vendredi 3 août 2007 par Le Nouveau Réveil

André Silver Konan est journaliste. Il est aussi écrivain. Depuis le 11 juin 2007, il a mis sur le marché en Côte d'Ivoire un recueil de nouvelles controversé au titre évocateur L'opposant historique . Dans cette interview, il parle de tout ou presque. De son incarcération à la brigade de recherches du Plateau pour un article qui diffamerait le président de la république Laurent Gbagbo. Il parle aussi des conditions de réalisation de son livre. Entretien avec un jeune écrivain.

André Silver Konan vous êtes journaliste et vous venez de mettre sur le marché un recueil de nouvelles, le premier livre à votre actif. Comment se comporte L'opposant historique votre livre ?

L'opposant historique est sorti le 11 juin dernier et sans avoir de distributeur le livre se comporte très bien

Vous dites que vous n'avez pas distributeur. Peut-on savoir pourquoi ?

Je crois savoir que c'est lié à l'histoire même du livre. J'ai eu d'énormes difficultés à sortir ce livre qui je le répète n'est qu'un recueil de nouvelles. Donc le fait que je n'ai pas pu signer de contrat de distribution de l'?uvre en dépit des démarches que j'ai effectuées ne me surprend guère. J'assume cela. C'est d'ailleurs pour moi un motif de fierté. Je suis certainement l'un des jeunes écrivains de l'histoire de la Côte d'Ivoire à avoir été victime de censure au niveau des imprimeurs puis au niveau des distributeurs.

Vous n'expliquez pas tout. Qui en voudrait tant à votre livre ?

Je ne sais pas. Je ne veux accuser personne. Mais je fais des constats. Ce sont des faits et ils ne sont pas contestés. Premier fait : j'ai été jeté en prison pour un présumé délit d'offense au chef de l'Etat le lendemain du jour où j'ai annoncé le titre de mon recueil de nouvelles dans deux journaux de la place dont le mien Le Nouveau Réveil. Deuxième fait : je me suis promené un peu partout dans Abidjan sans avoir d'imprimeur. Le dernier imprimeur qui a accepté de tirer le livre m'a même délivré une facture normalisée (il montre la photocopie de facture normalisée, ndlr) après que je lui eus versé une avance. Il m'a appelé quelques jours plus tard après avoir commencé à faire les premiers tirages qu'il ne pouvait plus continuer. J'ai voulu en savoir plus. Il m'a dit qu'il ne voulait pas qu'on vienne casser son entreprise précisant qu'il aurait tant aimé faire mon travail. J'ai alors réalisé que si les imprimeurs qui étaient partants dès le départ se rebiffaient par la suite, ils subissaient des pressions de plusieurs ordres. J'ai aussi réalisé que j'étais filé et que par conséquent mon livre dérangeait.

Avouez quand même que vous êtes allé un peu fort en choisissant un titre aussiprovocateur

Provocateur ? Qui est-ce que je provoquerais ?

Le président de la république Laurent Gbagbo a été surnommé quand il était dans l'opposition l'opposant historique
Gilchrist Olympio est encore appelé au Togo l'opposant historique . Abdoulaye Wade était au Sénégal l'opposant historique avant d'être élu président. John Fru Ndi au Cameroun est un opoosant historique Les exemples sur le continent africain sont légion. Alors pourquoi assimilez-vous mon personnage le président Souroukou à M. Laurent Gbagbo ?

Il n'y a pas que lui. Il y a la femme de l'opposant historique Gnindéban, une femme terrible qui domine son époux et dont il a peur. Il y a même les collaborateurs de l'opposant historique . Douka par exemple dont le seul programme politique était d'épouser une miss. Il y a Colli, Dago,etcqui sont des noms bien de chez nous ?

Je vais vous poser une question. Pensez-vous que M. Laurent Gbagbo a une épouse en l'occurrence Simone Gbagbo, qui le domine et dont il a peur ?

Je vous retourne la question

Alors je réponds en disant que mes personnages sont ce qu'ils sont et la réalité est ce qu'elle est. Mon livre est un recueil de nouvelles fictives.

Vous disiez tantôt que vous avez éprouvé des difficultés dans la réalisation de votre ?uvre, cela n'est-il pas lié à vos écrits jugés souvent trop critiques envers le pouvoir FPI ?

J'entends effectivement des gens dire cela à mon compte. Je leur réponds que je ne fais que faire mon travail. Je suis journaliste et je pense que le rôle d'un journaliste n'est pas de se taire face à certaines dérives. Si le journaliste ne peut plus ou ne doit pas critiquer, dire ou écrire que telle personnalité politique fut elle du parti au pouvoir, a fait telle chose qui choque la morale, l'éthique et la conscience, a posé tel acte qui viole les principes démocratiques et de la bonne gouvernance, alors sa place n'est plus dans une rédaction. Pour moi un journaliste doit être engagé dans des combats de principes.

Pensez-vous être un journaliste engagé ou un écrivain engagé ?

Pour moi l'engagement est une question principielle. On est engagé par rapport à quelque chose. Je suis un journaliste qui défend les principes d'éthique en politique et de morale républicaine, de bonne gouvernance, de respect des droits de l'homme, etc. Donc par rapport à ces principes si vous êtes une personnalité politique qui excelle dans l'art de la roublardise, si vous gouvernez dans le mensonge, si vous n'avez aucun souci des droits de l'homme,etc alors soyez en sûr je vous renverrez votre image dans le miroir de ma plume afin que vous découvriez votre face hideuse mais aussi que les autres la découvrent en même temps que vous.

N'avez-vous pas peur quand vous faites souvent des chroniques enflammées comme Et vlan! ?

Il m'arrive d'avoir peur. Je suis un homme et qui plus est, je suis encore jeune aussi bien du point de vue de la carrière que de l'âge. Mais si tout le monde devrait se réfugier derrière la peur il n'y aurait jamais d'Emile Zola, de Venance Konan

Ou de Norbert Zongo, de Jean Hélène

Malheureusement.

A propos de Norbert Zongo, vous avez remprté un prix qui porte son nom au Burkina Faso. Pouvez-vous nous parler un peu de ce prix ? Et qu'est-ce qu'il représente pour vous ?

J'ai en effet reçu le prix spécial du jury du concours Norbert Zongo du journalisme d'investigation en mai dernier. C'est un prix international qui récompense le meilleur article d'investigation publié par des journalistes en Afrique de l'ouest pendant. J'ai eu le prix spécial par rapport à une enquête que j'ai réalisée sur l'assassinat d'un responsable de la Fesci par d'autres éléments de la Fesci sur le campus universitaire de Cocody en septembre 2005 et publiée en février 2006. Ce prix est le troisième que je reçois en 5 ans de profession. Après ceux décernés au plan local par la direction de mon journal Le Nouveau Réveil en 2004 et le prix Mabef en 2005. Le prix Norbert Zongo est pour moi un couronnement. Je ne pouvais pas imaginer que je recevrais un tel prix et quand mon directeur général Denis Kah Zion présent à Ouaga lors de la remise des prix m'a appelé heureux lui aussi pour moi , pour le journal et pour l'ensemble de la corporation ivoirienne, j'ai éprouvé une réelle émotion. Quand le lendemain alors que je m'apprêtais à prendre mon vol pour le Burkina, l'un des plus grands professionnels du monde en matière de professionnalisme et d'éthique en journalisme j'ai nommé Alfred Dan Moussa qui venait de rentrer de Ouaga, m'a appelé pour me féliciter, jai éprouvé de la fiereté de l'honneur. Ce prix veut dire que je suis désormais reconnu comme étant dans le cercle très select des journalistes d'investigation de notre continent. Je promets donc d'autres enquêtes exclusives pour cette année.

N'avez-vous jamais songé à être Ebony ?

Bien sûr que si. Mais allez demander à l'UNJCI pourquoi mon article primé sur le plan international ne l'a pas été en Côte d'Ivoire. Cela pose le problème des conditions d'éligibilité au concours Ebony. Mais ça c'est un autre débat.

André Silver Konan, quelques mois après l'élection du bureau de l'UNJCI dont vous étiez membre, vous avez claqué la porte. A son temps cela avait fait couler beaucoup d'encre et de salive. Deux ans après pouvez-vous nous dire pourquoi vous avez démissionné ?

Je suis parti comme j'ai eu à l'expliquer, pour convenances personnelles et je ne souhaite pas y revenir. Beaucoup de choses ont été dites notamment celle selon laquelle je voulais être Ebony, ce qui est une ambition somme toute légitime. L'UNJCI est à mon sens éloigné des journalistes. C'est malheureux, mais j'ai l'impression qu'une structure comme le GEPCI qui défend les intérêts des patrons de presse est plus proche des journalistes que l'union des journalistes elle-même. Problème. Il faut une réorientation des objectifs et des ambitions de notre union lesquelles ne doivent pas se limiter à la nuit de la communication ou au tournoi de la confraternité ou encore aux press club financés par de gros sponsors.

Pouvons-nous évoquer avec vous l'affaire qui a tant défrayé la chronique à savoir votre fameux dossier les 100 crimes de Gbagbo qui vous a valu une arrestation et votre garde à vue pendant des heures à la brigade de gendarmerie du Plateau ? Pourquoi avez-vous fait ce dossier ? Dans quelle intention ?

C'est exactement la même question que le gendarme qui m'a interrogé pendant environ une heure m'a posée. J'ai bien saisi le sens de la question qu'il me posait. Dans le cas de diffamation, l'intention est un élément important dans l'établissement de la culpabilité. Mais voyez-vous, je suis grand reporter au Nouveau Réveil chargé des grandes enquêtes, des grands dossiers, des grands reportages et des grandes interviews. J'ai une feuille de route. Va-t-on demander à un policier qui est sur la route dont la feuille de route est de contrôler les identités, dans quelle intention il a contrôlé l'identité de telle personne. Ou encore pourquoi il l'a fait simplement ? Voilà.

A l'heure actuelle, à quel niveau se trouve l'affaire ?

L'affaire est gérée par nos avocats. Je dis nos avocats parce que dans cette affaire j'ai un complice de poids (rires) qui s'appelle Denis Kah Zion mon directeur de publication et patron des patrons de presse. Figurez-vous qu'il est poursuivi pour complicité d'offense au chef de l'Etat. Je ne veux pas commenter cette affaire qui a été pour moi une expérience très douloureuse mais autant très enrichissante. Cependant je dis que l'offense au chef de l'Etat est devenu une sorte de serpent de mer qui circule dans les eaux douteuses de certaines républiques en Afrique. Il n'y a pas meilleur moyen de réduire au silence des opinions contraires aux opinions de la mouvance présidentielle. Et on remarquera au passage que l'auto saisine dans de telles affaires par le procureur est un indice de dictature dans les régimes sous les tropiques. C'est ma position qui n'est pas liée à notre affaire mais à une lecture générale sur le continent africain.

Revenons à votre livre. De quoi parle-t-il ?

L'opposant historique est un recueil de trois nouvelles. Au départ, il y avait quatre nouvelles mais la quatrième a été retirée parce que mes petits moyens ne me permettaient pas de supporter la production hors de la Côte d'Ivoire d'un livre de 140 pages. Donc après avoir beaucoup dépensé au pays sans pouvoir imprimer le livre nous avons revu nos ambitions de pages à la baisse. Bref. Le titre éponyme de l'?uvre est l'opposant historique. C'est l'histoire d'un opposant arrivé au pouvoir et qui gouverne sans trop de souci. Il arrive à conjuguer de façon admirable sexe argent inconscience pour le grand bonheur de ses proches eux-mêmes englués dans sa philosophie de gouvernance. Le soldat Declerc est l'histoire d'un soldat de Licorne tombé amoureux d'une belle jeune étudiante et qui est tombé sous les balles en zone rebelle d'un enfant soldat. Le sosie raconte une méprise judiciaire qui a eu de très lourdes conséquences sur la vie d'un jeune homme. Corruption, irresponsabilité, injustice, crimes, mauvaise gouvernance, etc sont dénoncés dans le recueil.

Après un mois et sans distributeur combien de livre avez-vous déjà vendu ?

Cela va peut être vous surprendre mais en moins d'un mois sans moyens, sans qu'on oblige qui que ce soit à l'acheter comme on l'a fait pour un livre sorti ici en Côte d'Ivoire par un auteur ayant les moyens de la république, livre qui coûte les yeux de la tête ; nous avons vendu près de 2000 livres. Actuellement 1000 autres livres sont dans notre réseau de distribution. Et certains points de vente sont déjà en rupture. Nous avons donc lancé la deuxième campagne pour l'imprimerie de 3000 autres livres. Notre imprimeur malien devrait nous livrer cette semaine. En même temps je ne désespère pas que j'aurai d'ici là un distributeur.

On peut dire que ça marche donc pour vous

Dans un sens oui. Ca marche pour la littérature ivoirienne. Ca marche pour les idéaux que je défends dans mon livre. Ca marche pour l'accueil que le public a réservé à mon livre. Mais si vous voulez parler de marche sur le plan financier, je vous dis non. Je n'ai pas écrit ce livre pour me faire des millions. Sinon je ne l'aurais certainement pas vendu à 1.500 FCFA, le prix le plus bas sur le marché du livre en Côte d'Ivoire et peut être le prix le plus bas jamais pratiqué dans ce pays. Comprenez qu'on ne peut pas s'envoler pour le Mali y résider pendant des semaines à l'hôtel après avoir englouti une somme considérable dans la recherche d'imprimeurs en Côte d'Ivoire, revenir avec un produit qui se vend à 1.500 Fcfa et espérer tirer d'énormes bénéfices. Mon livre est un livre populaire et cela restera mon credo pour la suite de ma carrière d'écrivain.

Interview rélisée par Soum Junior M.
In Star Magazine du 1er août 2007

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