politiques signataires de l'accord de Linas Marcoussis, lors de la prochaine présidentielle. La méthode Mbeki bien que combattue par la France permet néanmoins à la communauté internationale d'avoir une lecture exacte de la crise ivoirienne. Avant l'adoption de la résolution 1633 du 21 octobre 2005 qui a sanctionné le rapport de sa médiation, son ministre de la Défense, Mosiuoa Gérard Patrick Lekota, l'a présenté en juillet 2005 devant le Conseil de sécurité. Malgré cela, la France fera tout pour insérer dans la résolution un organe, le GTI, dont la véritable mission était de procéder à la décapitation des institutions de la République ; notamment le parlement. Mais aussi d'offrir les pouvoirs du chef de l'Etat au premier ministre. Ce qui entraînera à nouveau le blocage qui battra en brèche tous les efforts déployés par le président Thabo Mbeki ; malgré la nomination d'un nouveau premier ministre en la personne de Charles Konan Banny. C'est d'ailleurs la bataille pour l'acquisition des pouvoirs de l'exécutif qui l'emportera ; avec notamment l'adoption de la résolution 1721 du 1er novembre 2006 qui soulignait que le premier ministre pour l'exécution de son mandat " doit disposer de tous les pouvoirs nécessaires " et " doit pouvoir prendre toutes les décisions nécessaires, en conseil des ministres ou en Conseil de gouvernement, par ordonnance ou par décret-loi ". Cette résolution ne connaîtra jamais un début d'exécution et précipitera la gestation du " dialogue direct " entre le chef de l'Etat et les forces nouvelles de Guillaume Soro au Burkina-Faso avec pour médiateur Blaise Compaoré. Environ cinq années après le déclenchement du conflit ivoirien, les principaux acteurs de la crise ont fini par comprendre que la solution au problème de la Côte d'Ivoire viendra par eux-mêmes.

Ouagadougou, l'accord qui fait poindre la paix
A la différence des accords précédents, l'accord de Ouagadougou a le mérite d'être accepté par les principaux acteurs de la crise ivoirienne ; à savoir le camp présidentiel et les Forces nouvelles. Et il porte la marque du président Laurent Gbagbo. Il se solde par la nomination de Guillaume Soro à la primature. L'ère du patron du MPCI met fin au cycle interminable de blocages du processus de sortie de crise. Aujourd'hui, le camp présidentiel ainsi que les Forces nouvelles sont les avocats des accords qu'ils ont signés le 4 mars dernier. Toutes les questions qui autrefois déclenchaient les passions sont traitées désormais avec complicité. Le désarmement n'a pas véritablement démarré, mais des signes annonciateurs sont fort perceptibles: flamme de la paix avec la visite du président Laurent Gbagbo à Bouaké, redéploiement de l'administration. Les protagonistes ont même pu accorder leurs violons sur les audiences foraines qui ont mis le feu aux poudres sous l'ère Banny. Elles démarrent dans moins d'une semaine. En attendant les prochaines élections qui seront l'aboutissement du processus de sortie de crise, on peut dire que la Côte d'Ivoire après cinq ans de statut quo a retrouvé le chemin de la paix.

ROBERT KRA
(krarobert@yahoo.fr)

Soro Guillaume : Du maquis à la Primature

Le secrétaire général des Forces nouvelles est le troisième locataire de la Primature depuis la signature de l'accord de Marcoussis, il y a bientôt cinq ans. Avec le temps, ce qui était impensable est devenu une réalité avec l'accord de Ouaga. Retour sur le parcours de Soro Guillaume.

Le 19 septembre 2002, lorsque le jour se lève, la question que tout le monde se pose à Abidjan, c'est de savoir qui est le commanditaire du coup d'Etat qui venait de plonger la Côte d'Ivoire dans une longue crise. On était loin de se douter que c'est Soro Guillaume, l'ancien secrétaire général de la fédération estudiantine et scolaire de Côte d'Ivoire (FESCI) qui prendrait la tête du Mouvement patriotique de Côte d'Ivoire (MPCI) qui a occupé la moitié nord du pays. S'il était évident que la France et ses relais locaux, notamment le PDCI de Henri Konan Bédié et le RDR d'Alassane Ouattara, étaient les commanditaires du coup de force manqué, la curiosité était grande de savoir lequel des deux leaders politiques revendiquerait officiellement la rébellion et en prendrait la tête. Le flou va durer de longues semaines durant lesquelles, le mouvement restera sans patron. Du moins, seuls les chefs de guerre dont l'adjudant Tuo Fozié, le sergent Chérif Ousmane, Koné Zackaria et autres acceptaient de s'afficher. Longtemps pressenti pour jouer les premiers rôles, le sergent-chef Ibrahima Coulibaly (IB) choisira de gérer le mouvement dans l'ombre. Depuis le Burkina Faso où il vivait en exil, aux frais du pouvoir en place qui a offert gite et couvert à ses hommes qui s'entraînent dans ses camps militaires. IB refusera de prendre ses responsabilités et finira par perdre définitivement les commandes du mouvement rebelle qui sera plus tard baptisé ''Forces nouvelles'' par le parrain français. Le 14 octobre 2002, Soro Guillaume, le colistier de Henriette Dagri Diabaté pour les législatives de décembre 2000 auxquelles son parti, le RDR, ne prendra pas part, se présente publiquement comme étant le secrétaire général du MPCI. A dire vrai, il était à Abidjan le 18 septembre lorsque les premières attaques ont été lancées qui ont coûté la vie à Boga Doudou, Dali Oblé, Marcellin Yacé Vu son aversion pour le pouvoir de Laurent Gbagbo, l'ancien syndicaliste connu sous le nom de guerre ''Docteur Koumba'', choisira de vivre dans la clandestinité, le temps de rallier Bouaké par des chemins de traverse. Depuis cette époque, l'homme a beaucoup changé. Il a beaucoup appris sur le plan politique. Toutefois, il fera de son accession au poste de premier ministre une obsession qu'il revendiquera à cor et à cri depuis Marcoussis. Au sortir de la table ronde qui a eu lieu en terre française, à défaut d'avoir la primature, il exigera les portefeuilles ministériels de la Défense et de l'Intérieur. Des postes qu'il n'obtiendra pas. Le sommet d'Accra II ne changera rien à la donne. Ministre de la Communication au sein de l'équipe de Seydou Diarra, il n'apparaîtra que de façon épisodique aux conseils des ministres. Il fera ainsi ''l'école buissonnière'' jusqu'en 2005. Au moment où Seydou Diarra avait cessé d'être ''inamovible'' et qu'il fallait le remplacer ; car il a échoué. Et revoilà le secrétaire général du MPCI ! La barre toujours haute, dans une posture rigide faite de surenchère. ''Gbagbo a une armée et un territoire. Soro également. Si les hommes sont amenés à cohabiter, n'y aura-t-il pas une dyarchie et donc un clash au sommet ? On peut le craindre dans le cas où les deux belligérants n'auraient pas renoncé à l'option militaire. Ici, nous sommes dans l'arène politique, et on ne réconcilie pas deux amis. Ce sont deux ennemis que l'on réconcilie'', déclarait-il le lundi 25 novembre 2005. A qui voulait l'entendre, il répétait ainsi que le poste de premier ministre revenait d'autorité aux forces nouvelles. Au finish, c'est Charles Konan Banny, le président de la BCEAO qui a été retenu pour remplacer Seydou Diarra à ce poste le 4 décembre 2005. En compensation, Soro devient le numéro 2 du gouvernement rendu public le 28 décembre 2005, avec rang de ministre d'Etat. Toujours boudeur, il détiendra le portefeuille de ministre de la Reconstruction et de la Réinsertion jusqu'en mars 2007, après la signature de l'accord de Ouaga par le président Gbagbo et lui-même dans la capitale burkinabé. Une fois de plus, la primature allait changer de main. Et cette fois était la bonne pour le natif de Ferké devenu premier ministre de Côte d'Ivoire, contre le gré de ses anciens alliés rassemblés au sein du RHDP, de IB qui revendique la tête de la rébellion et surtout de la France. Tous sont d'avis qu'il a trahi en s'alliant à Laurent Gbagbo pour ramener la paix dans le pays. Du coup, le voila face à une forte adversité dans le camp de l'opposition politique. Après un attentat contre son avion le 29 juin dernier, le maître d'?uvre de l'accord de Ouaga a montré qu'il s'est résolument engagé pour la paix. En témoignent les avancées enregistrées par le processus de paix. Avec la suppression de la zone de confiance, la cérémonie de la flamme de la paix le 30 juillet à Bouaké marquant la réunification du pays, le redéploiement de l'administration et le démarrage dès la semaine prochaine des audiences foraines. Pour ne citer que ces points. De surcroit, il a appris à affronter les situations avec beaucoup de philosophie et de hauteur. Pourvu qu'il reste dans cette position jusqu'à la fin du processus de paix. Il est loin aujourd'hui, le temps où il manquait de se faire lyncher à la RTI. C'était en 2003, alors qu'il effectuait une visite dans cette structure sous la tutelle du ministère de la Communication dont il avait la charge. La preuve que les Ivoiriens ont tourné la page de la ranc?ur et de la guerre.

Emmanuel Akani
manuakani@yahoo.fr

La vraie histoire du dialogue direct

C'est à la mi-décembre 2006 que le président Laurent Gbagbo, dans un discours mémorable, à la Nation, livre son plan de sortie de crise, en cinq points, dont la proposition-surprise de négocier directement avec la rébellion. Une initiative qui prend de court et partisans et farouches adversaires du champion des socialistes ivoiriens, qui étaient loin d'imaginer pareil cas de figure. Guillaume Soro, le principal destinataire de l'offre présidentielle met deux semaines pour réagir à la main à lui tendue. A la faveur de son speech du premier jour de l'an 2007, le jeune leader de la rébellion, habille soigneusement son accord dans le manteau d'une concertation préalable avec ses amis de l'opposition ivoirienne. Les professionnels de la politique et les observateurs avertis du marigot ivoirien apprécient la démarche du jeune loup. Le Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (Rhdp) n'a pas d'autre choix que d'encourager les " maîtres " de Bouaké à papoter avec Gbagbo, tant ceux-ci manifestaient le désir d'expérimenter un schéma autre que ceux, inopérants, proposés jusque là par la communauté internationale. C'est donc, ointe de la bénédiction de tous leurs alliés, que la délégation des Forces nouvelles pose ses valises, début février 2007, à Ouagadougou, en vue de donner du contenu au plan de sortie de crise proposé par le chef de l'Etat. Après un mois d'âpres négociations avec le camp présidentiel, les hommes de Guillaume Soro parviennent à un accord qui sera paraphé le 4 mars 2007 par leur mandant et le président Laurent Gbagbo en personne. C'est l'accord historique de Ouaga, qui prend sa source, non pas en novembre 2006, date des négociations sécrètes entre Abidjan et Bouaké, mais bien plus tôt. Si on en croit des sources proches du dossier, c'est dans la seconde quinzaine du mois de septembre 2006 que naît dans l'esprit du locataire du palais présidentiel d'Abidjan l'idée de discuter directement avec la rébellion ivoirienne, afin de sortir du labyrinthe dans lequel la communauté internationale maintient la Côte d'Ivoire depuis bientôt 5 ans. Une idée, confie-t-on, inspirée à Gbagbo par ses amis de l'Afrique australe, dont la face la plus visible reste le président sud-africain, Thabo Mbeki. Après en avoir élaboré le scénario, les deux chefs d'Etat choisissent Ouagadougou pour le casting du facilitateur, vu que dans leur entendement, et pour la circonstance, seul le président burkinabé correspondait au profil de l'emploi. Cela, en raison de ses liens plus qu'étroits avec les combattants de Bouaké. Ils y prennent pied le mardi 26 septembre 2006, en fin de matinée. Accueillis sur le tarmac de l'aéroport de Ouagadougou par le capitaine-président, les visiteurs s'enfermeront 4 heures durant, dans une des salles du centre de conférences du complexe " Ouaga 2000 ". Là, loin des regards curieux, le premier citoyen de la nation arc-en-ciel, déroule le plan concocté par Abidjan. De sources proches de la présidence ivoirienne, on indique que le médiateur de l'Union africaine dans la crise ivoirienne, à l'époque, ne manque pas d'arguments. Il demande, entre autres, à Compaoré de s'inscrire résolument dans un processus de sortie de crise en Côte d'Ivoire. Cela, en rappelant à l'ordre, ses " petits " de Bouaké. Car dira-t-il, le Burkina ne connaîtra jamais de stabilité durable tant que le conflit ivoirien perdurera à ses frontières. Et de l'inviter à saisir l'occasion pour soigner l'image de déstabilisateur "au service de la Françafrique" que l'on lui prête volontiers en Afrique de l'Ouest. Cela, vu que ses parrains, Jacques Chirac et Kofi Annan, s'apprêtaient chacun à sortir de la scène politique internationale, en faisant valoir leurs droits à la retraite. Aussi, pour terminer, le fils de Govan Mbeki, a-t-il assuré Blaise d'un soutien de tous les instants de l'Afrique du Sud. Un plaidoyer qui aura eu en définitive,l'effet escompté, car Compaoré, -après avoir, dit-on, demandé quelques assurances à son vieil ami Laurent Gbagbo-, n'a pas mis longtemps à accepter la proposition à lui faite par les visiteurs : servir de médiateur entre les ex-parties belligérantes ivoiriennes. Pour ramener la paix en Côte d'Ivoire. En somme, c'est au moins depuis septembre 2006 que Laurent Gbagbo a mis en route son plan de sortie de crise à 5 étoiles, dont la proposition de dialoguer directement avec l'opposition armée. Qui a abouti à la signature de l'accord du 4 mars dernier, et qui depuis lors fait naître beaucoup d'espoirs en terre d'Eburnie.

Yves De Sery
Yvesdesery2@yahoo.fr

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