samedi 1 septembre 2007 par Fraternité Matin

Cinq ans après sa fermeture, des ex-employés survivent et meurent dans le dénuement total. Les ex-employés de l'ex-UTEXI, au chômage depuis 2002 et qui n'ont pas encore reçu leurs droits sont aujourd'hui méconnaissables. Ayant regagné le village pour certains ou s'étant réfugiés dans des quartiers précaires pour d'autres, ces hommes vivent la souffrance et meurent souvent dans l'oubli. Avec leurs familles, ils occupent des maisons inachevées, voire dégradées où ils sont exposés à tous les dangers et aux intempéries. Le soir venu, à plusieurs et à même le sol, ils partagent la natte avec les enfants pour dormir. Si ce n'est sur un carton, espérant qu'il ne pleura pas car le toit est perforé par endroits. Selon des voisins, ces malheureux? vivotent.
Jeudi 8 mars 2007. Zone économique, derrière le centre hospitalier régional (CHR). Ici vit Ali Ouattara dans une maison qui a tout à envier aux habitations de haut standing non loin. Son habitation est dépourvue de douche et de toilettes. C'est un véritable hangar. L'électricité lui est fournie par un voisin. Toute la maison est éclairée par une seule ampoule. Reconverti dans la culture d'ignames, l'ex-employé est souvent absent de la maison. Cette reconversion lui permet d'avoir juste de quoi nourrir sa petite famille de trois enfants en attendant de percevoir son droit. Cent mètres plus loin, habitent Oulaï Simplice et sa famille. Leur maison est exposée aux regards des passants.
C'est dans cette galère que je vis depuis quatre ans?, laisse-t-il entendre, peiné. Son épouse, elle, est très occupée par son petit commerce d'attiéké. "C'est grâce à elle que nous arrivons à assister nos six enfants?, revèle son époux. Depuis que l'usine est fermée, l'ex-encolleur?, âgé de 53 ans aujourd'hui, est misérable. Nous sommes réduits à manger une fois par jour. Pour la scolarité de mon fils en classe de troisième, j'ai été obligé de signer une reconnaissance de dettes dans un établissement privé?, confie-t-il. Aucun meuble dans la maison. Sauf quelques tabourets. La famille est coupée du reste du monde. Pas de téléviseur ni de poste de radio. J'ai confié toutes mes affaires à des voisins, faute de moyens pour les entretenir?, dira-t-il. Payer le loyer de 8 000 F par mois est un exercice si difficile pour lui
Ses droits qu'il évalue à 950 mille francs après les acomptes, constituent un véritable pactole à même de mettre du baume au c?ur. Boni Jean-Baptiste, lui, vit avec sa famille dans une maison inachevée, sans porte ni fenêtre, à la merci de tous les dangers. Le tableau d'études de son fils sert de porte centrale à sa maison, la nuit tombée. Fort heureusement, depuis 2002 qu'il occupe ce magasin?, il n'a jamais reçu la visite d'un seul malfrat. "D'ailleurs, qu'est-ce qu'il y a à voler dans cette étendue de poussière?" se demande-t-il. Boni ne désespère pas cependant. Ses camarades d'infortune et lui seront payés tôt ou tard, se convainc-t-il.
M. Koléa Tebily, président du comité ad hoc chargé du suivi des dossiers des ex-employés, affirme que c'est la somme de 400 millions de francs que doit l'usine aux 240 ouvriers restants. Nous étions près de 500 à n'avoir pas perçu nos droits à la fermeture de l'usine. A ce jour, on peut dénombrer une centaine de morts parmi nous?, affirme-t-il. Beaucoup, parmi ceux qui attendent de percevoir leurs droits n'arrivent pas à se soigner convenablement quand ils sont malades. C'est le cas de Koffi Ernest, résidant à la cité Sogefiha. Il souffre actuellement d'une insuffisance rénale. "Où trouver l'argent pour faire une dialyse?", s'interroge-t-il. Kassio Pierre a, lui, perdu la vue.
Combien sont-ils ces hommes valides hier, affaiblis et qui ont prématurement vieilli aujourd'hui du fait de la souffrance? Seul Dieu reste leur espoir. Dans l'ensemble, ces ex-ouvriers n'échappent pas à la crise de logement et à la famine. C'est cette situation que vit Yohou Ignace au quartier Belleville. Il était rentreur? à l'usine. Aujourd'hui, il est photographe. Il est présent à différentes cérémonies pour faire des photos. C'est cela, sa source de revenue. Il espère encore travailler. Si l'usine rouvrait, je pourrais être utile car j'ai 52 ans?, dit-il. La vie qu'il mène est pénible. Cependant, il avoue que beaucoup comme lui ont commis des erreurs dans le passé. "Avant, quand l'usine tournait, on dépensait sans réfléchir, sans préparer l'avenir", confesse-t-il. Et de reconnaître que la vie que mènent aujourd'hui les ex-employés de UTEXI est une école?. Selon le coordonnateur du comité ad hoc, Kolea Tebily, aucune structure ne vient à leur secours. "Nous ne recevons l'aide de personne ni d'aucune structure. Si ce n'est le 1er mai 2003 que M. Kouadio Jean Boni, cadre de Dimbokro, nous a offert 20 tonnes de riz. Mais certains ex-employés n'ont malheureusement pu en bénéficier", indique-t-il. M. Kolea est plein d'espoir. Après plusieurs tentatives de réouverture de l'usine, les dossiers, selon lui, sont en de bonnes mains; celles de la Compagnie ivoirienne de développement du textile (CIDT). "Bientôt, nos droits seront payés. L'usine rouvrira et beaucoup parmi nous pourront être réengagés", lâche-t-il, confiant.
Etienne Zouhoman Bi
Correspondance particulière
Entre nous : Pitoyable
Se retrouver au chômage après avoir travaillé des années durant. Avoir une vie piteuse, après des années de labeur. Sans un sou pour se nourrir, se loger, se vêtir décemment et se soigner. Etre dans la quête perpétuelle du minimum vital pour sa famille et soi. Avec le ferme espoir de rentrer un jour en possession de ses droits. Et mourir par la suite dans le dénuement le plus total. Sans avoir perçu un centime. Quelle misère ! Qu'ont fait ces ex-employés de Utexi pour mériter un tel sort? Rien de mal. Leur tort, c'est d'avoir eu le malheur de travailler dans une entreprise qui produit des pagnes made in? Côte d'Ivoire. Ils ont simplement contribué au rayonnement et au développement de la Côte d'Ivoire. Sur 500 employés, il n'en reste que 240. Qu'attendent donc les responsables de cette entreprise pour mettre fin à la misère de ces pauvres hommes ? Que tous meurent dans le dénuement, abandonnés des siens? Si tel n'est pas le cas, il est encore temps de réagir, de reconnaître le mérite de ces valeureux travailleurs.

Par Nimatoulaye Ba

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