jeudi 19 juillet 2007 par Nord-Sud

La Pharmacie de la santé publique (Psp) rencontre depuis plusieurs années des problèmes dans l'approvisionnement des pharmacies publiques. Une situation qui pénalise les patients et comporte de graves conséquences.



Un peu déçue, ordonnance médicale en main, Mme Christine vient de quitter la pharmacie du Centre hospitalier universitaire (Chu) de Treichville. L'auxiliaire de pharmacie n'a pas pu une fois de plus, répondre à sa requête. Elle (l'auxiliaire de pharmacie) m'a dit que la pharmacie ne disposait pas des médicaments dont j'ai besoin. (). Depuis plus de 4 jours je suis là avec ma s?ur qui vient de subir une intervention chirurgicale. Je suis régulièrement obligée de m'orienter vers les pharmacies situées à l'extérieur du Chu (officines privées) pour l'achat des médicaments, relève-t-elle avant de foncer vers la sortie, ce jeudi 28 juin. Comme Christine, de nombreux parents de malades hospitalisés sont contraints de faire la navette entre les hôpitaux publics et les pharmacies privées, souvent éloignées. Même les simples antibiotiques sont quelques fois introuvables à la pharmacie de ce centre, témoigne Marie Adèle Djédjro, qui était en consultation le lundi 2 juillet à la Formation sanitaire urbaine communautaire (Fsucom) de Marcory. Les spécialistes de ces officines publiques ne démentent pas l'information.


Des ruptures fréquentes


Les pharmacies publiques en général connaissent des ruptures d'approvisionnement depuis plusieurs années, allant des médicaments essentiels (médicaments contre les céphalées, les antalgiques, les antipaludiques, ) aux médicaments spéciaux (Antiretroviraux, insuline), explique un agent de la Fsucom de Marcory. Des révélations confirmées par Dr. M.O., un spécialiste du Chu de Treichville qui a préféré garder l'anonymat. Selon ce dernier, la Côte d'Ivoire connaît ces ruptures d'approvisionnement depuis plusieurs années. Mais la situation est devenue critique depuis la crise militaro-politique de septembre 2002. Les ruptures sont devenues plus fréquentes. Les officines publiques ont connu une rupture d'approvisionnement en antibiotiques depuis le mois de mars. Et c'est seulement maintenant que nous apprenons que la Pharmacie de la santé publique (Psp) vient d'en réceptionner. Nous attendons donc la distribution depuis quelques jours, affirme-t-il.

Du côté du Centre antituberculeux (Cat) dont l'une des missions est la prise en charge des personnes vivant avec le Vih/Sida, l'on a également observé, à certains moments, des ruptures en Antiretroviraux (Arv). Hormis les brèves ruptures fréquentes d'Arv, nous avons dû faire face pendant plus de trois mois l'année dernière à un manque de triomune (médicament qui associe 3 antirétroviraux génériques) , fait remarquer un médecin dudit centre. Déjà en 2003 relève-t-il, vu la menace de rupture, la Psp avait contacté plusieurs pays ouest-africains au début de l'année 2004 pour secourir la Côte d'Ivoire. En avril de la même année, un accord sur la fourniture de molécule avait été conclu avec le Togo, peu avant que ce pays ne sombre dans une crise, au lendemain des élections présidentielles. Avec cette crise, les frontières togolaises se sont fermées et la Côte d'Ivoire n'a pas pu recevoir les médicaments à temps pour éviter la rupture de stock. Pour ces spécialistes, il faut penser à un mécanisme qui puisse mettre fin à ce qui semble devenir une habitude. Sans nier cette situation évoquée par les spécialistes, la Psp, qui est la seule structure habilitée à approvisionner les pharmacies publiques, fonde ses explications sur deux voire trois causes essentielles.

Primo : la Côte d'Ivoire n'est plus solvable pour les fournisseurs de médicaments depuis le début de la crise.

Secundo : la lenteur du transfert des commandes et tertio la mise à disposition tardive des fonds par le trésor public.

Selon Dr K.P de la PSP, la Côte d'Ivoire, depuis le déclenchement de la crise a été inscrite sur la liste rouge. Les fournisseurs, pour la majorité basés en Europe (Novartis, Aventis Pasteur, ), sont devenus méfiants et exigent d'être payés comptant avant le transfert des médicaments. Une exigence que notre pays a du mal à satisfaire, explique le médecin. A cela, s'ajoute le retard généralement pris par l'arrivée des commandes et la mise à disposition tardive des fonds.





Les fournisseurs méfiants





En effet, il faut que les ordres de paiement émis par la Psp passent au trésor pour la Bceao avant que les fournisseurs ne soient payés. Pendant que le dossier est dans le circuit, le délai de 60 jours pour lequel la Psp s'est engagée dans le cahier des charges est vite passé. Et les fournisseurs attendent souvent 120 voire 190 jours avant d'entrer en possession de leur dû. Actuellement, des factures de 2004 restent encore à solder et certains agents du trésor demandent des pots-de-vin allant jusqu'à 10% des montants à payer avant le décaissement des fonds , explique un cadre de l'administration sanitaire. Pourtant, selon nos sources, la Psp dispose d'au moins 9 milliards de FCFA dans les caisses du trésor. Pourquoi n'arrive-t-elle pas à entrer en possession de fonds ? Une somme qui aurait dû jouer au moins le rôle de caution et faciliter les transactions. Du côté du trésor, les langues refusent de se délier. Toutes nos tentatives pour rencontrer l'Agent comptable central des dépôts (Accd) se sont perdues dans les dédales de l'administration. Tout au plus, une source proche du Trésor a consenti à lâcher : Nous, nous ne faisons qu'exécuter les ordres qui nous sont donnés de là-haut. Les factures sont débloquées en fonction des priorités. Doit-on comprendre par cette confession que la santé n'est pas une priorité pour l'Etat de Côte d'Ivoire? Tout porte à le croire. Pourtant le séminaire tenu en 2005 sur l'approvisionnement des pharmacies publiques en médicaments, en présence des représentants des ministères de la Santé publique et de l'Economie et des Finances, des représentants du trésor et de la Psp avait arrêté certaines recommandations. Au nombre de celles-ci, l'assouplissement du mode de paiement des arriérés des fournisseurs et la mise en place d'un compte sécurisé qui servirait à solder leur dû de façon rapide. Deux ans plus tard, l'on est au regret de constater que ces recommandations ont soigneusement été conservées dans les tiroirs, fait remarquer Dr K.P. L'Union européenne qui devait apporter une aide de 2 milliards de FCFA à la Pharmacie de la santé publique pour l'achat de médicaments se serait finalement abstenue. L'U.E a mené ses enquêtes et elle s'est rendue compte que nous (Psp) ne sommes pas déficitaires. Mieux, que nous gérons au moins 9 milliards et que l'argent se trouve au trésor, explique Dr K.P. En outre, avec l'accord de la Direction de la pharmacie et du médicament (Dpm), la Psp lance régulièrement les appels d'offres pour les commandes de médicaments, le premier trimestre de chaque année. Mais, cette date est devenue fluctuante. L'année dernière cette opération a eu lieu au second trimestre. La Psp a procédé, en effet en 2006, à l'appel d'offres au mois de mai. Il faut être certain que la majorité des fournisseurs ont été soldés avant de procéder à un appel d'offre, a expliqué Dr K.P.





Volonté politique





Cette année, cet appel d'offres devait se tenir en juin. Mais c'est finalement le 11 juillet dernier qu'il s'est tenu. Et contrairement à 10 voire 5 ans en arrière, où ce sont au minimum 250 laboratoires (Aventis pasteur, Novartis, GFK.) qui soumissionnaient, seulement 87 ont répondu à l'appel. Or, plus il y a de souscripteurs plus l'on a l'occasion d'avoir des médicaments à bas prix, fait remarquer une autre source à la Psp. Pis, avec les différents cas de rupture d'approvisionnement, les responsables de pharmacies publiques, avec l'accord de la Psp sont contraints de s'orienter vers les grossistes privés chez qui les médicaments sont vendus au prix normal. Dans ces conditions, les médicaments dans nos pharmacies sont vendus en fonction du prix d'achat et non plus en tenant compte des prix Psp. Ils reviennent finalement deux voire trois fois plus chers. Et les patients se retrouvent face à des médicaments onéreux sans explications. Certains, à défaut de se rendre dans les officines privées, s'orientent vers les pharmacies de la rue où les prix des produits pharmaceutiques sont relativement bas, explique l'agent de la Psp. Pour toutes ces personnes, il faut qu'une véritable politique du social soit mise en place, qu'un nouveau système de règlement des créances voit le jour au risque de se retrouver face à une catastrophe réelle dans les années à venir. La Côte d'Ivoire a, selon eux, les capacités et les hommes qu'il faut pour réussir ce pari. Il reste tout juste une volonté politique, argumente un pharmacien public. Sinon, que ferions-nous si l'ensemble des fournisseurs européens décidaient de boycotter l'appel d'offres ? s'interroge le praticien. Une préoccupation qui doit donner à réfléchir aux autorités ivoiriennes.





Touré Yelly

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