vendredi 3 août 2007 par Le Nouveau Réveil

Le Président Henri Konan Bédié, président du PDCI-RDA, a accordé hier, dans les jardins de sa résidence de Daoukro, une interview à des journalistes de la République démocratique du Congo (RDC). Soumis au feu roulant des questions de ces 5 confrères, dans le cadre de leur émission " le forum international de la presse ", le Président du PDCI s'est prononcé sur plusieurs sujets de l'actualité nationale et africaine. Il a notamment expliqué les raisons de son absence à la cérémonie de la "Flamme de la paix", donné son point de vue sur la mise en ?uvre de l'Accord de Ouaga et la perspective des élections à venir, le RHDP, son rapprochement avec Alassane Ouattara, etc.



Monsieur le Président, après avoir servi votre pays dans les plus hautes fonctions de l'Etat, vous présidez aujourd'hui aux destinées du PDCI-RDA et continuez de jouer un rôle moteur dans la crise ivoirienne. Comment vous sentez-vous ?
Comme vous pouvez le remarquer, je suis en très bonne santé physique. Je suis en forme comme on le dit.

Pourquoi avez-vous choisi de vous installer à Daoukro plutôt qu'à Abidjan ?
Après mon retour d'exil, j'ai trouvé que certains de mes biens, surtout ma maison à Abidjan, ont été dépouillés de tout. C'est un cousin qui a bien voulu m'héberger dans sa villa. Mais, vous comprenez que pour l'homme que je suis, c'est-à-dire qui tient à sa personnalité et à sa dignité, je ne pouvais pas rester éternellement dans cette maison. Fort heureusement, la maison de Daoukro a été épargnée bien qu'une partie ait été pillée également. Mais je me suis efforcé de rassembler ce que j'ai pu trouver pour rendre ce domicile tout à fait habitable. C'est la raison pour laquelle, j'ai élu comme domicile en Côte d'Ivoire, Daoukro qui est aussi ma ville natale. Mais, ceci ne m'empêche pas de me rendre régulièrement à Abidjan pour prendre part à des réunions du PDCI ou des rencontres d'intérêt national lorsqu'il s'agit de contribuer au dialogue permanent entre Ivoiriens.

N'empêche, vous n'étiez pas à la cérémonie de Bouaké qui ne se trouve qu'à 130 Km de Daoukro!
Je ne me suis pas rendu à Bouaké pour des raisons tout à fait techniques et pratiques. L'invitation qui m'a été adressée m'est parvenue tardivement. Et comme d'ailleurs, il ne s'agissait à Bouaké que d'entretenir beaucoup plus un symbole, j'ai délégué pour me représenter, le Secrétaire général du PDCI-RDA, le Pr Djédjé Mady, qui s'y est rendu avec certains de mes collaborateurs. Voyez-vous là, la cérémonie n'était pas l'essentiel des priorités pour la résolution d'un problème aussi complexe que la Côte d'Ivoire. Le symbolisme ne suffit pas pour résoudre ce problème complexe. Auparavant, je dois vous indiquer que nous avons eu une cérémonie de la paix à Guiglo où il était question de désarmer les milices. Chacun convient qu'après que l'on eut pensé que cette cérémonie signifiait la fin des milices en Côte d'Ivoire, cela ne l'a point été. Et cette préoccupation demeure encore au c?ur du processus de paix.
A Bouaké, il s'agissait de poser un acte d'abord symbolique. Nous souhaitons que des actes concrets suivent cet acte symbolique et que la volonté d'avancer puisse être perçue par l'ensemble des Ivoiriens. C'est ce qui est essentiel.

Pensez-vous que l'accord de Ouagadougou peut réellement ramener la paix entre les Ivoiriens ? Bouaké est quand même un signal fort ?
Je l'ai dit, ce n'est pas la cérémonie qui, en elle-même, constitue une solution. Je pense que c'est l'ensemble des accords, dont l'accord de Ouagadougou, s'ils sont mis en ?uvre, permettront de résoudre nos problèmes. Mais on espère que le symbole présenté à Bouaké sera sur le plan psychologique, sur le plan politique, une motivation de plus pour la résolution des problèmes de cette crise.

Qui devrait se traduire par quoi ?
Par des élections.

Quel comportement devrait permettre la résolution de cette crise?
Mais, il s'agit d'appliquer dans un esprit citoyen, de bonne foi et dans la rigueur les accords de Ouagadougou. Or, l'application de cet accord ne suit pas toujours le chronogramme établi à Ouagadougou. Pour des raisons diverses.
Afin de résoudre la crise, il faut, entre autres, préparer les élections. Sur ce plan, rien n'a encore véritablement commencé. Les audiences foraines, l'identification, le désarmement. Il faut par ailleurs réunir d'autres conditions qui sont, je l'ai dit, plus politiques que psychologiques.
Nous espérons que la mise en ?uvre, de façon intègrale des dispositions de l'accord de Ouagadougou permettront au pays de sortir de la crise. Mais encore faut-il commencer la mise en ?uvre effective des dispositions de cet accord.

Vous semblez vous compris dans ce sens ?
Depuis la signature des accords, nous avons eu une 1ère rencontre dans le cadre du comité permanent de concertation le 12 juin à Yamoussoukro. Et cette rencontre s'est fort bien déroulée en ce sens que nous avons réalisé le consensus sur un certain nombre de points, notamment sur le maintien à son poste du Représentant spécial des Nations unies pour la supervision des élections.
Malheureusement, les Nations unies, à New York, ne nous ont pas entendus. Et le poste a été supprimé tout en transférant les fonctions qui étaient celles du HRE au représentant permanent du Secrétaire général de l'ONU, lequel d'ailleurs est toujours absent puisque c'est un chargé d'affaires qui agit en lieu et place du représentant spécial du Secrétaire général de l'ONU.

Toute chose qui installe l'accord de Ouaga dans sa première zone de turbulence.
Absolument. C'est la non réalisation d'une prescription essentielle de l'accord.

Le fait de choisir d'aller en rangs dispersés aux élections au premier tour de la prochaine présidentielle avec vos alliés ne réduit-il pas vos chances de remporter ces élections ?
Vous faites allusion à l'alliance des houphouétistes. Ce sont les actes constitutifs de cette alliance qui veulent qu'au premier tour chaque formation politique peut présenter son candidat. Et qu'au second tour, le mieux placé parmi les constituants de cette alliance sera soutenu par tous les autres. Je crois que cela est plus démocratique. Ailleurs, c'est ce qui se fait dans les grands pays démocratiques comme en France, tous les candidats se présentent et au second tour c'est le vote utile qui permet de dégager le président.

Vous êtes considéré comme l'héritier légataire du Président Houphouët-Boigny. 14 ans après sa disparition, que reste-t-il de cet héritage ?
Le Président Houphouët-Boigny et son ?uvre demeurent au c?ur de l'action politique en Côte d'Ivoire. Même dans l'action de ceux qui exercent le pouvoir actuellement. C'est dire qu'Houphouët-Boigny et le travail du PDCI, pendant 40 ans, constituent un fond permanent de la politique ivoirienne. Et que Houphouët-Boigny demeure toujours le personnage politique le plus populaire de la Côte d'Ivoire tant d'années après sa disparition.

Au cas où vous étiez réélu à la prochaine présidentielle, qu'allez-vous proposer aux Ivoiriens ?
Nous allons alors proposer, si nous sommes en situation, la reprise des Grand chantiers que nous avons entrepris pour le progrès de la Côte d'Ivoire. Ce qu'on a appelé l'Eléphant d'Afrique, c'est un ensemble de projets, mais de projets qui malheureusement ont été interrompus par le coup de force militaire. Car il faut le souligner, en ce qui me concerne je n'ai pas quitté le pouvoir à la suite d'élections que j'aurais perdues. Des élections se sont tenues par la suite avec le rejet de toutes les candidatures du PDCI-RDA et pratiquement de tous les candidats sérieux de l'opposition. Je dirais qu'en réalité, il n'y a pas eu d'élections au sens démocratique du terme. J'aurais pu dès lors, si je n'avais pas été un président avisé, continuer à contester le pouvoir actuel parce que notre mandat a été interrompu par un coup de force.
Mais nous avons voulu, pour que le pays s'inscrive dans le mouvement du progrès et de la démocratie, nous avons fait en sorte de ne pas géner les autres. Mais tous les projets que nous avions et ils sont nombreux, dans tous les domaines, sont toujours d'actualité. Je dois dire que les Ivoiriens ont aujourd'hui besoin que ces projets se réalisent ()

Au PDCI-RDA, il semble que des jeunes éprouvent de plus en plus de mal à s'exprimer au sein du parti. Certains ont l'intention de prendre leur distance avec votre formation politique. Comment allez-vous gérer tout cela pour maintenir le PDCI dans la cohésion à l'approche des élections ?
Permettez-moi de contester cette assertion. Après mon retour d'exil, pour désigner le candidat du PDCI aux prochaines élections aux élections toujours reportées, nous avons organisé une convention. Avant la convention, nous avons organisé des conventions éclatées dans tous les départements. Toutes les circonscriptions électorales ont tenu des primaires avec les jeunes, avec les femmes, les plus âgés et tout cela a abouti à une grande convention d'investiture. Et c'est cette convention qui m'a désigné et qui m'a investi comme le candidat du PDCI-RDA et de ses structures spécialisées aux futures élections.
A l'heure où je vous parle, quoi qu'en dise une certaine presse, il n'y a pas de mouvement divers, il n'y a pas de courant, il n'y a pas de contestation dans le PDCI-RDA.

Certaines langues continuent de soutenir que vous avez aidé à fabriquer cette crise entre les Ivoiriens avec votre concept de l'ivoirité qui a divisé le Nord et le Sud ?
Vous évoquez là un débat dépassé en ce sens que tout le monde réalise maintenant qu'on ne peut pas se développer sans faire référence à son identité. Ce qu'on appelle l'identité nationale. Voyez ce qui se passe en France et partout dans le monde. Tous les peuples revendiquent très haut leur identité nationale pour bâtir les politiques qu'ils souhaitent. Ici cette identité nationale, nous l'avons baptisée l'ivoirité ou l'ivoiritude. Cela a été contesté par l'opposition de l'époque. Mais je crois que tout le monde est revenu sur ces oppositions tout à fait artificielles et politiciennes pour reconnaître qu'on ne pouvait pas bâtir le pays sans faire référence à son identité nationale, culturelle de son peuple.

Comment comprendre aujourd'hui que vous soyez l'allié politique de M. Alassane Ouattara qui vous a farouchement combattu hier ?
Cela procède de la nature même du jeu politique. La politique est faite de capacité d'adaptation, de surpassement et de changement. C'est la raison pour laquelle on prêche la tolérance en politique. Et que l'on recommande partout l'abolition de la peine de mort. Les amis d'aujourd'hui peuvent être les adversaires de demain et vice-versa. C'est ce qui est inscrit au c?ur de la nature humaine et des changements politiques.

40 ans de stabilité et puis une crise que l'on ne parvient pas à dénouer malgré les multiples accords signés. Qu'est-ce qui est au c?ur de cette crise ? C'est quoi le vrai problème en Côte d'Ivoire ?
Ce serait long à développer. Mais la Côte d'Ivoire a, malgré ses progrès jugés spectaculaires en Afrique, connu des périodes de vaches maigres. Et ces périodes de difficultés économiques ont provoqué des tensions et des mouvements au sein de la population. Mais, ce qui est au c?ur de cette crise, c'est le coup d'Etat de 99, opéré par des militaires manipulés par certains partis de l'opposition et, je dirais, appuyés par certains hommes politiques à l'extérieur. Des hommes politiques non ivoiriens.
A partir des années qui ont suivi la conférence de la Baulle, l'on a pensé que les chefs d'Etat ou de partis politiques qui avaient conquis l'indépendance de leur pays, après 30 ans d'exercice du pouvoir, devraient céder la place, dans le cadre d'une alternance politique. Mais l'alternance politique ne se décrète pas. Parce que le pouvoir se détient par la légitimité, et la légitimité est donnée par le peuple souverain au regard de ce que vous lui avez apporté ou ce que vous êtes en mesure de lui apporter. On a voulu mettre à la place des hommes d'Etat africains, des hommes relevant d'autres idéologies. En France par exemple, si on était socialiste au gouvernement, on pense qu'on devrait avoir des socialistes au pouvoir en Afrique. Mais, on se rend compte aujourd'hui que l'Afrique n'a pas bénéficié de ces alternances forcées et la métropole française n'en a pas non plus bénéficié. Tout le monde a perdu dans ces changements autoritaires qui n'ont pas été appuyés par la démocratie réelle.

Tous ces problèmes que vit la Côte d'Ivoire ne sont-ils pas dus au fait qu'il n'y a pas eu une préparation réelle au changement politique après Houphouët ? Ailleurs il y a eu des conférences nationales
Le changement après Houphouët-Boigny s'est fait tout à fait démocratiquement en respectant les textes. Mais, je vous ai expliqué que certaines têtes bien pensantes à l'intérieur comme à l'extérieur ont souhaité un changement sans la démocratie, sans la légitimité. C'est ce qui nous a conduit à la situation que nous vivons.

Les rapports de la France avec ses ex-colonies n'expliquent-ils pas ces crises multiples ? Des accords de coopérations ont été signés avant les indépendances avec certains pays comme la Côte d'Ivoire qui aspire à l'émancipation et à la liberté totale.
En dehors d'un certain temps où des têtes pensantes ont estimé qu'il fallait un socialisme ivoirien en Côte d'Ivoire, les rapports que vous évoquez sont pratiquement caducs. Et ils ne s'exercent plus pratiquement. La coopération bilatérale est elle-même au point mort un peu partout. Il y a une sorte de multipolarisation de ces liens de coopération internationale. La France agit plus par l'intermédiaire de l'Europe et les autres pays à travers la Banque mondiale et le FMI. Donc ce ne sont pas les accords franco-africains de 1961 qui président aux relations entre les pays africains et la France actuellement. C'est un faux problème. De même qu'il est faux et démagogique de parler de néo-colonialisme de ceci ou cela. Il faut tourner le dos à tous ces discours faciles qui correspondent plus à la démagogie et à la manipulation politique qu'à la réalité.

Le changement politique intervenu en France avec l'arrivée de Sarkozy au pouvoir fait dire à certains que l'Afrique sera de moins en moins une priorité pour Paris car Sarkozy est plutôt pro-américain ou Européen par rapport à Jacques Chirac. Vous-même êtes présenté comme un chouchou de la France
Je crois que ces étiquettes ne conviennent plus à personne. Voyez-vous quand j'étais ministre des Finances, parce que j'avais été très jeune ambassadeur aux Etats-Unis, on disait que j'étais pro-américain. Mais de l'autre côté quand je me rendais aux Etats-Unis on me disait que j'étais un pion de la France, pro-français. Ce qu'il faut reconnaître à chacun c'est son patriotisme vrai et son identité nationale.

Que pensez-vous de M. Nicolas Sarkozy qui parlait d'immigration choisie et qui, récemment au Sénégal, interpellait les jeunes et les dirigeants africains sur la prise en main de leur destin ?
Je crois qu'il y a à méditer sur ces propos-là. C'est la raison pour laquelle je disais qu'il ne fallait pas jeter l'anathème sur un individu du fait d'un seul mot prononcé. Après tout, le Sénégal, c'est le berceau de la négritude, de l'identité africaine. Je pense qu'il faut que les Africains songent à s'assumer, à assumer leur histoire, leur culture et prennent en main leur destinée. Qu'ils réhabilitent le travail et sachent qu'ils peuvent être heureux, se réaliser complètement chez eux.

Revenons à l'accord de Ouaga, au cours du "bûcher de la paix" à Bouaké, le chef de l'Etat a proclamé la fin de la guerre et dit maintenant qu'il faut aller aux élections vite, vite, vite Comment le Président du PDCI et candidat du PDCI apprécie-t-il cet empressement ?
(Rire) Non, je crois que pour aller aux élections, il sait ce que les accords recommandent. Il faut des audiences foraines, identifier les électeurs, dresser des listings acceptables par tous les partis politiques. C'est la seule façon d'aller vite. Il faut se hâter lentement et ne pas se piquer d'une folle vitesse.

Ça peut donc attendre 2 ans, les élections ?
Non, le programme de Ouagadougou fixe à début 2008, les élections en Côte d'Ivoire. Et c'est dans cette échéance-là qu'il faut s'inscrire si nous voulons organiser au plus vite des élections pour sortir notre pays de la situation peu enviable dans laquelle il se trouve malheureusement aujourd'hui.

Interview réalisée par le Forum de la presse internationale de la RDC
Propos recueillis à Daoukro
Par Akwaba Saint Clair, Envoyé spécial


www.225.ci - A propos - Plan du site - Questions / Réponses © 2023