jeudi 9 août 2007 par Le Nouveau Réveil

Bâtir toute une stratégie politique sur quelque chose qui ne reste qu'une utopie est difficile à comprendre aujourd'hui. La communauté internationale n'existe pas. Il n'y a pas encore de liens entre Etats présentant des analogies assez profondes pour favoriser l'éclosion de ce qui pourrait être nécessaire pour construire une communauté de destin. Les différences de races, de cultures, de civilisations séparent encore au lieu d'assembler les peuples. La preuve, les conflits claniques, tribaux, ethniques, régionaux persistent comme facteurs de division. Des déséquilibres croissants des niveaux de développement aggravent le fossé entre les Etats. Ici réside toute la difficulté de l'organisation des Nations Unies qui s'efforce de présenter au monde un droit international comme un droit de la communauté internationale alors que celle-ci n'existe pas. La tendance des Etats à affirmer leur souveraineté souvent au détriment de la solidarité internationale illustre bien la situation. D'ailleurs, l'ONU n'a pas d'autres tâches que de veiller sur un droit international qui organise strictement les relations de coexistence entre les Etats membres et rien de plus. Au-delà de la question de la race et de la culture, on note aussi fondamentalement une compétition cruelle entre Etats pour la survie de leurs ressortissants et de leur prestige, qui répudie le concept même de communauté internationale. En effet, l'économie prend une importance prédominante dans les relations internationales, autant d'importance que les facteurs géostratégiques.
Les affrontements économiques ont lieu dans des aires multidimensionnelles à l'intérieur desquelles chacun des adversaires essaie de prendre le dessus sur ses concurrents, soit en exportant son modèle de consommation au monde, soit en plaçant les autres dans une position de dépendance. Encore plus inquiétant, les petits Etats sont appelés à faire face à des entreprises géantes, puissantes, organisées et conquérantes, capables d'agir sur des options purement politiques. Pour être plus claires, elles peuvent faire ou défaire des gouvernements. Le capital personnel d'une seule entreprise dépasse la somme des budgets des Etats de la CEDEAO. Loin de contribuer à l'équilibre mondial, le conflit purement économique et technologique ouvre les vannes de l'instabilité. François MITTERRAND, dans une de ces adresses aux Français, disait ceci : "on n'y voit qu'un champ de bataille où les entreprises se livrent à une guerre sans merci. On n 'y fait pas de prisonniers. Qui tombe meurt ". Pour dire que ce conflit va durer et les plus faibles seront purement et simplement liquidés. Nicolas SARKOSY ne dit pas autre chose.
Révolté, voici ce que écrivait un fonctionnaire français de la coopération dans le journal le Monde : " lequel de nos ministres aurait le courage de dire aux Français ce que nous avons donné à des administrations africaines pléthoriques et inutiles ?... Nos priorités sont ailleurs en Europe et en Asie... Pourquoi persévérer à privilégier les affreux régimes africains ? "
Dans cette lutte à mort, les petits pays qui intéresseront seront ceux qui renfermeront non seulement des matières premières dites sophistiquées mais aussi ceux qui proposeront une économie saine, capable de compétir et gérés par des gouvernements légitimes (d'ailleurs cette dernière conditionnalité est facultative). Aujourd'hui, un câble de fibre optique de 50kg peut transmettre autant d'informations qu'une tonne de fibre de cuivre. On peut deviner le sort des Etats qui continuent de bâtir leurs économies sur une seule matière première classique comme le cuivre, le plomb ou même le nickel, le café et le cacao, etc. Avec la biotechnologie, l'on peut tout produire en laboratoire. Et c'est le statut même de matière première qui change de nature. C'est donc à la lecture de cette nouvelle réalité stratégique qu'il faut comprendre la légèreté avec laquelle le conflit ivoirien est géré par la société internationale. Même si la Côte d'Ivoire est essentielle pour l'UEMOA. Toute l'Afrique noire pèse au plus 1% du commerce international. A peine l'on s'en rendrait compte si elle est rayée de la carte du monde, disait un expert de la finance internationale. Alors pourquoi donc mourir pour la Côte d'Ivoire ? Sur la liste des préoccupations onusiennes, la Côte d'Ivoire est inscrite entre la 70ème et la 75ème positions. Peut-être après les ours blancs de l'antarctique. L'imposante bâtisse américaine à la riviera répond à une analyse stratégique qui n'inscrit pas forcément la Côte d'Ivoire. A la différence de certains intérêts privés français, la grande France peut se passer de la Côte d'Ivoire pour vivre. La Chine toujours tiers-mondiste ne réfléchit pas autrement. Le conflit ivoirien a intéressé les Nations Unies pour trois raisons principales :
-la première, la Côte d'Ivoire figure dans la zone d'influence française, donc il revient à l'Etat français de ne pas lui être indifférent ;
-la deuxième, le secrétaire général des Nations Unies de l'époque était ressortissant d'un pays frontalier dont la sécurité intérieure et extérieure était menacée par la crise ivoirienne. Le lobbying de cette personnalité a été déterminant ;
-et enfin la troisième, la diplomatie active de la république sud africaine répond certes à un souci de renaissance africaine mais sa vertu n'exclut pas la conquête de l'espace commercial francophone. Cette puissance militaire qui se veut continentale a aussi besoin d'un certain nombre d'axes stratégiques pour renforcer sa capacité de communication avec l'extérieur. La façade atlantique reste un de ces enjeux importants.
Et la vie des Ivoiriens dans tout ça ? Elle ne semble pas constituer une raison suffisante. Le crime Trafigurien doublé du silence de l'Union européenne le confirme. Kofi ANNAN est parti, la France, tout en prenant conscience de sa solitude dans cette crise ivoirienne, vit aussi un vrai débat intérieur entre un puissant milieu d'affaires de plus en plus pragmatique et une classe politique soucieuse d'une relation privilégiée avec l'Afrique. Malgré ces surprenantes erreurs d'analyse sur la crise ivoirienne, l'Etat français a su prendre ses responsabilités quand il le fallait.
Tout redevient possible en Côte d'Ivoire. Des libertés prédatrices pourraient encore surgir du fait de ce désordre international transformé en une société coupe-gorge. Les discours cryptés de la confrérie onusienne appelant les Africains à régler eux-mêmes leurs problèmes s'adressent toujours aux pays non rentables. Cette doctrine, au lieu d'être pour nous un motif de réconciliation, de paix et de cohésion nationale, au contraire, nous nous distinguons par nos querelles interminables au service de notre cupidité légendaire qui nous rendent insensibles aux souffrances de nos populations. Le discours anti-français ou anti-impérialiste actuel perd toute sa légitimité au regard de la crise qui perdure en Côte d'Ivoire. Se retourner vers les mêmes bailleurs de fonds occidentaux pour rechercher les moyens financiers de la résolution d'une crise dont nous avons la lourde responsabilité, ne peut qu'encourager le mépris largement exprimé du contribuable occidental moyen pour nos pays à problèmes.
Ivoiriennes, ivoiriens, n'êtes-vous pas encore assez mûrs pour enfin dire que ÇA SUFFIT ? Est-il si compliqué de constituer un consensus ivoirien solide autour d'une seule règle de jeu démocratique ?
Est-il si compliqué de recenser les Ivoiriens de toute origine et organiser des élections justes, libres et transparentes ?
Est-il si compliqué de respecter la loi parce que c'est la règle ? Est-il si compliqué de ne pas recourir à la violence pour régler nos différends ? Est-il si compliqué d'offrir aux Ivoiriens une bonne police, une bonne justice et un bon service public ? Est-il si compliqué de gérer nos villes sans ordures et sans désordre ? Est-il si compliqué de gérer l'argent des Ivoiriens sans voler un centime ? Est-il si compliqué d'être simplement vertueux ? Est-il si compliqué de créer des emplois aux Ivoiriens et leur offrir une économie dynamique alors qu'il y a de l'eau, de la bonne terre, une forêt, du soleil et un littoral maritime ? Est-il si compliqué de favoriser le débat contradictoire dans nos partis politiques sans que la contradiction ne soit perçue comme un crime ?
Alors Ivoiriennes, Ivoiriens si ce n'est pas si compliqué que ça, réveillez-vous et prenez vos responsabilités.

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