jeudi 2 août 2007 par Nord-Sud

Sant'Egidio, la communauté ecclésiaste de l'Eglise catholique, a vu le jour en 1968. Forte de 60 mille membres, tous bénévoles, elle travaille dans 70 pays du monde en ?uvrant pour la paix et le développement. Mario Giro, le responsable des relations internationales de cette communauté de passage à Abidjan, parle de l'accord de Ouagadougou, de la flamme de la paix , de la suppression du poste du Haut représentant des Nations unies aux élections

?La flamme de la paix a été allumée lundi à Bouaké par les ex-belligérants. N'est-ce pas aussi l'aboutissement de plusieurs années d'efforts que vous ne cessez de déployer au chevet de la Côte d'Ivoire, malade de la guerre?

J'étais personnellement heureux d'être à Bouaké après avoir été à Ouagadougou pendant les pourparlers du dialogue direct voulu par le président, Laurent Gbagbo et accepté par le Premier ministre, Guillaume Soro. Nous avons aidé à la facilitation. Etre à Bouaké ce lundi était pour moi un aboutissement. En entrant ce jour-là à Bouaké, dans l'ancienne zone de confiance, on voyait les enfants, les femmes au bord de la route qui nous saluaient spontanément. C'était émouvant. Il y avait vraiment une envie de paix. La cérémonie a été très symbolique et grandiose aussi. Cela m'a vraiment frappé parce qu'il y a un désir réel de paix qui vient du fond du peuple ivoirien. Et, je pense que les responsables politiques l'ont entendu. La cérémonie de lundi symbolise la réunification du pays mais aussi la réunification entre la classe politique et le peuple ivoirien.

?A cette cérémonie l'on a enregistré de grands absents. Notamment, les présidents du Pdci, Henri Konan Bédié et du Rdr Alassane Dramane Ouattara. Ne pensez-vous pas que cela a quelque peu terni l'éclat de cette fête qui se voulait réconciliatrice?

Nous pensons que la décision des présidents Henri Konan Bédié et Alassane Dramane Ouattara est souveraine. Mais, il ne faut pas occulter que leurs partis étaient représentés au plus haut niveau. Nous pensons que c'est ce qui est essentiel. Nous notons beaucoup de soucis et de préoccupations suscités chez les uns et les autres quant à l'aboutissement du chemin vers la paix définitive. Nous pensons qu'il faut prendre en compte tous ces soucis et préoccupations pour que personne ne se sente exclu. La véritable paix se fait avec tout le monde.

?Le chef de l'Etat, dans son adresse à Bouaké, a lancé que la guerre est finie. Vous qui côtoyez depuis l'éclatement de la crise les différentes parties au conflit, pensez-vous que cette assertion de Laurent Gbagbo est sincère?

Nous pensons que la crise ivoirienne a tourné une page définitivement. Le président Laurent Gbagbo a raison. La guerre est finie. Mais, la paix est un long chemin. Il ne faut pas penser que du moment où la guerre est terminée il n'y a plus rien à faire. Il y a beaucoup à faire. Pas seulement ce qui est écrit dans l'accord de Ouagadougou, le président l'a dit lui-même, il faut aller à l'identification des populations, aux élections etc. Le lundi, le Premier ministre, Guillaume Soro a dit que Bouaké est devenue la capitale de paix. Cela est significatif parce que c'est un symbole qui parle et qui résonne dans le c?ur des Ivoiriens. Vous savez, une crise, une guerre commence dans les c?urs avant de s'inviter sur le champ politique puis sur le champ militaire avec la prise des armes. On peut tuer par la haine. Le mal divise bien avant que les armes ne parlent. Aujourd'hui, il y a tout un travail de réconciliation à faire dans les c?urs. Il faut recueillir beaucoup de larmes et soigner beaucoup de blessures. C'est un travail de longue haleine qui doit concerner tout le monde et non seulement les responsables politiques. Tout le monde les regarde mais nous disons que tous les Ivoiriens doivent s'impliquer dans le processus. Parce que la guerre qui est la mère de toutes les pauvretés et de toutes les divisions, laisse des traces profondes qu'il faudra soigner une à une. Et, Sant'Egidio par son travail avec les pauvres, ?uvre pour que la paix descende dans le c?ur de tout le monde.

?Que répondez-vous à ceux des Ivoiriens qui pensent qu'il faut plus d'actes que de symboles?

Nous pensons qu'ils ont raison parce qu'il faut les deux. Mais, nous pensons que les symboles sont importants pour parler aux sentiments, à l'intelligence. Nous voyons que le gouvernement issu de Ouagadougou a posé beaucoup d'actes. Il ne faut pas toujours se plaindre. Nous pensons que cette réconciliation a besoin de tout le monde pour que la Côte d'Ivoire reprenne la place qui est la sienne dans la communauté des nations.

?Croyez-vous à la sincérité de la paire Laurent Gbagbo-Guillaume Soro pour redonner à la Côte d'Ivoire la paix qu'elle a perdue?

On fait la paix avec celui qui se bat contre toi. Nous croyons à une véritable intention de la part du président Laurent Gbagbo et du Premier ministre, Guillaume Soro, d'aller vers cette paix définitive, en résorbant les problèmes qui sont beaucoup plus anciens et antérieurs à la prise de fonction du président Laurent Gbagbo et l'ascension du Premier ministre, Guillaume Soro au poste de secrétaire général des Forces nouvelles. Nous pensons que ces deux hommes sont décidés à mettre ensemble leur destin. Ils ont une unité de destin. Cela est quelque chose de fondamental. Il n'y a pas de destin séparé. On ne se sauve pas tout seul. Vous savez lorsque Jésus était sur la croix, les grands prêtres au bas de la croix lui crient: Sauve toi, toi-même. Mais, c'est l'esprit du mal qui s'exprime là. Parce qu'il fait savoir que lui, il ne peut pas le sauver parce qu'il n'a pas le même destin que lui. Alors, il dit s'il est capable qu'il se sauve lui-même. Vous savez, c'est cela la loi des hommes. La loi de Dieu, elle est tout autre: on se sauve ensemble. Cela a été compris. Dieu bénit cette paix et cette volonté d'unir ce destin. Pour la petite histoire, en rentrant lundi de Bouaké, il y avait un grand arc-en-ciel sur Yamoussoukro, sur la basilique. Moi qui suis chrétien, je me suis rappelé de l'épisode de la Bible où l'arc-en-ciel apparaît à Noé comme la première alliance. Cette alliance avec Noé est l'alliance de Dieu avec tous les hommes. C'est le serment que Dieu fait à l'homme de toujours l'accompagner et de ne jamais le repousser comme il l'avait fait avec le déluge.

?Nous vous avons vu très actif à Ouagadougou aux côtés des ex belligérants ivoiriens lors du dialogue direct. Quel a été l'apport de votre communauté dans la conclusion de l'accord qui en est sorti?

Vous savez Sant' Egidio est présente en Côte d'Ivoire depuis les années 80. Elle a suivi tout le pouls de la crise. Nous étions à Lomé (Togo) lorsqu'il y a eu le premier cessez-le-feu et nous avons suivi tout le reste du parcours de la crise. Ainsi, lorsque le président du Burkina-Faso, Blaise Compaoré a été sollicité pour jouer les facilitateurs entre les ex-belligérants ivoiriens, s'appuyant sur l'expérience que nous eue avec lui dans la médiation dans la crise togolaise, il nous a fait appel. Concrètement, j'ai côtoyé le ministre burkinabé, Djibril Bassolé, qui menait les discussions entre les parties ivoiriennes et le conseiller juridique de la Présidence burkinabé, Zakané Vincent. Avec eux, on a travaillé tout simplement pendant le dialogue direct en donnant des conseils; en donnant nos expériences, en parlant avec les uns et les autres en faisant la navette en eux; en participant aux huis- clos avec l'attitude qui est toujours celle de Sant' Egidio: contribuer sans avoir des intérêts particuliers si ce n'est la recherche de la paix. La paix ne s'impose pas. La paix c'est une conviction qui mûrit lentement.

?N'est-on pas en droit d'être quand même pessimiste quand on sait que le Premier ministre, Guillaume Soro, a échappé le 29 juin, à Bouaké, à un attentat qui visait sa personne et le processus de paix?

Cet acte est le fait de l'esprit de division. Il y a toujours le mal qui va s'opposer à l'esprit de paix. Il ne faut jamais se faire d'illusion en croyant qu'il ne faut pas faire des efforts en allant à la paix, à la réconciliation, en construisant quelque chose de bien en général. Il faut donc faire attention. Mais, si on cède au pessimisme, on fait alors le jeu du mal. Il ne faut pas céder à cet esprit du pessimisme. C'est contre tout ce qui va dans le sens de la paix. C'est la main de Dieu qui a protégé le Premier ministre, j'en suis certain. Parce qu'il y aussi la force du bien qui veut la paix en Côte d'Ivoire qui s'incarne dans l'esprit de tous ceux qui travaillent pour y arriver.

Maintenant, il faut une enquête internationale pour chercher les responsables de cet attentat. Le fait que le président de la République et le Premier ministre se soient mis d'accord pour une enquête internationale démontre leur bonne volonté. La flamme de la paix montre que cet acte si terrible soit il n'a pas arrêté la volonté d'aller à la paix. Cet acte, il faut le dire, a été posé pour intimider. Heureusement, les deux parties ne se sont pas laissées intimider.

?Le processus tel qu'il est lancé augure-t-il, selon vous, de la tenue d'élections crédibles, transparentes, sans exclusive dans le premier trimestre de l'année 2008?

Nous sommes tous soucieux de la tenue d'élections crédibles et transparentes. Nous connaissons aussi les préoccupations qui ont été émises. Par exemple le fait que l'Onu ait retiré le poste du Haut représentant aux élections. C'est un choix que l'Onu a fait en toute autonomie. Je pense que le président Blaise Compaoré fera tout ce qui est en son pouvoir pour que les élections se tiennent dans des conditions acceptées par tous.

Le président Laurent Gbagbo l'a dit lundi à Bouaké. Il faut aller vite aux élections et moi je crois aussi qu'il faut aller vite aux élections. La Côte d'Ivoire étant souveraine, nous pensons qu'elle trouvera la solution idoine pour organiser de bonnes élections.

?La suppression du poste du Haut représentant aux élections ne fait-elle pas le lit de la suspicion, n'ouvre-t-elle pas la voie à une autre élection calamiteuse?

Nous ne le pensons pas. Pour nous, cette situation que nous sommes en train de vivre, n'est pas définitive. La méfiance dont vous parlez n'est pas uniquement au niveau des élections mais à tous les niveaux. Il faut donc travailler contre cette méfiance.


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