mardi 24 juillet 2007 par Le Temps

Le Président de la République, SEM. Laurent Gbagbo a procédé hier, à l`ouverture de la table ronde précédant l`édition spéciale du MASA 2007. C'est à la Fondation Félix Houphouët-Boigny pour la Paix à Yamoussoukro. Dans son adresse, il a exhorté les panélistes à s`éloigner de l`afro-péssimisme. Démocratie et culture démocratique : sortie de crise et paix en Afrique ", tel est le thème que les organisateurs du MASA soumettent à la réflexion. Bien entendu, un tel thème est très vaste, si on veut le traiter. Il équivaut à un ouvrage entier ou le contenu d`une vie. Mais je dois dire quelques mots sur ce sujet. Pour ce qui concerne l`Afrique francophone et plus particulièrement la Côte d`Ivoire, jusqu`en 1945, nous étions sous le régime colonial. Nous n`étions pas tous Français, donc nous n`avions pas tous les mêmes droits politiques. Nous ne pouvions donc pas parler politique africaine. Quelques villes du Sénégal, quatre, je crois, à savoir Dakar, St Louis...avaient leurs enfants comme citoyens français. Mais les autres villes et régions n`étaient pas concernées par la citoyenneté française et donc, n`étaient pas concernées par les décisions à prendre. Nous étions dans la 1ère phase de l`air colonial. Et après la guerre, pour des raisons qui lui sont propres dont il n`est pas utile d`en parler ici, le Général de Gaule prend une ordonnance qui autorise aux colonies d`envoyer à l`Assemblée nationale française, deux députés : un indigène et un Français. (...). C`est en ce moment-là que les éléments de la démocratie ont commencé à naître en Côte d`Ivoire, en Afrique francophone. C`est à partir de ce moment, plus précisément un an après, en 1946, que les premiers partis politiques ont commencé à naître. Ils ont eu la vie que tous les partis ont en Afrique : répression, victoires électorales, échecs, contestations, emprisonnements. ça été la cas de Bernard Dadié qui a été emprisonné à Grand-Bassam en 1949 d`où il nous a ramené des poèmes forts. C`était la naissance de la culture démocratique. Cette naissance s`est faite dans le combat contre l`ordre colonial. Il s`agissait, pour les démocrates de l`époque, de mobiliser les populations autour des slogans anti-colonialistes. Il s`agissait pour Houphouët-Boigny et ses compagnons, de mobiliser les populations de Côte d`Ivoire et même de l`ensemble de l`Afrique francophone contre, non seulement le colon, l`administrateur colonial et le colonialisme en général. C`était cela l`enjeu des combats démocratique. Parce qu`un combat démocratique, n`est jamais un combat ordinaire. Il a un objectif. La démocratie a toujours été un instrument d`épanouissement. A l`ère des indépendances, en 1960, nous retrouvons à la tête des Etats, ceux qui, en 1945, 1946, défendaient les populations contre l`ordre colonial. Ils ont tous proclamé le parti unique. C`est la contradiction dans laquelle nous nous sommes retrouvés. Commence alors une nouvelle ère, le parti unique. C`était l`élément de réflexion, comme élément idéologique de pouvoir. Mais bien qu`étant dans le parti unique au pouvoir, nous, nous étions dans l`opposition. C`est-à-dire qu`au départ, nous cherchions à renverser le parti unique pour lui substituer un autre parti meilleur, disions-nous. Cette position a été intenable. Parce que tout combat doit se justifier, s`expliquer. En 1980, nous avons pensé à aller à la démocratie. On nous traitait de petits bourgeois impatients. Le Mali, le Burkina Faso... ont connu ce débat. Au parti unique, nous opposons, désormais, une vision pluraliste. Ce qui donne une difficulté à la pensée de la lutte contre le parti unique. Là, nous sommes beaucoup plus à l`aise. Et c`est cette vision qui triomphe en 1990. Des gens disaient qu`en 1990, ce n`est pas nous qui avons gagné, mais ce sont les difficultés économiques qui ont fait que le PDCI a reculé. Mais c`est toujours ainsi qu`on gagne en politique. (Rires). On n`a jamais vu un combattant, qu`il soit politique ou qu`il soit militaire qui gagne sans tenir compte de l`environnement. Nous, historiens, disons que c`est la géographie qui écrit l`histoire. C`est la démocratie pluraliste qui a triomphé en 1990. La démocratie, c`était avant tout, un cri de ralliement pour tous ceux qui sont prêts à combattre. Elle mobilise les gens qui réfléchissent désormais sur la manière dont le pays est géré, sur la manière dont les affaires sont conduites. Mais on ne pensait pas tous la même chose. D`où la pluralité des partis politiques. Désormais, on pouvait discuter le pouvoir sans être traité de traître. Tous les partis uniques se ressemblent de ce point de vue-là. Les partis uniques africains avaient quelque chose de plus dur que ceux de type communiste. Car en Afrique, tout le monde payait la carte du parti unique, quand bien même tu es contre. Il y avait quelque chose d`assez cocasse. Nous sommes en train de construire la démocratie. (...). On étudie l`histoire pour en tirer des leçons. On ne peut pas avoir étudié l`histoire des peuples et s`étonner des attaques actuelles parce qu'on a des idées nouvelles. Les gens combattent toujours les idées nouvelles par les armes, les arrestations, les brimades. On a même arrêté Houphouët-Boigny ici même à Yamoussoukro en 1949. C`est fort de ce constat que je suis serein. Parce que ce que nous voyons, nous l`avons déjà étudié. Et nous allons nous en sortir car la base de la société est vraiment d`accord pour ces changements qualitatifs. Sinon ce régime serait déjà balayé.
Est-il juste de dire qu`il y a trop de crises en Afrique ? Non. Je peux paraître pessimiste, mais je sais que les crises que nous vivons en Afrique sont des crises naturelles. En Europe, entre 1789 et 1870, que de crises, que de batailles rangées ! On ne peut pas avoir étudié tout cela et être étonné. Ces crises ont débouché sur les deux guerres mondiales : 1914-1918 et 1939-1945. Ce sont des crises de soubresauts de la construction de la démocratie et du développement industriel. L`Afrique produit des crises parce qu`elle est dans une phase où il peut ne pas en avoir. Où elle passe d`un statut à un autre. Pour passer d`un Etat dépendant, colonisé, méprisé à un Etat souverain et développé, je ne connais pas au monde plusieurs pays qui n`aient pas traversé plusieurs crises. Nous sommes actuellement dans cette tourmente. On ne passe pas des ténèbres à la lumière facilement. On ne passe de la colonisation à l`indépendance aussi facilement. Tous les pays africains sont concernés. Au Ghana, il y a eu huit (8) coups d`Etat, au Nigeria il y a eu une guerre civile et des coups d`Etat. Au Bénin, au Togo, en Guinée Biseau, en Sierra Leone, en Gambie etc. C`est donc l`histoire des peuples qui s`écrit ainsi. C`est pourquoi, l`histoire est une science qui a des règles. J`ai toujours dit que l`histoire est la première des sciences politiques. Parce que quand on l`a étudiée, on va, on voit où on va. Je ne pense donc pas qu`il y a trop de crises en Afrique. L`Afrique traverse son moment de difficultés. Et il faut qu`on y sorte vite. C`est vous dire que l`Afrique est encore dans une phase de libération, où elle avance vers la souveraineté et vers le développement économique. Ce sont ces crise qui vont indiquer le chemin du développement économique et de la libération. (...) Travaillons pour qu`on sorte vite de cette période de turbulence. Il faut que les nations passent par leurs propres chemins. C`est quand un pays entre en crise qu`il doit ressortir de la crise. Les enfants des pays africains doivent comprendre que jamais personne ne viendra les sauver à leur place. On peut être aidés, mais personne ne peut écrire notre histoire à notre place. La sortie de crise en Côte d`Ivoire le montre bien. Nous avons une dizaine d`accords signés au dehors, 22 résolutions, mais comme le disaient des amis, les résolutions de l`ONU n`ont jamais tué quelqu`un. C`est nous et nous seuls qui sommes responsables de l`avenir de la Côte d`Ivoire. La discussion a duré 4 mois. Mais la discussion officielle a duré un mois. Mais en 4 mois, nous avons fait plus de progrès qu`en 4 ans. On avance parce que la sortie de crise est pensée, conduite, codifiée par nous-mêmes. C`est ce qu`il faut retenir. Pour me résumer, je vous demande de ne pas être désespérée pour l`Afrique. Notre génération a pour rôle de créer les conditions pour que nos pays soient démocratiques et développés. C`est ce que nous allons laisser qui va donner les conséquences, demain. Il faudrait vous éloigner de l`afro-pésimisme. Les combats, ce n`est pas qu`en Afrique mais c`est partout. Il ne faut surtout pas que les Africains désespèrent et s`impatientent. Il faut qu`ils comprennent que nous faisons un travail pour des chaînes de générations. Mesdames et messieurs, chers amis de l`Organisation internationale de la Francophonie , M. le Directeur du MASA, M. le ministre, que Dieu éloigne de nous l`afro-péssimisme en nous enseignant que notre avenir est dans notre main. Et déclare ouverte la Table ronde internationale du MASA spécial 2007.
Je vous remercie.

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