samedi 1 septembre 2007 par Le Nouveau Réveil

Depuis un certain moment déjà, des grèves de revendication ont été déclenchées, notamment dans l'enseignement, tous niveaux confondus. Ces mouvements de revendication étaient conduits par des organisations informelles, puisque jusque-là inconnues du monde syndical. Les organisations syndicales ayant pignon sur rue s'étaient démarquées de ces mouvements qu'elles avaient même assimilés à une forme de rébellion administrative. L'argument que ces organisations ont évoqué est que dans un pays en guerre, un syndicat digne de ce nom ne fait pas de revendications corporatistes, parce que, pour tout syndicaliste, le droit de grève est subordonné au droit au travail, et la sauvegarde de l'outil de travail précède le droit de revendication. Ce qui est juste et que confirme l'histoire des luttes sociales dans le monde. Il fallait donc sauver la République avant de penser aux intérêts corporatistes. Mais voilà que, suite à la déclaration des pouvoirs politiques affirmant la fin de la guerre, des syndicats loyalistes et républicains veulent se lancer dans les mouvements de revendication. Si j'en crois la presse, la centrale Dignité de Basile Mahan Gahé donne, à compter du 24 août, 20 jours au gouvernement pour ramener les prix des produits de première nécessité à un niveau raisonnable. A défaut, elle l'y obligera. Voilà qui me paraît nouveau ! De leur côté, des militants du Front populaire ivoirien qui se sentent oubliés et frustrés s'organisent dans un mouvement dit des sacrifiés et chômeurs du FPI (MOSFPI). Ce qui donne le sentiment que l'on veut faire feu de tout bois. Je comprends tous ces mouvements divers, surtout que pendant que beaucoup d'entre nous souffrent, il y en a qui profitent, et c'est le moins que l'on puisse dire, de la situation de guerre que vit notre pays. En outre, la promotion des cadres non FPI, alors que les cadres FPI ont les mêmes compétences qu'eux, peut être vécue comme une frustration. Cependant, je me pose des questions que je voudrais que chaque Ivoirien et plus particulièrement chaque militant de gauche se pose : Quelle est la qualité du gouvernement actuel sur lequel nous nous acharnons ? Est-ce là un gouvernement de gauche qui ne veut pas prêter une oreille attentive à la situation des travailleurs ? Est-ce là un gouvernement FPI que nous pouvons accuser de sacrifier les militants FPI ? La guerre de libération que nous menons contre la France est-elle vraiment terminée ? Bref, est-ce vraiment le moment de déclencher des mouvements de revendication tous azimuts ? Le faisant, quel(s) objectifs nous fixons-nous ? Et si Gbagbo et son gouvernement de crabes ne répondent pas favorablement, qu'allons-nous faire ? Contester, voire renverser Gbagbo et donc faire la part belle à la France qui ne souhaite que cela ?
J'avoue que Gbagbo nous frustre tous. Moi, par exemple, il me frustre en refusant de rompre les relations diplomatiques avec la France que je considère comme l'ennemie du moment; il me frustre en recevant le Commandant de la force française Licorne avec qui il discute même de l'organisation de notre service civique, alors qu'il ne reçoit pas le Commandant de la force ghanéenne ou bangladeshi ou marocaine. Oui, pour moi, si nous ne rompons pas avec la France (et je comprends que c'est à Gbagbo d'en décider), le minimum serait que la Licorne soit considérée comme une composante de l'ONUCI et soit traitée comme toutes les autres composantes de cette Opération. Je souffre donc quand j'entends parler de réunion quadripartite (FDS, FAFN, ONUCI et Licorne).
Mais, pour moi, notre guerre de libération n'étant pas terminée, les frustrations ne doivent pas nous pousser à l'absurde, car chercher à renverser Gbagbo, ou simplement le contester, c'est devenir un allié objectif de l'ennemi du peuple ivoirien; c'est vouloir retarder la libération des peuples africains. Souvenons, Ivoiriens : hier, la France considérait la Guinée de Touré Sékou Ahmed comme "l'écharde dans la Communauté" pour avoir osé voter "Non" au referendum de 1958. Et le souci de la France de l'époque était "l'aide qu'elle (la Guinée) recevait des pays étrangers", vu que cela "pouvait séduire les territoires fidèles" (cf. Yves Guéna, Le temps des certitudes : 1940-1969. Flammarion, page 87). Et c'est cette humiliation de notre Afrique qui a poussé des Ivoiriens comme Harris Mémel Fotê, Laurent N'guessan Zoukou, Marcel Sokouri, etc., à donner de leur intelligence et même de leur vie à la Guinée qu'ils ont servie. La Côte d'Ivoire est, aujourd'hui, dans le c?ur de la France, la Guinée de 1958. Et nous, Ivoiriens, si nous voulons que des Africains ou des internationalistes viennent, demain, nous aider dans notre lutte d'émancipation, nous devons être les premiers à accepter à faire des sacrifices. Et l'un de ces sacrifices, c'est accepter que certains d'entre nous, que nous devons dénoncer et mépriser, s'enrichissent pendant que nous luttons. Voilà pourquoi je nous propose, toujours, la patience et la vigilance du semeur, car notre lutte, qui sera dure et longue, est exaltante, prometteuse et généreuse. N'est-il pas vrai que nous luttons pour des générations futures d'Ivoiriens et d'Africains ? Nous ne devons donc nous autoriser que la critique et l'autocritique qui, dans une perspective dialectique, sont l'énergétique de toute évolution, en tant qu'elles permettent le dépassement. C'est mon point de vue et je l'assume.

In "Le Courrier d'Abidjan" n°1099 du vendredi 31 août 2007

www.225.ci - A propos - Plan du site - Questions / Réponses © 2023