jeudi 2 août 2007 par Nord-Sud

Bin-Hounien a connu les affres des combats entre Fds et rebelles (Mpigo, Mjp et Mpci). La ville frontalière du Liberia vit aujourd'hui au ralenti. Les faits et gestes des visiteurs sont épiés par des habitants gagnés par la méfianceReportage.

La route argileuse, disons plutôt la piste pour être proche de la réalité, en cette saison pluvieuse dans l'Ouest montagneux fait patiner dangereusement le robuste Mitsubishi 4x4 qui nous conduit à Bin-Houyé ce vendredi 27 juillet. La moindre erreur de conduite risque de nous voir faire une sortie de route. Chaque man?uvre du conducteur est une prouesse. Malgré la climatisation, quelques gouttes de sueur perlent sur les fronts avec la peur au ventre. En traversant le petit hameau de Boutouo, le regard est attiré par la tombe de Koui Mamadou. Au milieu des cases et des maisons aux toitures rouillées, la stèle de l'ancien président de la Cour suprême, Koui Mamadou, n'a pu échapper aux pilleurs libériens. Eventrée, elle présente une image triste. Comme pour rappeler aux visiteurs que même les morts n'ont pas eu droit au repos éternel pendant la guerre. Les Libériens qui régnaient en véritables chefs de guerre dans la zone pillaient tout sur leur passage. Ils espéraient découvrir des biens précieux dans certaines tombes , explique notre guide qui ne trouve pas de mots assez forts pour qualifier leurs faits et méfaits.

L'entrée de la ville surprend le premier visiteur. Elle est tenue par des éléments des Fds (Forces de défense et de sécurité ; force gouvernementale). Leur présence est matérialisée par un simple fil qui barre le passage. Bin-Houyé, à l'instar des zones qui ont connu les affres des combats entre Fds et rebelles (Mpigo, Mjp et Mpci), vit au ralenti. Les faits et gestes des visiteurs sont épiés par des habitants gagnés par la méfiance. La sous-préfecture sert de bureau au sous-préfet militaire, le lieutenant-colonel Francis-Alain Zady. Deux agents ??tuent'' le temps à dépoussiérer de vieux registres (naissances, mariages, décès). Juste en face du bureau du sous-préfet militaire, les locaux de la mairie transformés en camp militaire, sont envahis par les mauvaises herbes. Des soldats gagnés par la lassitude scrutent l'horizon. Depuis l'éclatement du conflit, il n'y pas eu de relève. C'est pénible mais nous sommes des soldats au service de la République. Aujourd'hui avec l'accord de paix de Ouaga, la décrispation entre nous et nos frères de la rébellion (à Danané, Ndlr) est une réalité. Tous les jours, ils viennent faire leur marché ici sans problème , se satisfait, sous anonymat, un élément des Fds.

Noutoua et Miremont, des ??SDF'' à Bin-Houyé

Les cicatrices des heures chaudes sont encore palpables à Bin-Houyé. Au plan psychologique, il suffit d'aborder la question pour voir les témoins pousser de grands soupirs. Quand les langues, après des hésitations, se délient, il est difficile de les arrêter. Au titre des dégâts matériels, la belle résidence de couleur ocre du député de Zouan-Hounien, Célestin Noutoua Youdé, après les scènes de pillages, sert désormais de QG aux Fds. Ces nouveaux occupants sont incapables de retrousser leurs manches pour gratter la cour, enlever les toiles d'araignée qui donnent au lieu l'allure d'une maison hantée. Et pourtantLes meubles déchirés traînent toujours sous l'appatam décoiffé par endroit. Un coup d'?il furtif à l'intérieur du bâtiment de deux niveaux montre l'ampleur des dégâts. Plafonds arrachés, toiture perforée d'où s'infiltre l'eau de pluie qui dégrade les murs couleur coquille d'?uf.

Dans le salon mal éclairé et poussiéreux trône un poste téléviseur connecté 24H/24 sur Canal satellite. Le décor n'est pas plus reluisant dans le garage où les pilleurs ont déchargé leur rage sur un véhicule de marque Mercedes mis sur cale. Le président du conseil général de Danané peut rêver de retrouver un jour sa demeure. Ce qui n'est pas le cas de l'ancien ministre de la Communication. La villa d'Auguste Miremont au quartier Batouapleu a été littéralement soufflée en 2004 par les avions Mi-24 lors de l'offensive des Fds contre les positions rebelles. Réquisitionnée par un chef de guerre libérien connu sous le nom de ??général Esaï'', la résidence de l'ancien maire de Bin-Houyé servait également de poudrière. A en croire des témoins, plus d'une tonne de munitions était entreposée dans une des cinq chambres de la villa. Après le bombardement de la résidence, le feu y est resté pendant au moins un mois. Le général Esaï? a pris la fuite avec sa famille en passant par Danané pour rejoindre le Liberia , rapporte Bruno Bih Tobokué, cousin d'Auguste Miremont. Sur les cendres, il suffit de s'abaisser pour ramasser des centaines de douilles. Abandonnée, la villa est perdue dans une sorte de forêt sacrée que les populations, par peur, indiquent aux visiteurs de très loin. Miremont a tout perdu dans la région. Sa maison au village a été aussi pillée , témoigne avec beaucoup d'amertume Bruno Bih Tobokué.

Dans cette agglomération perdue au milieu de la brousse et oubliée par les programmes d'urgence de réhabilitation , l'horizon reste, pour les populations qui continuent de panser les plaies de cinq années de conflit, toujours obscur. Il ne leur reste plus qu'à prier Dieu pour qu'il leur envoie, comme l'énonçait à fort propos Mme Lago Daléba, fille de la région, un Salomon , ce grand prophète dont la sagesse pourra être profitable à tous.


Jean Roche Kouamé, Envoyé spécial

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