lundi 23 juillet 2007 par L'intelligent d'Abidjan

Le terrorisme international, la Cour pénale de la Haye, la justice africaine, les mandats d'arrêt internationaux, le jeune Magistrat Manlan Ehounou Laurent, président de " Transparency Justice ", connait bien l'actualité judiciaire, et prend au sérieux la remodelation de la justice africaine et ivoirienne. Pour le juge Manlan Ehounou Laurent la leçon est simple : " Il ne peut y avoir de reconstruction et de réconciliation sans une justice forte "
Qu'est ce qui fait courir Manlan Laurent et " Transparency Justice " ?
Créée en 2003, l'Ong Transparency qui regroupe pour l'essentiel des animateurs de l'appareil judiciaire a pour objectif notamment de promouvoir l'excellence au sein du milieu judiciaire pour la récompense du mérite. Transparency se propose des solutions, afin de lever les entraves, d'où qu'elles viennent, et proviennent surtout contre la corruption, en encourageant particulièrement les magistrats à appliquer dans toute sa rigueur, la règle de droit. Au-delà de ces objectifs, " Transparency Justice " vise à terme, une justice de qualité, élément indispensable de la bonne gouvernance, elle-même dépendant d'un Etat de droit, une justice impartiale, indépendante, accessible, efficace, et performante. Car, la bonne gouvernance a un lien avec le développement voire le développement durable. La Côte d'Ivoire, qui a pour ambition légitime d'assurer une croissance économique forte, ne peut se payer " le luxe " de négliger l'environnement judiciaire. En mettant en place une politique de redynamisation et de crédibilisation de l'appareil judiciaire, notre pays atteindra cet objectif. En attendant, nous allons jouer notre partition en identifiant avec Courage et responsabilité, les blocages, et de nous impliquer dans la recherche de solution. C'est notre façon d'aimer la Côte d'Ivoire notre pays. Vous êtes magistrat. Mais comment acceptez-vous, qu'on identifie l'Afrique par " Justice africaine ". Cela ne vous choque pas ?
Cela fait partie de cette caricature, qui veut que le continent africain forme un pays unique, ou 53 pays exerceraient une politique unique judiciaire. " Justice africaine " fait partie de l'idée que la justice en Afrique serait une des plus irniques, et qu'elle serait toujours aux ordres du politique. Bien entendu, cela est excessif, même s'il y a d'énormes " choses " à améliorer dans notre justice. Cependant, quand vous lisez le livre de Jean François Lacan, intitulé " ces Magistrats qui tuent la justice ", vous comprenez que la différence n'est pas de nature, mais, elle est de degré. Car, la grande majorité des " choses ", des tares qui sont imputées à notre justice se retrouvent de l'autre côté Cependant, j'ai deux remarques essentielles à faire. La volonté de changer est plus forte et le débat existe depuis plus longtemps. Ensuite, la sanction est appliquée indistinctement de la qualité de la personne, à laquelle elle est appliquée. Concernant la justice ivoirienne, il faut préciser que si elle est critiquée, ce n'est pas parce qu'elle est la pire de toutes les justices dans la sous région. Je peux l'affirmer, la justice ivoirienne est la meilleure. Si, elle est mise à l'index, c'est parce que, nous avons la capacité de faire mieux. Malheureusement, il semble que nous n'ayons pas cette volonté d'engager les reformes, à la dimension de nos ambitions."
Vous suivez l'actualité et l'évolution des procès qui attendent Hissene Habré, Charles Taylor. Etes-vous d'accord avec ceux qui disent que les personnalités africaines doivent être jugées par la justice Belge ou celle de la Haye ?
La question n'est pas d'être, ou pas avec le fait que telle ou telle personnalité politique soit jugée par le tribunal Belge, ou par le tribunal pénal international. Le vrai débat est l'instauration de l'Etat de droit, et de la lutte contre l'impunité dans nos pays. Comment faire, pour qu'il y ait primauté de droit dans le territoire national ? En clair, il faut que tous les organes de l'Etat, l'exécutif, le législatif, le judiciaire, les collectivités locales exercent leur pouvoir et leurs prérogatives conformément à la loi. Il ne faut pas aussi, oublier la constitutionnalité des lois, le contrôle de la légalité des actes administratifs. Si tout cela est réglé, il faut avoir la volonté et le courage de punir tous ceux qui violent les règles établies, quels que soient l'auteur des violations, leur fonction et leur poids politique, économique et social. Mais, au lieu de cela, que constatons nous ? On a le sentiment que l'impunité est la règle et la punition l'exception. Ce qui se passe au Darfour, ce qui s'est passé en Sierra Leone, au Liberia, au Rwanda, au Kossovo est-il punissable ? Oui ou non ? Si la réponse est oui, il faut juger les auteurs, si les mécanismes juridiques et judiciaires permettent de les juger dans les pays concernés. Si cela n'est pas le cas, les auteurs peuvent être jugés dans un autre pays. L'Afrique et le mythe de la Cour pénale internationale. Savez-vous, ce qui se passe à la Haye ?
Il faut savoir que la création du Tpi est rendu nécessaire par la commission des droits de l'Homme des Nations Unies. La résolution du 14 août 1992, fait état de violations massives et graves des Droits de l'Homme, commises sur le territoire de l'ancienne Yougoslavie, en particulier en Bosnie-Herzégovine. Le Conseil de sécurité des Nations Unies, décide alors par sa résolution 808 du 22 février 1993 de la création d'un tribunal international pour juger des personnes présumées responsables de violation grave du droit humanitaire international, sur le territoire de l'ancienne Yougoslavie depuis 1991. Aussi ce tribunal est il compétent pour juger les crimes de guerre, de génocide et les crimes contre l'humanité. Aussi, il faut signaler, qu'il n'y a pas que La Haye, il y a également, le tribunal international pour le Rwanda, qui siège à Arusha, et qui est chargé de juger les auteurs du génocide rwandais. Aucune critique à émettre, notamment le contenu des mandats d'arrêts internationaux à l'encontre des dirigeants politiques africains, par certaines juridictions françaises ?
Cette critique serait légère de notre part dans la mesure, où nous n'avons pas connaissance du contenu des dossiers. Il serait irresponsable d'émettre une quelconque critique. Le débat est provoqué par le fait qu'il s'agit de dirigeants politiques. Certainement, que ce débat doit être mené par les " politiques ". Pour notre part, nous nous arrêtons uniquement, sur l'aspect judiciaire de la question. Les mandats d'arrêt internationaux existent, et sont prévus par les législations nationales de chaque pays et l'émission relève de la compétence des juges, chargés des dossiers d'instruction. Leurs régularités s'apprécient au regard des dépositions nationales. Quant à l'opportunité, elle relève de l'appréciation souveraine des magistrats chargés des dossiers. Le terrorisme international a-t-il la même logique que le terrorisme en Afrique ?
La définition du terrorisme fait débat entre les pays occidentaux et le tiers monde, à cause de l'incorporation d'une notion politique dans cette définition, la logique terroriste reste la même ici comme ailleurs Le terrorisme n'a qu'une seule logique : semer la violence et le chaos, dans un but, soit de propagandes, soit en vue d'emmener un gouvernement à la négociation. Pour être précis, avant de connaître le terrorisme moderne, il existait en Afrique " les mouvements de libération " encore que l'Oua et par la suite l'Union africaine, refuse de qualifier ces mouvements de groupes terroristes. Cela couvre l'ère post-coloniale, mais correspondait tout de même au terrorisme, ethnonationaliste et séparatiste. Y a-t-il une situation de terrorisme en Côte d'Ivoire ?
Le terrorisme prend place, généralement dans les Etats désagrégés, où les institutions sont très affaiblies, mais également dans les Etats, où le jeu démocratique est inexistant, et la bonne gouvernance aussi. En dehors de cela, l'extrémisme religieux et le fondamentalisme peuvent déclencher le terrorisme. Au vu de tout cela, on peut dire qu'il y a moins de " règle " pour la Côte d'Ivoire de connaître une situation de terrorisme Cependant, il y a lieu d'être vigilant quand on sait que les Etats Unis et la Grande-Bretagne ne sont pas les pays les moins démocratiques, ont été frappés sur leur sol par les terroristes. Les crimes perpétrés pendant la crise ivoirienne intéressent-ils la Cour pénale internationale ?
Comme je l'ai indiqué plus haut, les crimes de guerre, le crime de génocide et les crimes contre l'humanité sont des infractions susceptibles d'être poursuivies devant le Tribunal pénal international. Pour la crise ivoirienne, oui ! Si on estime qu'au cours de la guerre, les infractions citées plus haut, ont été commises. A cela, il faut préciser que la communauté internationale ne se saisit d'un dossier que lorsqu'elle a le sentiment que rien n'est fait au plan local pour sanctionner les auteurs d'infractions graves, ou que ce qui est fait est " insuffisant " pour elle. L'accord de Ouaga repond-il aux exigences de la lutte contre l'impunité ?
A ce niveau, il est heureux de constater que l'accord de Ouaga n'a pas amnistié un certain nombre d'infractions, dont les crimes de sang et les crimes économiques. Ce qui suppose que les autorités ivoiriennes entendent, en temps opportun, faire juger les présumés auteurs de ces crimes. Il faut le souhaiter, car c'est l'absence d'initiatives interne, qui implique à penser que les Etats africains couvrent l'impunité, et fait croire que l'Etat de droit n'existe pas en Afrique. Mais, quand on prend l'exemple de l'Afrique du sud qui a réussi à solder son lourd passé par l'instauration de la commission vérité et réconciliation? on peut se nourrir de beaucoup d'espoir. Votre dernier mot Monsieur le président ?
Nous ne pouvons aller à la reconstruction de notre pays qu'avec l'appui d'une justice forte et indépendante, qui sera maîtresse du jeu politique, économique et social. Or, force est de reconnaître, que la justice ivoirienne, demeure jusque là, le " ventre mou " de toutes les politiques de sortie de crise. Il faut espérer que cela change et que notre justice reprenne la place qu'elle mérite pour le bonheur de la Côte d'Ivoire.

Propos recueillis
Ben Ismaël

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