lundi 10 septembre 2007 par Le Matin d'Abidjan

Les cadres supérieurs de la santé de Côte d'Ivoire, réunis au sein de leur tout-puissant syndicat, le Synacass-ci, observent depuis bientôt une semaine, une grève qu'ils qualifient eux-mêmes de sauvage, vu qu'elle a été déclenchée sans préavis et plus grave, se déroule sans service minimum. A l'origine de la mauvaise humeur de nos toubibs, une décision de justice suspendant leur leader syndical sur plainte de la partie dissidente qui guerroie ferme depuis quelques mois pour prendre le contrôle du Synacass-ci. Cela a suffi pour que les médecins rangent blouses, bistouris et autres séringues, abandonnant ainsi les malades entre les mains du mal qui les ronge et de Dieu. Et cela dans un mouvement de grève illimitée. Une mesure jugée radicale pour les uns et incompréhensible pour les autres. Car dans un Etat civilisé et organisé, où tous les citoyens sont égaux devant la Justice et se soumettent à elle, on comprend difficilement que certains ne veulent que triompher. Et ne jamais connaître de revers. En agissant comme ils le font depuis quelques jours, les cadres supérieurs de la santé donnent la nette impression qu'ils n'accepteront dorénavant, de décision de justice que si et seulement si, celle-ci épouse entièrement leur vue. Dans le cas contraire, ils sont prêts à débrayer. Pour donner la mort, volontairement, trahissant en cela le serment d'Hippocrate, qui confère pourtant à leur métier le caractère noble que la société leur reconnaît. Car dans nos sociétés, si les médecins sont craints et respectés, ce n'est pas forcément pour leurs beaux yeux ou pour leur allure de jeunes premiers ou encore d'intellectuels bon teint, mais pour leur capacité à sauver la vie. Dans certaines contrées animistes, l'on a vite fait de les élever au rang de Dieu, tant ils réalisent, par leur art, des miracles à l'image du Très-Haut. Comme par exemple, celui de ramener à la vie un malade que les prêtres Vaudou ou autres " Komien ", avaient déjà déclaré mort. C'est pourquoi, dans nos hameaux et villages, l'arrivée d'un simple infirmier ou d'une sage-femme, constitue un évènement grandiose qui occasionne des festivités, assortis de ripailles sur plusieurs jours. Et même dans chacune de nos familles, combien de fois n'a-t-on pas vu des pères et mères se vanter fièrement d'avoir placé un enfant à la faculté de médecine ? C'est ce précieux capital moral que nos praticiens viennent d'entamer sérieusement aux yeux de beaucoup de leurs concitoyens en donnant ainsi dans la précipitation et l'émotion, face à une décision de justice. Car un syndicat qui se veut fort et structuré n'arrête pas sa vie pour une simple suspension de son leader. N'y a-t-il pas de n° 2, à même de conduire à bien la marche du groupement en attendant que le n°1 vide son contentieux avec la Justice ? Doit-on comprendre ainsi que les cadres de la santé ont arrimé leur destin à Magloire Amichia, tels des frères siamois ? Un sacré veinard, l'ami Amichia, qui ferait pâlir d'envie, bien de leaders syndicaux de notre pays, qui rêvent de vivre pareille solidarité à eux exprimée ! Loin de nous l'idée de jouer les donneurs de leçons, mais il y a dans l'Histoire de la Côte d'Ivoire en lutte pour la liberté et la démocratie, des exemples qui auraient pu instruire les principaux animateurs du Synacass-ci. On pourrait citer, sans ordre préférentiel, le Front populaire ivoirien (Fpi), le syndicat national de la recherche et de l'enseignement supérieur (Synares), et tout près de nous, la fédération estudiantine et scolaire (Fesci) des années 1990. Ces groupements, à chaque fois que le pouvoir central pensait les décapiter, soit en arrêtant le leader, soit en le contraignant à la clandestinité ou même à l'exil, trouvaient toujours les ressorts nécessaires pour rebondir, pour repousser telle une hydre. Et poursuivre le combat là où le n°1 l'avait laissé. C'est essentiellement grâce à cette structuration que ces partis et syndicats ont acquis leur notoriété. Avec un peu plus de maturité, le Synacass-ci aurait pu compléter cette prestigieuse " short list ". Hélas, mille fois hélas ! On peut comprendre qu'ils n'en avaient peut-être pas les moyens, -car cela nécessite une formation syndicale à la base-, mais nos toubibs ont-ils une fois eu la volonté de rester eux-mêmes, c'est-à-dire, dignes et honorables aux yeux des populations qui les ont toujours vénéré? Nous en doutons fort. Car au cours de cette grève, nous avons entendu des énormités du genre : " Le serment d'Hippocrate, ça ne nourrit pas son homme, ça ne paye pas le loyer, ça ne paye pas l'électricité !" Il doit certainement se retourner dans sa tombe, le pauvre Hippocrate, en se rendant compte de ce qu'est devenu son ?uvre sous nos cieux. Car là où l'ancien jurait, entre autres, que : " () Dans quelque maison que j'entre, j'y entrerai pour l'utilité des malades, me préservant de tout méfait volontaire et corrupteur et surtout de séduction des femmes et des garçons, libres ou esclaves. Quoique je vois ou entende en société pendant l'exercice de ma profession, je tairai ce qui n'a pas besoin d'être divulgué, regardant la discrétion comme un devoir en pareil cas. Si je remplis ce serment sans l'enfreindre, qu'il me soit donné de jouir heureusement de la vie et de ma profession, honoré à jamais parmi les hommes ; si je le viole et que je me parjure, puissé-je avoir un sort contraire ! ", ses disciples n'ont aujourd'hui aucun remords à semer la mort autour d'eux. D'ailleurs dans l'exercice de leurs métiers, n'ont-ils pas pour habitude de voir des gens rendre l'âme sous leurs yeux ? Et pour ne rien arranger, le conflit ivoirien, avec ses atrocités connues, est venu durcir davantage les c?urs de nos médecins. Jusqu'où ira-t-on dans cette cruauté et ce désordre social, avec notamment des justiciables auxquels ne saurait s'appliquer le célèbre " dura lex, sed lex " ? Les autorités compétentes gagneraient à reprendre la main sur ces questions fort délicates. Et le chef de l'Etat en premier, lui dont l'image de résistant, de combattant est en train d'être sérieusement écornée ces temps derniers par le désordre et l'anarchie que l'on observe sur le front social.

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