jeudi 16 août 2007 par 24 Heures

Le ministre de la Justice, Mamadou Koné, a accordé hier une interview à RFI. Les maux qui gangrènent la justice ivoirienne, les audiences foraines et d'autres sujets brûlants de l'actualité, etc. ont constitué le menu de l'entretien.

? Vous venez d'affirmer que les critiques formulées à l'égard de la justice ivoirienne sont parfois fondées. Qu'entendez-vous par là et qu'est-ce qui ne va pas ?
J'entends par là que certaines décisions de notre justice, les plus nombreuses, heureusement, sont considérées par une bonne partie de justiciables comme bonnes et acceptées. Malheureusement, certaines ne les satisfont pas, et ils les critiquent et font savoir leurs mécontentements. Ces critiques sont de plus en plus récurrentes. Et ce qui ne va pas, c'est qu'il y a que la justice ivoirienne, comme toute autre ?uvre humaine, est fatalement et malheureusement imparfaite. C'est d'ailleurs pour cela que le législateur a prévu des voies de recours à tous les niveaux pour essayer de corriger les erreurs qui peuvent intervenir dans le processus de décision de justice.

? Vous dites qu'il y a un manque criant de locaux, de bureaux. Mais un récent rapport de l'Onuci évoque la gangrène de la corruption au sein de la justice. Qu'est-ce que vous en pensez ?
Oui, le manque de locaux est criant. C'est sûr. Si vous visitez les palais de justice, que ce soit à Abidjan ou à l'intérieur du pays, vous constaterez que les magistrats sont installés à trois ou quatre et parfois même en pool dans des locaux qui sont initialement conçus pour une seule personne. C'est de nature à porter atteinte au moral des magistrats, et partant, à leurs performances. Il y a aussi le manque de matériel. Le matériel informatique par exemple est encore une denrée plutôt rare dans les palais de justice. Mais toutes ces questions matérielles sont bien connues et l'Etat de Côte d'Ivoire qui travaille à y trouver des solutions. Maintenant, en ce qui concerne la gangrène de la corruption dont parle le rapport de l'Onuci, je voudrais laisser aux auteurs de ce rapport, l'entière responsabilité de leur diagnostic. En ce moment, c'est vrai, on note un certain déficit de confiance entre les Ivoiriens et leur justice. Mais, il faut qu'on évite de voir derrière chaque dysfonctionnement de l'institution judiciaire, une des zones sombres de la corruption. Il suffit d'un grain d'arachide avarié pour en recracher toute une bouchée. Mais notre justice compte encore beaucoup de magistrats qui accomplissent consciencieusement leurs missions. Je pense qu'il ne faut pas décourager ceux-là. Il faut au contraire les encourager.

? L'Onuci a proposé de créer une commission chargée de la lutte contre la corruption. Qu'est-ce que vous en pensez. ?
Est-ce qu'il ne faut pas se faire beaucoup d'illusion sur les commissions ?
La corruption étant une mauvaise chose, toute initiative visant à la combattre est la bienvenue et mérite d'être encouragée. Encore que les commissions, comme vous le faites remarquer, sont utiles, à condition qu'elles ne tombent pas dans une bureaucratie stérile et inutile.

? Pourquoi avez-vous lâché cette petite phrase sur la faiblesse de la justice ?
Est-ce que ce n'est pas une façon d'annoncer un grand ménage par exemple au niveau des magistrats ?
Dans la mesure où on reconnaît qu'il y a problème au niveau de la justice, je pense qu'il est bon qu'on y trouve une solution. Et si la solution passe par un grand ménage, je pense qu'il faut le faire. Effectivement, la justice ivoirienne souffre aujourd'hui de ses hommes et de ses structures. Il est bon de revoir tout cela et de mettre en place une structure et des hommes qui peuvent redonner confiance aux uns et aux autres.

? Les magistrats vous ont récemment présenté leurs doléances, à savoir l'amélioration de leurs conditions de vie. Ils sont allés jusqu'à dire qu'ils sont les oubliés de la sortie de crise, surtout ceux issus des zones des Forces Nouvelles. Non, les magistrats n'ont pas posé les problèmes en ces termes. Les magistrats ont formulé un certain nombre de préoccupations, en insistant de manière spéciale sur le cas des magistrats déplacés de guerre. Mais il faut retenir que les magistrats n'ont pas attendu la crise pour poser leurs problèmes. Il y a quelques années de cela, avant même le déclenchement du conflit, ils sont descendus dans la rue en toge pour attirer l'attention des uns et des autres sur leurs conditions matérielles. Le problème ne s'est donc pas posé en terme de magistrats qui seraient les oubliés de la crise. Le problème a été posé en terme de conditions à améliorer dans la vie et dans le travail des magistrats.

? Y aurait-il des problèmes de répartition des magistrats et autres professionnels de la justice notamment dans les zones Nord ?
Oui, c'est vrai, en 2006, les nominations et affectations de magistrats avaient entraîné quelques tensions. Mais à la faveur de la dynamique de paix résultant de l'accord politique de Ouagadougou, ces tensions sont retombées, et je pense qu'il est préférable de ne pas les raviver en évitant autant que faire se peut de regarder dans le rétroviseur.

? En perspective des élections générales à venir, est-ce que la justice est prête à garantir des élections transparentes ?
Autrement dit, est-ce qu'on peut faire confiance aux audiences foraines qui ont remis en cause le travail des magistrats ?
Je pense que c'est mal connaître les magistrats ivoiriens. Je vous disais tantôt que les magistrats ivoiriens n'ont pas attendu la crise que vit notre pays pour poser leurs problèmes. Mais cela ne les a pas empêchés de travailler jusqu'à présent du mieux qu'ils pouvaient. Les audiences foraines ont toujours eu lieu. C'est parce qu'elles se déroulent aujourd'hui dans un contexte particulier, notamment dans la perspective des prochaines élections qu'elles focalisent l'attention des uns et des autres. Mais, ces audiences foraines seront organisées suivant un mode opératoire qui sera consensuel que je vais préparer et que je soumettrai au gouvernement et à tous les partenaires aux élections. Ce mode opératoire sera validé et sera appliqué par tous les magistrats. Je ne vois pas pourquoi les magistrats iraient jusqu'à boycotter les audiences foraines, tout simplement parce qu'ils sont mal payés. Les magistrats ont toujours posé leurs problèmes, mais ils n'en ont pas fait un préalable avant de bien faire leur travail.

Propos recueillis sur RFI par M.D.

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