vendredi 10 août 2007 par Nord-Sud

Installé au Mali depuis le début de la crise qui a secoué son pays depuis 2002, le reggaeman ivoirien, Tiken Jah Fakoly, mettra au mois de septembre prochain un nouvel album sur le marché. Contrairement à ses anciennes productions, l'artiste présente un autre visage de l'Afrique. Interview.



Votre installation à Bamako a-t-elle fait évoluer votre vision des problèmes liés à la globalisation ?

J'ai toujours dit que le problème avec la mondialisation c'est que le gâteau n'est pas partagé de la même manière. Je chante l'unité et je ne peux pas être contre le fait que les pays du monde se mettent ensemble. Mais la question qui me préoccupe, comme beaucoup d'alter mondialistes, concerne le partage équitable.





Pourquoi avoir intitulé votre nouvel album "L'Africain" ?

Parce que cet album traite à 80 % de l'Afrique et des Africains. Pendant longtemps, j'ai parlé des rapports entre l'Occident et l'Afrique, du comportement des hommes politiques occidentaux en Afrique et même dans leurs pays. Cette fois, j'ai décidé de faire un album pour essayer de redonner à l'Afrique une image dont je ne parle pas très souvent. Quand je dénonce le comportement des gouvernants africains, certaines personnes peuvent avoir une mauvaise image de ce continent. J'ai donc décidé de faire un break, en disant : voilà ce que je dénonce et je ne me contredis pas, mais voici ce qu'est réellement le continent africain, contrairement à ce que l'on veut vous faire croire.

Cet album parle d'unité africaine. Il est destiné à revaloriser l'Afrique. Dans la chanson "Viens voir", par exemple, je dis que pour qu'un Occidental parle de l'Afrique, il faut qu'il y fasse un tour. Il n'est plus question qu'il s'installe devant sa télé à Paris ou à New York pour raconter ensuite qu'il a vu les Africains se massacrer au Darfour, que dans tel pays il y a tel pourcentage de gens atteints du sida, etc. Non ! Il faut venir en Afrique pour voir comment les Africains accueillent leurs semblables. J'ai envie de montrer aux gens les côtés positifs de l'Afrique.





Au moins deux chansons de l'album sont inspirées de votre expérience en France, "Africain à Paris" et "Gauche Droite". Votre distance par rapport à la situation française vous permet-elle de mieux cibler vos critiques ?

Oui. Aujourd'hui, je suis un peu en France comme j'étais en Afrique. Pendant la campagne électorale, on m'a même invité à participer à un meeting de Ségolène. Je n'y suis pas allé, parce que si nous, leaders d'opinion, nous dénonçons l'ingérence des politiques français en Afrique, il n'est pas question que nous venions nous ingérer dans les affaires françaises. Nous laissons aux Français le choix de leur président. Maintenant, nous demandons à ce président élu (Ndlr : Sarkozy) par la majorité des Français de voir le cas de l'Afrique d'une manière différente de celle de son prédécesseur.

Dans "Africain à Paris", j'explique la vie d'un Africain à Paris. Il s'agit d'expliquer aux jeunes Africains qui veulent partir en Europe deux choses. D'abord que les Européens n'ont pas le droit de leur dire de ne pas partir, parce qu'ils viennent chez nous quand ils veulent. Ils demandent le visa le matin, on le leur donne le soir ou le lendemain. Il doit y avoir entre 0 et 1% de refus de visas pour l'Afrique, alors que dans le sens contraire, c'est entre 60 et 70 %. Et c'est une injustice flagrante qu'il faut dénoncer. Ensuite, qu'ils doivent comprendre que leurs frères qui sont à Paris ne vivent pas sur l'or. Ils envoient des photos où ils posent bien habillés devant la Tour Eiffel, mais ils ne montrent pas le lit dans lequel ils couchent. Il y a un leurre dans cette histoire. Si l'on expliquait aux jeunes qui sont en Afrique dans quelles conditions vivent leurs frères à Paris, ça les ferait beaucoup réfléchir avant de prendre le chemin de la traversée du désert.

C'est ce message que je fais passer à travers trois titres : "Où aller où", "L'Africain à Paris" et "Ouvrez les frontières". Nous avons le droit de partir, mais voilà ce qui nous attend. Alors que nos aïeux ont subi l'esclavage, est-ce qu'en 2007 nous avons le droit d'aller vers cette nouvelle forme d'esclavage bien réel ? Qu'on le veuille ou non, les autorités françaises savent que les sans-papiers existent. Elles ne veulent pas leur donner de papiers, parce qu'en ce cas, ils seraient traités de manière légale. Maintenir cette main-d'oeuvre dans cette situation est une autre forme d'esclavage. J'essaie d'expliquer aux jeunes cette situation que leurs frères, sous-payés pour des travaux dégradants en Europe ou aux États-Unis, ne leur expliquent pas.





Source Le Quotidien Mutations (Cameroun)

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