samedi 18 août 2007 par Le Nouveau Réveil

Les signes sont encore visibles. La cabane incendiée d'où on voit des chaussures que leur propriétaire n'a pas eu le temps de porter, témoigne plus que tout de la violence de l'attaque. Sur les visages de ceux qui ont vécu la "captivité" de ce lundi de juillet, se lit encore la terreur mais aussi cette révolte muette face à un sentiment d'impuissance. Le village de Yaou précisément la grande famille Ekressin vit désormais au rythme des soupirs ravalés et des larmes écrasées depuis le lundi 16 juillet 2007. Ce jour-là, raconte Lazare Ekressin, la trentaine à peine "on était en train de travailler sur notre parcelle de terre (située après Moossou, Ndlr) que nous aménagions pour faire de la pisciculture et une cinquantaine d'hommes sont arrivés, armés de machettes, de gourdins et même de pistolet. A leur tête se trouvait M. Ehivet Raymond qui est le frère de Mme Ehivet Gbagbo. Ils ont dit aux dix ouvriers d'arrêter les travaux. Moi, j'étais dans le dortoir du personnel un peu éloigné du lieu où se déroulaient les travaux. Ils ont envoyé quelqu'un m'appeler. Je suis parti les rencontrer. Quand M. Ehivet m'a vu, il a dit "le voilà". Le groupe a alors dit : "arrêtez les travaux, levez les mains et allons à la cour royale de Moossou car nous venons de la part du roi". Alors ils se sont jetés sur nous. Ils nous ont frappés. Ils ont "machetté" certains parmi nous et ont incendié le dortoir. Le matériel, les vêtements mêmes, des cartes d'identité, de l'argent ont été brûlés. Ils nous ont conduits de force à la cour royale de Moossou. Ils avaient des boissons fortes, de la poudre de tabac dans leurs mains. Ils étaient très excités. Ils m'ont bien battu : des gifles, des coups de bâtons sur la tête, etc. Ils ont obligé quelques ouvriers (qui soit dit en passant ne sont pas de Yaou. Ils sont venus de Bonon) à boire l'eau sale provenant de la boue qu'ils creusaient. Ils ont rattrapé et bien battu un autre qui tentait de fuir. Ils nous ont ensuite placés en file indienne en nous battant pour nous conduire à la cour royale. Je précise qu'ils ont volé les lampes et ont obligé deux personnes à porter les deux sacs de riz destinés à la nourriture du personnel. Sur la route, Ehivet ne cessait de dire que rien ne pouvait leur arriver. Et que s'ils entrent en prison à 7h, à midi, ils sont libérés. Au niveau du pont de Moossou, à l'entrée du village au corridor (de la police), nous nous sommes dit " tiens, nous sommes en moment de guerre et à la vue de cette masse, sans doute il y aura une intervention. J'étais même prêt à réagir autrement pour attirer l'attention des policiers. Chose désagréable, ceux-ci avaient tendance à apprécier le convoi. Il y en a un qui a même demandé au groupe : "c'est comment ? Vous avez fini votre opération ?". Un membre du groupe des agresseurs a répondu : "C'est propre". J'étais désespéré surtout qu'ils m'ont dit que moi personnellement, ils me tueraient. Il y en a un d'ailleurs qui a voulu me jeter du haut du pont. Je lui ai demandé pardon. Une fois à la cour royale de Moossou, ils nous ont enlevé nos chemises et nos chaussures. Ils nous ont exposés au soleil et ont continué à nous battre jusqu'à ce que le chef notable Kamon arrive et que l'assemblée se calme un peu. Il est venu, il a dit merci au groupe et a ajouté qu'il ne savait pas que l'opération allait être si facile et rapide. Il a pris deux bouteilles de gin pour leur dire merci. Par la suite, ils m'ont appelé et m'ont demandé qui m'a donné l'autorisation de travailler sur le site. Je leur ai répondu que je n'ai pas décidé de mon propre chef d'y entreprendre des travaux et que c'est la notabilité de Yaou qui m'a donné l'autorisation. Il m'a dit de citer certains noms. J'ai cité le chef notable et le propriétaire terrien. Je rappelle que Ehivet a appelé mon oncle pour lui dire que la guerre est déclarée et que s'il est un garçon qu'il le trouve à Moossou où il l'attend. Ils ont ensuite appelé mes parents. Ces derniers sont arrivés à la cour royale et ont entamé les discussions pour qu'on nous libère. Après plusieurs hésitations, ils nous ont libérés". Impunité
La "captivité" aura duré de 11 heures aux alentours de 15 heures. Une autre captivité attendait Lazare Ekressin et ses travailleurs. Celle de l'administration. Selon son témoignage en effet, aussitôt libérés, ils se sont rendus à la gendarmerie de Grand Bassam afin d'y déposer une plainte. " Le commandant de brigade n'était pas là. Le gendarme qui nous a reçus nous a dit de nous référer à la cour royale de Moossou. Nous lui avons rétorqué que c'est bien de là-bas qu'on venait. Il nous a répétés que nous devrions nous référer à la cour royale de Moossou qui doit au préalable nous donner une autorisation. Nous avons compris. Nous sommes donc sortis de la gendarmerie et nous nous sommes rendus à l'hôpital de Grand Bassam pour nous faire soigner ". Des certificats médicaux relevant les traumatismes subis par les jeunes gens ont été délivrés. Lazare Ekressin fait savoir qu'après que la police eut laissé passer le groupe au corridor de Moossou, après que la gendarmerie eut fermé ses portes à sa plainte et à celle de ses travailleurs blessés, les notables de Yaou ont rencontré, par la suite le roi de Moossou nanan Assoumou Kanga qui aurait promis de leur faire appel, "le soir, après s'être concerté avec ses notables". Cela n'aurait jamais été fait. Aussi, le président du conseil général de Grand Bassam Innocent Akoï, cadre du Front populaire ivoirien (FPI, parti de Simone Gbagbo dont il est un proche) a-t-il été saisi. C'est le chef notable de Yaou nanan Jacob Nobou qui a conduit la délégation de quatre personnes. Selon le témoignage d'un membre de cette délégation, Innocent Akoï a dit son inquiétude de voir un autre conflit éclater entre les Abouré eux-mêmes alors que ceux-ci sont déjà en conflit avec les Gwa. "Il a dit qu'il allait chercher à harmoniser ce problème et nous a conseillé de ne pas envoyer l'affaire en justice ni de réagir. Les émissaires sont venus rendre compte à la population. Celle-ci a marqué son accord et a dit qu'elle attendait la suite". La suite ne viendra pas. Puisqu'à notre passage à Yaou, le samedi 4 août, Innocent Akoï n'avait pas encore rappelé ses interlocuteurs, encore moins, trouvé une solution heureuse à l'affaire. Après la fête de l'indépendance, le préfet de Grand Bassam et le sous-préfet de Bonoua devraient être saisis par les habitants de Yaou. Simone Ehivet Gbagbo devrait être aussi saisie par ceux-ci. Au moment où nous mettions sous presse, il apparaît évident que Yaou a frappé à de nombreuses portes. Sans suite. Il semble qu'à Grand Bassam, autorités coutumières et administratives se sont passé le mot pour classer le dossier "très sensible" et renvoyer aux calendes grecques, tout ce qui touche à la famille de Simone Ehivet Gbagbo.

André Siver Konan

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