vendredi 27 juillet 2007 par Fraternité Matin

Bouaké est en train de faire sa toilette. Celle des grands jours et des grandes occasions. Comme une bien-aimée qui, après des années de brouille, a entrepris de reconquérir le c?ur de l'être chéri, l'ex-fief de la rébellion armée veut se parer de ses plus beaux atours. Pour ne laisser personne indifférent. Partout, se déroulent des travaux de réfection, d'assainissement et d'embellissement de la voirie. Et de réhabilitation des édifices publics. Pour que la capitale de la Vallée du Bandama retrouve son lustre d'antan. Le temps d'une journée. Historique. Inoubliable. Mémorable. Celle du 30 juillet. Les autorités ivoiriennes, de part et d'autre, n'ont donc pas lésiné sur les moyens. Elles mettent les bouchées doubles pour que les travaux s'achèvent à temps. Lundi, la capitale de la Vallée du Bandama déroule le tapis rouge à une demi-douzaine de Chefs d'Etat africains au nombre desquels Compaoré, Kufuor et Mbeki. C'est unique dans son histoire. Ces Présidents burkinabé, ghanéen, sud-africain et angolais... seront accueillis par leur homologue ivoirien. Dans ses attributs de Président de la République de Côte d'Ivoire. C'est exceptionnel.
Car, depuis son accession à la magistrature suprême du pays, en octobre 2000, c'est la toute première fois que Laurent Gbagbo va fouler le sol de Bouaké. C'est un événement. Historique. Inoubliable. Mémorable. Et cet événement prend une tournure d'autant plus spéciale que, depuis la tentative avortée de coup d'Etat, dans la nuit du 18 au 19 septembre 2002 - qui a abouti à la partition, de fait, du pays -, l'autorité du Chef de l'Etat ne dépassait guère les lignes de la zone de confiance et ne s'exerçait donc que sur environ 40% des 322.462 km2 de la superficie du pays. Ce 30 juillet signifie, symboliquement, une seule et unique chose: la Côte d'Ivoire est ? véritablement ? réunifiée. Et c'est Laurent Gbagbo, seul, qui incarne désormais les institutions républicaines. Et ce, sur toute l'étendue du territoire national. C'est pourquoi les autorités ont décrété le 30 juillet 2007 journée exceptionnellement chômée et fériée. Après le raz-de-marée du 3 juin dernier pour le match de football Côte d'Ivoire - Madagascar, les Ivoiriens vont encore déferler sur Bouaké et battre tous les records d'affluence. Les appels à la mobilisation fusent de partout. Pour des manifestations populaires de grande envergure. Ils prêchent des convertis. Parce que personne n'a envie de se faire raconter l'événement. Bouaké sera donc pleine comme un ?uf. Pour ces grandes et émouvantes retrouvailles qui ont un caractère éminemment politique. Ce 30 juillet 2007 est plus qu'une fête nationale. Naguère divisés par des politiciens, qui ne cherchaient qu'à assouvir leurs desseins inavoués, les Ivoiriens ont su se ressaisir - à temps - au terme d'une guerre (totalement) absurde. Tous les belligérants ont fait leur mea culpa. Et ont décidé d'enterrer la hache de guerre. De leur côté, tous les Ivoiriens ont réalisé, in extremis, qu'ils risquaient d'être les dindons de la mauvaise - et cruelle - farce que leur faisaient certaines forces occultes. Maintenant que les sophismes ne passent plus, ils ont choisi de fumer le calumet de la paix. Au nom de la mère patrie. Pour preuve, si au début de la crise armée, seuls ceux qui soutenaient le camp présidentiel, brandissaient le drapeau national au cours des manifestations publiques, aujourd'hui, le nationalisme s'est emparé de tous les Ivoiriens. Qui s'affichent, chaque fois que cela s'impose, avec des tee-shirts, des casquettes et autres vêtements arborant les couleurs orange-blanc-vert, si chères à nos c?urs. Sans considération de couleur de peau, de religion et de région. Loin des intrigues politiciennes. Et leur c?ur bat à l'unisson pour tout ce qui engage l'avenir de leur pays. Les Ivoiriens ont fini par comprendre que, malgré leur diversité, ils ne sont qu'un seul et même peuple qui forme une seule et unique nation. La guerre aura-t-elle servi de levain au rapprochement des habitants de ce pays qui se regardaient en chiens de faïence? Sans doute que oui. Le sage ne dit-il pas qu'à quelque chose, malheur est bon?
C'est, entre autres, pour cette raison que la Côte d'Ivoire est en train de continuer à faire exception dans la gestion des crises armées; confortant ceux qui pensent sincèrement qu'elle est un pays béni de Dieu. Parce que d'une part, malgré la violence des combats - qui ont fait, le 19 septembre 2002, environ trois cents morts seulement à Abidjan - les armes se sont rapidement tues, sanctionnées par la déclaration officielle de fin de guerre conclue entre les états-majors des deux armées, en juillet 2003. Sous le regard embué de Laurent Gbagbo. Et d'autre part, ballottés et manipulés entre des intérêts contradictoires de puissances étrangères, les protagonistes de la crise se sont, de guerre lasse, accordés pour discuter entre eux, loin des interférences extérieures, à l'effet de trouver les solutions idoines à leurs problèmes. Ce dialogue direct est le triomphe, aux plans politique et diplomatique, de ce pays qui s'est courageusement engagé à prendre son destin en main. Et à écrire une nouvelle page de son histoire. La communauté internationale s'est alignée sur la volonté exprimée par les Ivoiriens (suppression de la zone de confiance et du poste de haut représentant des Nations unies pour les élections, notamment). Malgré les cris d'orfraie de certaines forces rétrogrades et passéistes. Aucun sacrifice n'est donc trop grand pour faire aboutir le processus. Aussi les Forces nouvelles, inscrites dans cette dynamique, ne se sont-elles pas formalisées de deux incidents fâcheux qui auraient pu faire échouer tout le processus de retour à la normalité: l'attentat manqué du 29 juin dernier contre le Premier ministre Soro Guillaume et l'arrestation, à Bouaké, de trois agents infiltrés de la DST (service d'espionnage et de contre espionnage) qu'elles ont, du reste, fini par relâcher. Au nom de la paix et de la confiance retrouvée.
La Côte d'Ivoire célèbre donc ce lundi sa fête de la Liberté. Qu'elle n'a véritablement jamais eue. Le 7 août 1960, la colonie accédait à la souveraineté nationale et internationale. A son corps défendant. Elle sera alors tenue en laisse par des accords de coopération qui ne lui donnaient et ne lui donnent encore aujourd'hui, presqu'aucune marge de man?uvre. Parce que l'ex-puissance tutélaire tenait et tient encore aujourd'hui, à préserver ses intérêts d'abord. Ce sont les avatars de cette indépendance octroyée et placée sous contrôle que les dirigeants actuels de ce pays gèrent. Avec des fortunes diverses. Le 30 juillet n'est donc pas une fête quelconque. C'est une date qui marque d'une pierre blanche le début de notre affranchissement progressif des corsets du (néo)colonialisme. Sous toutes ses formes. Elle doit donc être institutionnalisée. Mieux, à l'instar de Félix Houphouet-Boigny, qui avait déplacé la fête de l'indépendance pour la fixer au 7 décembre, le 30 juillet pourrait ? légitimement et normalement - se substituer à la fête du 7 août. Qui ne nous rattache, finalement, à aucun événement qui mérite d'être célébré.

Par
Ferro M. Bally

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