jeudi 19 juillet 2007 par Le Matin d'Abidjan

En visite de travail sur les bords de la Seine depuis plus d'une semaine, le ministre de la Culture et de la Francophonie, Augustin Kouadio Komoé, a rencontré plusieurs personnalités du monde culturel africain et européen. Il a profité de l'occasion pour mobiliser les promoteurs de la culture ivoirienne de la diaspora. Dans cet entretien, il fait le bilan de sa mission.

Vous séjournez en France depuis le mardi 5 juillet. Peut-on savoir le but de votre visite.
Je suis au gouvernement depuis quelques mois. J'occupe le département de la Culture et de la Francophonie. Il était donc important pour moi de venir en France qui abrite des institutions comme l'Organisation internationale de la francophonie et l'Unesco. Je suis venu également rencontrer et échanger avec des personnalités du milieu de la culture et des Arts.

Quels sont les sujets que vous avez abordés avec les responsables des institutions culturelles que vous avez rencontrés ?
J'ai eu l'honneur d'être reçu par le secrétaire général de l'organisation internationale de la Francophonie (OIF), Abdou Diouf. Je lui ai transmis les salutations du président de la République. Nous avons eu des échanges très fructueux. L'OIF, comme vous le savez est engagée avec la Côte d'Ivoire dans le projet du marché des arts du spectacle africain (Masa). () J'ai aussi rencontré le Directeur général de l'Unesco. Il m'a impressionné par sa connaissance du dossier ivoirien. Il a émis le v?u de voir la Côte d'Ivoire sortir de la crise et a promis d'ériger un certain nombre de sites culturels et historiques ivoiriens en patrimoine mondial.

A votre prise de fonction en avril dernier, votre prédécesseur vous a légué un lot de dossiers relatifs au Burida, à la piraterie, au déménagement du Musée national, au fonds de soutien à la cultureComment évoluent tous ces dossiers ?
L'administration est une continuité. Nous avons pris le soin de faire avancer ces dossiers. Nous avons en outre ouvert d'autres chantiers. Mais aujourd'hui, ce qui intéresse plus les Ivoiriens, c'est la question de la gestion du Burida. D'ailleurs le chef de l'Etat avait donné des instructions afin que le Burida revienne aux artistes. Actuellement, nous sommes en train de prendre des dispositions idoines pour que cet outil de collecte et de distribution des droits d'auteurs ivoiriens ne tombe dans du désordre. Nous élaborons en ce moment une charte pour sélectionner les futurs dirigeants. D'ailleurs, l'accalmie actuelle résulte des différentes négociations que nous avons eues avec les différents acteurs du secteur. Nous avons pour l'instant mis à la tête du Burida, une personne qui a déjà fait ses preuves dans la gestion des affaires au BNEDT. Il nous fera des propositions afin de rendre plus transparente la gestion de cette structure.

Qu'est-ce que qui va changer concrètement ?
Actuellement le Burida a un statut d'association qui a montré ses limites. Mon prédécesseur avait proposé un établissement public national qui malheureusement ne semble pas être efficace. Nous allons donc leur proposer un autre statut : une structure de type civil. Il aura la pleine participation des artistes et de l'Etat. Etant donné que la gestion des droits d'auteurs est un devoir régalien de l'Etat. Par ailleurs, je pense qu'il ne sera pas utile qu'un artiste prenne la direction. Il faut quelqu'un qui a des qualités de gestionnaire et de management.

Qu'allez-vous faire pour freiner la piraterie ?
Le ministre Mel avait mis en place une brigade de lutte contre la piraterie. Cette structure a fait un bon travail. Malheureusement, elle connaît des limites. Car la piraterie a pris des formes tellement modernes que la seule descente des policiers sur le marché ne pourra rien résoudre. Voici ma solution pour lutter contre la piraterie. Nous comptons donc introduire les technologies de l'information et de la communication (TIC) dans le circuit de la production et la gestion des ?uvres artistiques. Souffrez que je ne dévoile pas la stratégie.

Comment avez-vous résolu la récente crise entre les artistes et les pirates qui a vu plusieurs artistes blessés à la Sorbonne-Abidjan-Plateau ?
C'est un incident malheureux. Mais il s'explique par le ras-le-bol des artistes. Ceux-ci pensent que l'Etat ne fait rien pour protéger leurs ?uvres. Malheureusement, ils ont voulu se faire justice là où il aurait fallu saisir les instances compétentes telles la brigade de lutte contre la piraterie ou la justice. Après donc cet incident, nous avons pu réunir les artistes et les personnes qui favorisent la vente illicite de leurs ?uvres. Un accord a été convenu entre l'Union nationale des artistes de Côte d'Ivoire et les responsables des espaces de libre expression (Agora, Sorbonne, parlement...) à Abidjan. Ils ont décidé de se mettre ensemble pour lutter contre la piraterie. J'ai également envoyé des émissaires qui sont en cours de discussion avec les étudiants. Nous allons enfin expérimenter la méthode pratiquée au Japon. Il consiste à récupérer les recettes générées par la piraterie. Ensuite, elles seront injectées dans le tissu de la formation et de soutien aux artistes. Cela fera sortir petit à petit les fraudeurs de la misère et donc les détournera de ces pratiques. Au-delà de la culture, ce sera une manière pour nous de créer des emplois.

Que devient le fonds de soutien à la culture en Côte d'Ivoire ?
Le fonds existe. Tous ceux qui sont considérés comme artistes et professionnels des arts seront soulagés très bientôt. Nous entendons mettre sur pied deux structures importantes. D'abord, une agence de promotion de la culture. Elle fera exclusivement la promotion de notre patrimoine culturel au double plan local et international. Il appartiendra donc aux opérateurs culturels et aux artistes eux-mêmes de se faire connaître. Il y aura ensuite un fonds de soutien et un autre fonds de garantie qui permettra aux opérateurs culturels de souscrire à des emprunts bancaires pour financer leurs projets. La deuxième structure à mettre en place est l'office du cinéma. Cela répond à la volonté du président de la République et des artistes. Pour le président Gbagbo, qui l'a demandé de façon express, cet office verra le jour cette année. Les textes sont prêts. Dès mon retour en Côte d'Ivoire, ils seront soumis en Conseil des ministres pour adoption.

Dites-nous qui peut être considéré comme artiste ?
Nous constatons un réel désordre dans le monde de la culture et des arts en Côte d'Ivoire. Il va falloir tout réorganiser. Car aujourd'hui, tout le monde s'érige à la fois en producteur, en manager souvent même en artiste. Nous allons déterminer les métiers et les conditions de leur exercice. Ensuite, nous allons mettre un point d'orgue sur la formation afin que les artistes vivent de leurs créations. Nous avons en Côte d'Ivoire un institut supérieur des arts. Malheureusement, tous les artistes ne sortent pas de cette école. Ceux qui se sont déjà lancés dans le métier sans une base, vont suivre des séances de recyclage à travers des stages de formation.

Comment entendez-vous organiser les artistes ivoiriens de l'étranger ?
La culture ivoirienne a besoin d'être connue à l'étranger. Durant ces cinq dernières années, l'image de la Côte d'Ivoire a été ternie à l'étranger à cause de la crise politico-militaire. Au moment où nous sortons de cette crise, il est important que la culture joue sa participation. Cette année, nous allons ouvrir un poste d'attaché culturel à Paris et un autre à Rabat au Maroc. Et j'entends ouvrir au moins deux postes chaque année dans les grandes capitales du monde. Ils auront pour mission d'inventorier tout le patrimoine culturel ivoirien dans leur zone de compétence. () Pour ce qui concerne la France où nous avons le plus grand nombre de nos artistes de la diaspora, je reviendrai prochainement pour consacrer l'union des artistes ivoiriens résidant en France.

Parlons maintenant du retour du Masa en Côte d'Ivoire.
Le Masa est une institution et un événement majeur en Côte d'Ivoire. Il a été un peu contrarié par la crise que connaît notre pays depuis quatre ans. Voilà pourquoi l'édition de 2005 a été ajournée. Aujourd'hui, la Côte d'Ivoire est plus que jamais à un virage important. C'est pourquoi le gouvernement a estimé qu'il fallait organiser une édition spéciale de ce marché des arts du spectacle africain. Au-delà, c'est l'expression des cultures que nous voulons réaliser pour permettre à la culture et aux arts de contribuer à l'avènement de la paix en Côte d'ivoire. Il aura lieu à partir du 1er Août et nous voulons compter sur l'appui de l'extérieur. Qu'ils soient de la culture, de la diplomatie ou de la politique.

Quels seront les temps forts de cet événement ?
Cette année, le MASA " spécial " va être précédé d'une table ronde à partir du 23 juillet à Yamoussoukro. Le thème : " culture démocratique ". Après cela, nous allons lancer véritablement l'événement. Il sera cette année éclaté. Il se déroulera à Abidjan, au Palais de la culture, dans les communes d'Abidjan ; mais aussi dans les principales villes du pays : Bouaké, Man, Korhogo, Daloa. Les sélections ont été déjà faites. Les troupes viennent de plusieurs pays d'Afrique.

Le récent attentat contre le premier ministre Guillaume Soro ne vous fait pas douter ?
Pas du tout. La volonté des Ivoiriens est d'aller à la paix. Elle est plus que jamais irréversible. Ce qui s'est passé à Bouaké ne pouvait qu'être ainsi. Comme le président lui-même le dit, " on ne sort pas d'une guerre comme on sort d'un dîner de gala ". Après plus de quatre ans de crise, des individus ont pris goût à cette situation de ni paix ni guerre. Ils ont peur de perdre des privilèges. Mais j'ai été heureux d'entendre le premier ministre lui-même dire que rien ne faiblira sa volonté d'aller à la paix.

Philippe Kouhon
(correspondant Europe)
Philippe.kouhon@gmail.com

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