mercredi 29 août 2007 par Le Matin d'Abidjan

Comment le présenter à nouveau ? L'auteur du brûlot " Liberté confisquée : le complot franco-africain ", journaliste, Bernard Doza, passe dans l'hexagone pour le spécialiste des questions africaines. Ce qui lui vaut, malgré, sa suspension sur la radio " média tropical " où il présentait le journal de midi, depuis 2003, d'être sollicité par les médias français à chaque rebondissement de crise en Afrique et principalement en Côte d'Ivoire, son pays d'origine. Ami de plusieurs chefs d'états d'Afrique et jeunes étudiants des années 90, Bernard Doza, prétend incarner l'alternative politique là où l'ancien régime du parti unique et l'actuel né du multipartisme peinent à libérer véritablement les peuples d'Afrique du joug du colon.

Récemment vous avez annoncé votre retour en Côte d'ivoire. Où en est le projet ?
J'ai annoncé mon retour en Côte d'ivoire, parce que depuis 2005, plusieurs personnes m'ont approché. Certaines se réclamant de la présidence ivoirienne sont venues me voir pour tenter de me rapprocher du président Gbagbo. Je leur ai dit qu'entre moi et Gbagbo, il n' y a jamais eu de contentieux sinon idéologiques.

Avez-vous des noms des gens qui vous ont approché ?
Il y a un diplomate ivoirien en poste à Paris, un conseiller du chef de l'état et des proches de la première dame. Qui sont venus me voir pour discuter. Et comme je constatais que c'était des discussions dans lesquelles on ne s'entendait pas, car là où je pose la question politique et idéologique, eux parlent du matériel, de l'amitié entre moi et le président. Voilà pourquoi j'ai décidé moi-même d'anticiper mon retour, pour que moi-même, sous cette pression, je puisse travailler effectivement à finir mon livre "liberté confisquée II : le temps de la révolution" avec lequel je rentrerai à Abidjan. Pour que les ivoiriens sachent que le combat que j'ai mené avec des amis depuis 1983 sur les antennes de radios à Paris, qui était celui de l'émancipation du peuple ivoirien est arrivé à terme, parce que quand on voit la jeunesse d'Abidjan aujourd'hui qui dénonce la sous-préfecture de la France ; qui considère que Chirac est un dictateur ; quand on voit Gbagbo lui-même dire qu'il n'est pas un sous-préfet de la France, des termes que j'ai crées ici à Paris dans ma chambre, j'ai compris que la jeunesse africaine devenant mûre, il faut passer au temps de la révolution. Voilà pourquoi j'ai décidé de rentrer.

Tout le monde sait que vous n'avez pas pignon sur rue à Abidjan. Comment va se passer votre installation ?
De 1980 à 1990, j'ai formé toute une génération d'ivoiriens ; la jeunesse qui contestait le régime en place était galvanisée par les émissions que je faisais depuis Paris. Ce sont des jeunes qui ont été formés à partir des cassettes de Doza, dans les cités universitaires. Dire que je n'ai pas pignon sur rue, je dis non, car Doza en tant qu'intellectuel, a apporté le leitmotiv à une jeunesse qui n'avait pas les mots nécessaires pour dénoncer l'impérialisme français dans ses 14 colonies africaines.

Où allez-vous dormir concrètement à Abidjan ?
J'ai quitté le pays depuis 25 ans. Si je n'ai pas les moyens de me payer une chambre d'hôtel, je débarque directement au domicile du président Gbagbo où je l'avais trouvé en 1988 quand il était en résidence surveillée. Je peux aller dormir là. Après tout, il reste mon frère. Mais ce n'est pas la question de dormir qui pose problème.

Parlant de la question idéologique, selon vous, où se situent les différents partis politiques ivoiriens ?
Le FPI est un parti de gauche. C'est la gauche qui s'est battue depuis 1980 afin qu'en Côte d'Ivoire nous quittions le parti unique pour aller vers le multipartisme. Ceux qui étaient au pouvoir, les Alassane Ouattara, Bédié, Houphouët, ceux-là constituent la droite. Le combat que nous menons aujourd'hui, c'est pour que cette gauche qui a pris le pouvoir (gauche sociale démocrate) et qui en prenant le pouvoir a fragilisé la gauche socialiste, la gauche révolutionnaire comprenne que la droite n'est pas complètement désarmée. Car c'est cette droite qui est derrière la rébellion, c'est elle qui finance tous les journaux dits d'opposition et qui sont prêts à casser le discours du pouvoir en place.

Vous publiez en couverture de votre prochain livre, la photo des jeunes patriotes brûlant le drapeau français. Pourquoi cette image ?
C'est un symbole fort. La France possède depuis 1885, et principalement depuis1929, après le traité de Versailles, 14 pays africains francophones. Ces pays constituent la vache à lait de la France. Si aujourd'hui, un drapeau français est brûlé à Abidjan, capitale des intérêts français, à la couverture d'un livre dont le titre est : le temps de la révolution, c'est un livre qui répond à la nouvelle droite française comme Sarkozy, qui rappelle à la jeunesse africaine, que la jeunesse d'aujourd'hui qui gouverne la France n'est pas responsable des faits que leurs pères ont causés en Afrique dans la colonisation, néo-colonisation ; des assassinats commis, et il faut qu'on les regarde aujourd'hui comme des nouveaux hommes sans leur faire porter le boulet de l'esclave et la colonisation. Les français sont libres de dire ce qu'ils veulent, mais c'est nous, intellectuels africains qui avons échoué à travers le discours de Sarkozy. Parce que si l'Afrique avait montré un autre visage, Sarkozy ne pouvait pas dire de telles âneries en 2007. Depuis que De Villepin a été séquestré à Abidjan, aucun responsable politique français n'ose fouler le sol ivoirien. Cela veut tout dire. Car je suis persuadé que Sarkozy n'aurait eu le courage de tenir un tel discours à Abidjan.

Comment expliquez-vous la grogne des jeunes patriotes face au chef de l'état à qui ils demandent d'intervenir auprès du conseil de sécurité des nations unies afin que soient levées les sanctions onusiennes à l'encontre de leur leader, Charles Blé Goudé ?
Les jeunes patriotes n'ont pas tort. J'avais fait une interview dans un journal de la place depuis Bangui, la capitale centrafricaine en 2004 où j'avais lancé un appel aux patriotes pour qu'ils se structurent en mouvement de libération de la Côte d'Ivoire tout en collaborant avec les Institutions. Si les patriotes restent uniquement un mouvement de soutien au chef de l'état, lequel a affaire à plusieurs dossiers, il est clair que les revendications urgentes de ces derniers ne parviennent pas directement à lui ou qu'ils aient d'autres priorités. Cela pose la problématique suivante : pourquoi se sont-ils constitués en patriotes ? Pour eux, le patriote est celui qui soutient uniquement les institutions ou celui qui se bat pour l'indépendance de son pays ? Or quand quelqu'un se bat pour l'indépendance de son pays, il se donne lui-même les moyens de sa politique. Les moyens au prime abord, sont idéologiques, militants. Or lorsqu'on aborde ces thèmes, on ne revendique plus rien. Mais quand on constitue un mouvement patriotique comme moyen d'aller prendre des subsisdes auprès du pouvoir politique, on se retrouve frustré parce que généralement, ce dernier n'étant pas demandeur. Voilà pourquoi je demande aux jeunes patriotes d'écrire une vision de la Côte d'Ivoire, une vision de leur combat. Qu'est-ce qui nous dit ce que Gbagbo deviendra dans dix ans ? Le départ du pouvoir de Gbagbo signifiera-t-il la fin du patriotisme ? Le patriotisme incarne la mémoire d'un peuple et non celle d'un individu.

Quelle analyse faites-vous du rebondissement de l'affaire Kieffer ?
Quand j'ai appris le rebondissement de l'affaire Kieffer, j'ai compris que le président Laurent Gbagbo ne viendrait plus à Paris comme annoncé. Depuis juillet, les quotidiens français et Jeune Afrique annonçaient l'arrivée imminente de Gbagbo à Paris, appuyé sur l'épaule de Bolloré. Or nous savons tous que ce sont Bolloré et Bouygues qui sont derrière la rébellion en Côte d'Ivoire du fait de la remise en cause des contrats gré à gré qui leur avaient été signés depuis l'époque Ouattara. L'arrivée donc d'un Gbagbo à Paris sur l'épaule de Bolloré supposerait que la Côte d'Ivoire rentre dans une ère de capitulation. Quand j'ai entendu son discours sur une chaîne sud africaine et lu un autre dans le journal Le monde, le 3 août dernier, j'ai compris qu'il ne viendra pas. C'est donc parce qu'on a compris qu'il ne viendra plus que l'affaire Kieffer est sortie comme par hasard d'un coup de chapeau. Moi, ce qui me surprend dans cette affaire, c'est qu'à chaque fois on trouve quelqu'un qui vient devant les caméras dire que le capitaine Toni Oulaï était en fait l'exécuteur du journaliste franco-canadien Guy-André Kieffer. Mais, qui a fait sortir Toni Oulaï de la Côte d'Ivoire ? C'est la DGSE. C'est un agent local des services secrets français qui a pris Toni Oulai pour l'emmener au Sénégal. C'est encore eux qui lui ont donné un visa pour la France. A Paris, Toni Oulaî vient d'avoir une carte de séjour de dix ans. Par deux fois, le juge Ramael l'a arrêté, mis en prison et relaxé. J'ai l'impression que l'affaire Toni Oulai et Kieffer est devenue une sorte d'épée de Damoclès qu'on agite. Exactement comme l'affaire du bombardement de Bouaké.

Quel commentaire faites-vous de la rencontre de ADO avec ses militants d'Europe, le week-end dernier à Paris ? Peut-on dire que le serpent n'est pas mort ?
Je ne considère pas Alassane Ouattara comme un serpent. En politique, il y a des gens qui sont déjà dépassés par le temps. Mais qui veulent se maintenir en essayant de faire comprendre à leurs militants qu'ils sont vivants, c'est leur droit. Ado n'est pas n'importe qui en Côte d'Ivoire. Premier ministre, nommé par Houphouet-Boigny avec un mandat clair : vendre les secteurs vitaux de l'économie ivoirienne, les brader aux mains des multinationales, afin de fragiliser le peuple ivoirien déjà amaigri par 40 ans de pillage du parti unique. C'est le même Ouattara qui a instauré la carte de séjour en Côte d'Ivoire. Aujourd'hui, nous sommes dans une Côte d'Ivoire où l'on parle avec tout le monde. Sans que la question du jugement de l'ancien régime ne fasse débat. J'apprends même que des dignitaires du Pdci émargent à la présidence de la république.

Mais que dites-vous quand Ouattara promet l'école gratuite en Côte d'ivoire, s'il est élu président ?
Ouattara est un agent du FMI qui est venu pour spolier encore plus le peuple ivoirien. Quand on est envoyé par le Fmi pour faire payer les dettes à un pays qui sort de l'esclavage et de la colonisation sans dédommagement et qu'on a livré à la néo-colonisation avec des entreprises françaises, propriétaires à 80% de toute l'économie du pays, quand on veut faire payer aux Ivoiriens le peu qui leur reste, on ne peut pas venir dire qu'on va créer en Côte d'Ivoire l'école gratuite. C'est plus que de la provocation. Où va-t-il trouver le financement de son école gratuite ? Peut-on être un agent du Fmi et parvenir à lui arracher de l'argent ? Alors que nous leur devons de l'argent officiellement ? Je crois qu'il ne faut pas mentir au peuple. Aujourd'hui n'importe qui ne doit pas venir en Côte d'Ivoire et promettre lune et merveille. Ouattara ne peut pas s'arroger un discours social. C'est faux. Cela s'appelle le mensonge en politique.

Propos recueillis par
Philippe Kouhon
Philippe.kouhon@gmail.com



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