lundi 23 juillet 2007 par Notre Voie

Exilé en France depuis plus de 25 ans pour échapper ainsi à la répression du pouvoir PDCI, le journaliste Bernard Doza a décidé de rentrer au pays. Dans cette interview exclusive, il parle de la crise ivoirienne et du rôle de la France, de l'attentat contre le Premier ministre Guillaume Soro, de l'accord de Ougadougou
Notre Voie : Vous avez écrit liberté confisquée, un essai dans lequel vous dénonciez les pratiques du parti unique tenu par Félix Houphouet-Boigny. Pourquoi n'êtes-vous pas rentré en Côte d'Ivoire après la mort de Félix Houphouet-Boigny puisque c'est lui qui incarnait le régime que vous stigmatisiez dans votre ouvrage ?
Bernard Doza : Liberté confisquée qui est sorti en novembre 1991, était un livre de constat et de rupture avec l'époque du complot afro-élyséen organisé contre la jeunesse africaine. Mais, c'est aussi le livre qui signe la fin du journalisme de collaboration avec la dictature du parti unique. Car, jusque-là, Félix Houphouet achetait tous les écrits critiques sur la Côte d'Ivoire et son régime à partir de Paris, pour soigner son image de sage de l'Afrique en dépit de la souffrance du peuple ivoirien. En effet, j'ai reçu Laurent Gbagbo, le 25 décembre 1983 à une émission de 2H sur la radio Média Soleil, pour le faire connaître des parisiens, après son livre : Côte d'Ivoire, pour une alternative démocratique qui était boycotté par les médias français. Et, par la suite nous avons créé le 3 juin 1984, le Mouvement ivoirien pour les Droits démocratiques (MIDD) dont j'étais le secrétaire à l'information jusqu'en octobre 1990 au congrès de Toulouse.
Je ne suis pas rentré en Côte d'Ivoire, après la mort de Félix Houphouet, car la succession fut une mascarade dictatoriale.
C'est une opération qui amenait au pouvoir politique un homme : Henri Konan Bédié connu comme grand voleur de la république, pour avoir surfacturé et détourné l'argent des usines sucrières installées dans le Nord du pays. Au moment de son renvoi du gouvernement par Félix Houphouet en juillet 1977, plus de 35 milliards de FCFA étaient portés disparus. En 1975, Bédié avait fêté ses 7 milliards de fortune au cours d'une cérémonie organisée à l'hôtel Ivoire d'Abidjan. Je ne craignais pas le régime de Bédié, mais j'ai de l'aversion pour les hommes politiques qui n'aiment pas leur pays, même si ce pays les rend riches à travers le vol d'Etat. Je n'ai jamais abordé frontalement le régime de Bédié dans les média à Paris, car je savais qu'il ne durerait pas.
N.V. : Que reprochiez-vous fondamentalement au régime de Henri Konan Bédié ?
B.D. : Konan Bédié, c'était l'inauguration officielle de l'obscurantisme politique en Côte d'Ivoire. C'était le tribalisme au pouvoir dans la forme la plus barbare, allié à la xénophobie. Mais le régime Bédié, c'est surtout le crime de la conceptualisation de l'ivoirité. En fait, c'est un micro-nationalisme populiste conçu par les héritiers de la bourgeoisie agraire du PDCI pour enflammer le petit peuple et entraîner la Côte d'Ivoire dans la guerre.
Une situation de guerre souhaitée et politiquement travaillée localement avec l'appui de la France, et dont le but primaire est de faire éviter aux anciens dignitaires le procès sur le régime génocidaire de Félix Houphouet, après la mort du dictateur.
N.V. : Sous la transition militaire conduite par le général Robert Guéi, des informations contradictoires faisaient état de votre rapprochement avec le chef de la junte militaire au pouvoir à l'époque. Qu'en est-il exactement ?
B.D. : Si j'avais travaillé avec Guéi, les Ivoiriens m'auraient entendu intervenir dans les meetings et parler pour le général. En politique, ce qui compte, ce sont les actes que l'on pose. Ce sont les preuves. Maintenant, quant à savoir si le général Guéi est un putschiste contre le régime de Bédié, cela dépend de quel côté, on se place face à la souffrance du peuple ivoirien.
Henri Konan Bédié était un homme qui n'avait aucune légitimé politique, encore moins électorale vis-à-vis du peuple ivoirien. C'était un président imposé qui en 1995, face au boycott actif organisé par l'opposition unie à l'occasion d'un scrutin qu'il avait verrouillé d'avance, n'a pas hésité à décréter : l'Etat d'urgence et à faire tirer sur les Ivoiriens qui manifestaient contre la mascarade électorale. Pour ceux qui ne le savent pas, il y a eu 25 morts et 250 blessés à cette occasion
En 1993, le président Amadou Toumani Touré du Mali me disait : si vous voyez, dans un pays, l'armée faire irruption sur la scène politique, c'est que l'alternance a été rendue impossible par les tenants du pouvoir. Et tout le monde savait à Abidjan comme à Paris qu'avec Bédié, l'alternance démocratique était devenue impossible en Côte d'Ivoire. Après 40 ans de règne PDCI, le président Bédié était en train de trafiquer la Constitution pour aller du quinquennat au septennat avec pour successeur au pouvoir politique son propre neveu, le ministre de l'Economie, Nyamien N'Goran. N.V. : En octobre 2000, Laurent Gbagbo, dont vous étiez proche lorsqu'il était en exil en France dans les années 80, accède au pouvoir après l'élection présidentielle. Certains observateurs ont pensé que vous rentreriez enfin en Côte d'Ivoire, mais ce ne fut pas le cas. Pourquoi ne l'aviez-vous pas fait ?
B.D. : Je ne suis pas rentré, parce que la question du combat pour la liberté du peuple ivoirien que nous avons posée depuis 1980 n'est pas un problème de poste à prendre. Sinon je serais rentré au pays dès que Laurent Gbagbo avait officiellement lancé le FPI.
L'explication de mon exil qui dure réside dans la conviction du combat contre la France qui contrôle militairement et qui étouffe politiquement la Côte d'Ivoire. C'est un combat qui doit se faire génération par génération, étape par étape, pour aboutir dans la finalité à l'émancipation définitive du peuple ivoirien. A quel niveau sommes-nous aujourd'hui et pourquoi j'annonce mon arrivée prochaine ? C'est parce que nous allons passer à une autre étape de la lutte à travers la consolidation du pouvoir du président Laurent Gbagbo. N.V. : Après la fermeture de la radio Media Tropical à Paris, vous vous êtes entièrement consacré au conseil en communication de certaines personnalités africaines dont des chefs d'Etat englués dans les travers françafricains et réfractaires à tout processus démocratique dans leurs pays respectifs. N'est-ce pas contradictoire de prôner la démocratie et défendre en même temps des régimes tenus par des dictateurs en Afrique ?
B.D. : Sur décision du CSA (conseil supérieur de l'audiovisuel), la radio Parisienne Média Tropical, qui a perdu son droit d'émettre au profit d'un autre projet radiophonique antillais, cesse ses émissions en septembre 2007. Mais moi, j'avais déjà quitté définitivement Média Tropical en 2003. Quant à la question du conseil auprès de chefs d'Etat englués dans la Françafrique, je n'en ai conseillé que deux : Blaise Compaoré et François Bozizé. Et je ne suis ami qu'à deux chefs d'Etat. Pour les avoir promotionnés à Paris (alors qu'ils étaient opposants) pendant la dictature du parti unique et du multipartisme sans alternance. Il s'agit de Laurent Gbagbo et d'Abdoulaye Wade.
S'agissant de Compaoré, alors que Laurent Gbagbo était en résidence surveillée en novembre 1988 (sur ordre de Félix Houphouet) au lendemain du congrès du FPI, il a posé des actes en faveur de notre lutte. Il a mis à ma disposition un passeport diplomatique et une voiture avec chauffeur et deux techniciens de télévision, pour rentrer clandestinement en Côte d'Ivoire et voler au secours de nos amis en danger. C'est ainsi que le samedi 31 décembre 1988, dans le salon de Louis-André Dakoury-Tabley, j'ai réalisé une interview télévisée de Laurent Gbagbo que j'ai fait projeter sur grand écran lors d'un meeting à Paris, le 16 janvier 1989. Cette interview fera reculer Félix Houphouet-Boigny qui avait déjà condamné Anaky Kobena à 20 ans de prison ferme à la Maca suite au congrès clandestin du FPI. J'ai été d'ailleurs convoqué à l'Elysée pour cette affaire Maintenant en ce qui concerne le conseil à Bozizé pour l'opération de prise de pouvoir dans la République centrafricaine, je l'assume complètement.
N.V. : Le dimanche 4 mars 2007, le chef de l'Etat ivoirien, Laurent Gbagbo a signé un accord de paix à Ouagadougou (Burkina Faso) avec Guillaume Soro, Secrétaire général des Forces Nouvelles sous l'égide du chef de l'Etat burkinabé, Blaise Compaoré. Pensez-vous que cet accord est plus prometteur que celui de Linas- Marcoussis ?
B.D. : Je me réjouis de la signature de l'accord de Ouagadougou. Je suis parmi ceux qui ont souhaité le poste de Premier ministre à Guillaume Soro. Cet accord est donc plein d'espoir pour le peuple ivoirien. N.V. : L'attentat contre le premier ministre Guillaume Soro perpétré par des inconnus, le 29 juin 2007, à Bouaké peut-il, à vos yeux, être considéré comme un obstacle pour le futur de l'accord de Ouagadougou ?
B.D. : L'attentat de Bouaké est un avertissement. Il pose la problématique de la raison du coup d'Etat mué en rébellion. Il rappelle étrangement l'attentat de Kigali (Rwanda) en 1994 contre l'avion du président Juvénal Habyarimana qui a mis le feu aux poudres, en aboutissant au massacre des Tutsi par l'armée tribale hutu. Ce qui me trouble, c'est la ressemblance étrange. Comme hier à Kigali où le juge français Bruguière a indexé le FPR, aujourd'hui à Abidjan, précipitamment, la France a conclu à une responsabilité du pouvoir d'Abidjan, en parlant des douilles retrouvées sur place qui seraient celles de l'armée régulière, les FDS. Tout cela paraît curieux. N.V. : Etes-vous en contact avec le chef de l'Etat, Laurent Gbagbo ?
B.D. : Depuis 2005, des contacts ont été établis entre le président Laurent Gbagbo et moi. Nous nous sommes d'ailleurs entretenus récemment. Très bientôt, je rentrerai au pays.


Interview réalisée au
téléphone par
Didier Depry
didierdepri@yahoo.fr

www.225.ci - A propos - Plan du site - Questions / Réponses © 2023