jeudi 2 août 2007 par Fraternité Matin

Journaliste émérite, écrivain reconnu, il dédicace aujourd'hui au Novotel, Nègreries? qui vient de paraître chez Frat-Mat Éditions.
Après Les prisonniers de la haine, vous avez sorti Robert et les Catapilas. Aujourd'hui, vous livrez Nègreries. Pourquoi ce titre?
La Nègrerie est un terme qu'on aimait employer à Fraternité Matin. Il me semble que c'est Ibrahim Sy Savané qui l'a inventé. On aimait bien qualifier de nègrerie les comportements bizarres que nous avons, nous les Africains. Et si vous lisez mes chroniques, vous verrez que bien avant 2000, j'avais intitulé l'une d'elles Nègrerie d'entreprise dans laquelle je fustigeais un peu les comportements aberrants que les entreprises avaient. Nègreries, pour parler trivialement, je dirais que ce sont les conneries des Nègres. Qu'est-ce qui différencie Nègreries des deux ?uvres précitées?
La différence est que les deux premières ?uvres sont des ?uvres de fiction, or celle-là est une compilation de chroniques. Ce sont des articles que j'ai écrits, de 1994 à 2006. C'est donc totalement différent. Comment s'est imposé à vous le choix des chroniques?
Ça été difficile. Il y a d'abord eu mon goût et ensuite celui du public. C'est vrai qu'il est difficile aussi de satisfaire tout le public. Mais avec l'aide d'amis, on a pu opérer des choix. Et c'est par rapport aussi à une vision que j'avais. J'avais envie de publier les papiers qui critiquaient un peu les tares de notre société. Je suis parti de 1994 à 2006, pour démontrer l'antériorité de mes critiques à la crise actuelle. Ce sont des critiques que j'avais commencé à émettre depuis cette période-là, donc du temps où M. Bédié était au pouvoir et puisque j'ai vu que les choses n'ont pas changé, j'ai continué. Ça donc été un peu difficile, j'avoue, de choisir tel ou tel article. Et certains lecteurs, comme je l'ai dit dans l'introduction, ne trouveront peut-être pas des articles qu'ils ont aimé. Toutefois, j'ai exclu certains papiers, un peu arbitrairement. Vous évoquez les Nègreries depuis douze années et vous dites que la situation n'a pas changé. Ne sentez-vous pas que votre combat est vain ouisque vos chroniques ont été écrites dans le but de changer les comportements des acteurs politiques généralement?
Je n'avais pas l'intention, ou tout au moins la prétention de changer le comportement de la société ivoirienne à travers des chroniques. J'avais la prétention de mettre le doigt sur un certain nombre de problèmes, et j'espérais que certains prendraient conscience de ce que je dis et que les comportements changeraient. Mais oui, je reconnais que les choses n'ont pas beaucoup évolué. Peut-être même qu'elles ont régressé. J'en suis désolé mais bon Je n'avais pas la prétention de changer la Côte d'Ivoire, elle doit l'être par les Ivoiriens ensemble.
La question demeure. Pourquoi écrivez-vous, pourquoi sentez-vous le besoin d'écrire?
J'écris pour alerter les consciences. Si vous lisez Les Prisonniers de la Haine, Robert et les Catapilas, et Nègreries, vous comprendrez que c'est pour alerter les consciences. Je pense être un intellectuel et je pense que c'est justement le rôle de l'intellectuel. Mais, bien sûr, on écrit pour se faire plaisir, parfois on a envie de crier mais c'est l'écriture qui permet de se faire entendre. Je crois qu'on n'a pas l'éducation pour prendre une machette ou un caillou pour se faire entendre. Or, on a parfois tellement mal que le cri qu'on veut pousser, on le fait à travers l'écriture. A travers elle, parfois, on en profite pour se guérir des maux et tares de la société. On est, souvent, tellement mal dans sa peau que l'écriture est comme une thérapie. Cette thérapie dont on parle en fait, n'est-elle pas pour Venance Konan qui souffre d'un certain complexe d'Africain par rapport à l'Occident dans Nègreries?
Je ne vois pas ce que vous appelez complexe d'Africain. En fait pour être franc avec vous, d'aucuns arguent que Venance Konan a un complexe d'Africain parce qu'il veut faire les yeux doux à ses amis occidentaux qui lui offrent une porte de sortie pour le mettre sous les feux de la rampe en Europe
C'est tellement ridicule comme assertion que je ne sais pas quoi y répondre. Moi, j'écris pour moi, pour mes frères africains. Quand je dénonce des problèmes qui se posent ici, je ne sais pas ce que l'Occident a à voir dedans. Ce que je déplore, c'est notre propension, nous Africains, à ne pas vouloir nous regarder dans le miroir. C'est ça qui est dramatique chez nous! Et lorsque tu émets une critique sur notre continent, on dit que c'est pour faire plaisir aux Blancs. Pourquoi vais-je chercher à faire plaisir aux Blancs? Je me sens mal dans ma peau d'Africain parce que mon continent va mal. C'est ce que vous appelez complexe oui j'ai ce complexe-là. J'ai honte moi, lorsque mon continent est assis sur des richesses phénoménales, j'ai honte lorsque nous sommes chaque jour dans cette misère-là et que nous soyons obligés chaque jour de tendre la main aux autres. Oui, c'est mon mal. Maintenant si vous appelez cela un complexe, je l'assume.
Maintenant concernant l'idée que je le fais pour faire plaisir aux Occidentaux, pour avoir je ne sais quel poste, c'est ridicule. Si je voulais avoir des postes, il y a longtemps que je les aurais eus. J'ai fait mes études en France, j'y ai eu un doctorat. Si je voulais y rester, je l'aurais fait. Il y a plus de vingt ans de cela. Avec un doctorat, immigration choisie ou pas, il y a vingt ans que j'aurais eu ma place là-bas ! Venance Konan n'appartient à aucun organe de presse de la place. Peut-on dire aujourd'hui que vous avez fait le choix, d'être écrivain, une sorte de conscience sociale critique libre de toute contrainte idéologique?
J'ai fait le choix de quitter Fraternité Matin où je ne compte que des amis comme vous. Heu Conscience sociale critique, je le suis depuis toujours. Quand vous lisez bien ces chroniques, vous voyez que les premières datent de 1994, où j'étais Rédacteur en chef d'Ivoir Soir. Et si vous allez plus loin, si vous lisez Campus Info, à l'époque où on était étudiant dans les années 1980, eh oui, j'ai toujours eu ce regard critique sur ma société. Ça date de longtemps, est-ce que ça vient de mon éducation ? Du milieu dans lequel j'ai évolué ? Certainement.On en est tous tributaires. Mais j'ai toujours eu ce regard-là, j'ai toujours voulu faire en sorte que les choses aillent mieux. Peut-être que c'est ce désir de perfectionnisme qui me pousse à avoir ce regard critique. Je pense qu'on ne peut pas s'améliorer tant qu'on ne s'explique pas, et c'est en cela que je ne comprends pas ceux qui parlent de complexe parce qu'on s'autocritique. Le drame de l'Afrique, je le répète, c'est qu'on ne veut pas se regarder dans le miroir. Pourquoi l'Europe avance-t-elle? Parce qu'elle a cette capacité d'autocritique. Elle a fait les pires choses. Mais c'est la mêmequi se remet en cause. La preuve, ce sont les Européens qui ont dit que l'esclavage est mauvais, que c'est un crime contre l'humanité, ce ne sont même pas les Africains. C'est l'Europe qui a créé l'Holocauste et c'est la même Europe qui a dit plus jamais ça ! C'est encore l'Europe qui a inventé le nazisme et ç'est elle-même qui l'a combattu avec la dernière énergie. Pareil pour le racisme. Parce que c'est là-bas qu'il y a des lois contre le racisme. Mais nous aussi, nous devons nous arrêter souvent et nous dire que nous avons ce comportement-là. Et qu'il est bon d'avoir le courage de dire qu'il faut le changer. C'est ce que nous ne pouvons pas faire et on préfère toujours rejeter nos problèmes sur les autres. C'est ça notre drame. Je me souviens au temps de Bédié, j'ai vivement attaqué le ministre Dibonan lorsqu'on a parlé de corruption des policiers. Il a demandé si en Europe il n'y a pas de corruption. Je lui ai dit mais, enfin ce n'est pas parce que les autres se comportent mal que nous allons faire comme eux. Regrettons effectivement ce qui se passe chez eux. C'est tout.
.Avec Nègreries, un nom péjoratif, dévaluatif, n'allez-vous pas dans le sens de l'Occident pour qui le Noir c'est noir?
Laissez l'Occident en dehors de cette affaire. Mon livre s'adresse aux Africains, aux Ivoiriens. Si les Occidentaux veulent le lire, qu'ils en pensent ce qu'ils veulent. Mais l'opinion qui m'intéresse est celle des Africains, celle des Ivoiriens. Qu'ils lisent, qu'ils regardent. S'ils estiment que les écrits sont fondés qu'ils le disent, dans le cas contraire aussi qu'ils le disent, mais laissons tomber les Occidentaux. Les mauvaises langues disent que l'Occident vous célèbre parce que vous donnez l'image du Noir à laquelle il s'attend?
Je le dis encore, laissez les Occidentaux en dehors de cette affaire! Mon livre ne s'adresse pas à eux.
C'est à nous de nous regarder et de regarder notre miroir. J'ai osé, je me suis permis de jeter un regard sur ma société. Lisez mes chroniques et vous verrez lesquelles s'adressent aux Occidentaux. Quand je dénonce la corruption en Côte d'Ivoire, le comportement des policiers, des douaniers, des agents des Eaux et Forêts qu'est ce que l'Occident à à voir dedans ? En raisonnant de la sorte, c'est à ce moment-là qu'on montre qu'on a un complexe par rapport à l'Occident. Nos propres comportements, chaque fois qu'on les critique, les gens disent qu'on fait plaisir à l'Occident, mais enfin, a-t-on le droit de dire que ce que nous faisons est bon ou non sans s'occuper du regard des autres ? Moi, je dis qu'en tant qu'Africain, je me donne le droit de dire, de critiquer ce qui ce constitue un frein pour l'évolution de ma société. Voilà l'objectif que je me fixe. Si mon livre plaît aux Occidentaux tant mieux, mais ce n'est pas à eux qu'il s'adresse.
La dédicace de l'?uvre, c'est pour le 02 août, et vous avez choisi comme parrain l'ex-ministre Jacques Andoh. Pourquoi ce choix?
Je l'ai choisi parce que Jacques Andoh est un ami, quelqu'un pour qui j'ai du respect, de l'admiration, quelqu'un avec qui je partage beaucoup d'idées. Il est parti du gouvernement dans les conditions qu'on connaît, au moment des déchets toxiques. A cette époque-là, j'estimais que si quelqu'un avait fait son boulot dans ce pays mien, c'était bien lui et qu'il est injuste que ce soit lui qui ait payé.
On disait tout à l'heure, que les Occidentaux vous célèbrent en tant que critique et écrivain mais en deux semaines, plus de 1500 exemplaires de Nègreries sont sortis des presses de Frat-Mat Editions. Vous considérez-vous aujourd'hui, comme la voix des sans voix, des nombreux anonymes Ivoiriens qui sont votre c?ur de cible?
Il serait intéressant d'aller faire une enquête dans les librairies pour voir qui achète mes livres. Vous vous rendrez compte que c'est d'abord les Ivoiriens qui les achètent. Vous qui parlez des Occidentaux qui me célèbrent. Je n'ai gagné aucun prix en Occident. Je n'ai fait que participer à des salons à Paris, à Genève, etc., comme tous les écrivains francophones. Je ne vois donc pas du tout de quelle célébration vous parlez. Aujourd'hui Venance Konan est-il écrivain à temps plein ou mène-t-il d'autres activités parallèlement à sa carrière?
Mais je suis toujours journaliste, ne l'oubliez pas. En ce moment, je travaille en free-lance, principalement pour Afrique Magazine, je travaille aussi pour d'autres journaux tel l'Express. J'en suis le correspondant en Côte d'Ivoire. Je travaille pour l'Hebdo Suisse, etc. Et puis bon, je m'amuse de temps en temps dans Gbich et enfin, il y a d'autres journaux européens qui me sollicitent pour des participations ponctuelles. Aujourd'hui, en tant qu'observateur attitré de la société ivoirienne, quel jugement portez-vous sur l'évolution du processus de sortie de crise en cours, principalement l'Accord politique de Ouagadougou?
Je suis très embêté par rapport à cet accord-là. On l'a tous célébré en disant que c'est le meilleur accord parce que les Ivoiriens ont discuté entre eux. Est-ce qu'à Marcoussis, à Pretoria, à Accra, les Ivoiriens n'étaient pas entre eux avec un facilitateur? Pour moi, c'est la même chose. Sauf qu'à Ouaga, cela s'est passé entre M. Gbagbo et M. Soro, c'est-à-dire les deux qui avaient les fusils et on a écarté l'opposition politique. C'est tout ce qui fait la différence. Prenez le processus en lui-même, on l'a célébré et vous avez tous été témoins comme moi de l'attentat contre le Premier ministre à Bouaké. Il montre que dans la conclusion de cet accord, quelque part, il y avait du faux. Il y avait de l'hypocrisie et j'ai bien peur que l'Accord de Ouagadougou n'ait été la victime collatérale des roquettes qu'on a tiré sur l'avion du Premier ministre. J'ai bien peur que cet accord-là, ou plutôt cette paix ne soit tuée ou ralentie fortement. Vous parlez d'hypocrisie.
Dans quel camp?
Je n'en sais rien, je ne sais pas qui a tiré sur l'avion du Premier ministre. Mais toute la Côte d'Ivoire, à ma connaissance, a célébré cet accord. Mais on a vu que quelqu'un a tiré sur le Premier ministre. Aujourd'hui, nous nous perdons en conjectures. On ne sait pas d'où cela vient mais quelque part, il y a quelqu'un que la paix n'arrange pas. Pour la paix à venir, êtes-vous optimiste?
Malheureusement non, avec cette hypocrisie dont je parle.


Interview réalisée par
Remi Coulibaly
et Michel Koffi

www.225.ci - A propos - Plan du site - Questions / Réponses © 2023