vendredi 13 juillet 2007 par Nord-Sud

Tous les jours, mais surtout le lundi, des milliers de jeunes gens prennent d'assaut les zones industrielles de Yopougon, Vridi et Koumassi à la recherche d'un emploi temporaire. Incursion dans un milieu où la tâche est rude, les gains maigres et le népotisme la règle. La Fête du travail, n'est pas une fête pour Doumbia Souleymane. A 28 ans, marié, père de deux enfants et tuteur de son petit frère de 13 ans, il se demande s'il peut réellement se définir comme un travailleur. Le 1er mai, ce n'est pas pour nous autres. C'est pour ceux qui travaillent , ironise-t-il, pour stigmatiser l'exploitation abusive dont il a été très souvent victime. Lui, le journalier qui passe d'entreprise en entreprise, à la zone industrielle en quête d'un peu de travail à exécuter moyennant une modeste rémunération. Il est vrai que durant les deux dernières semaines, il n'a pas eu assez de chance pour se faire engager dans une entreprise. Mais ce lundi 23 avril, Doumbia a bon espoir. A la recherche de l'espoir A 5h10mn, il était réveillé. En bon pratiquant musulman, il avait déjà fait ses prières. Doumbia n'avait pas manqué de demander au Tout-puissant de lui accorder sa grâce afin qu'il décroche, cette fois au moins, un contrat d'une semaine ou deux. Pourquoi pas un contrat mensuel ou un Cdd (Contrat à durée déterminée) d'un an, se permet-il de rêver tout en marchant au pas de charge sur la route qui le mène à la zone industrielle de Yopougon. La détermination se lit sur son visage. Parti du quartier Wassakara, de l'un des nombreux couloirs aux alentours du marché où il vit dans un modeste 2 pièces de cour commune avec sa famille, il a emprunté le premier pont de la commune et est passé par Andokoi. Comme d'habitude, il a marché tout à fait au bord du trottoir pour éviter de se faire éclabousser par les automobiles qui passent à vive allure sur la chaussée fortement marquée par les nids de poule où logent des flaques d'eau. Après une quinzaine de minutes, il arrive enfin à l'entrée de la zone industrielle qui s'étend sur plusieurs hectares à la ronde. Le jour n'avait pas encore fini de balayer les dernières ombres de la nuit. Autour, l'aube, à grands coups de langue humide avait étalé la rosée sur les camions et les portails des entreprises. Doumbia n'était pas étonné de constater que la zone industrielle était déjà animée. Les wôrô-wôrô venaient par vague déposer les travailleurs du matin dont la majorité comme lui venait tenter sa chance. Il y avait aussi les travailleurs de nuit qui descendaient, les yeux mi-clos, tombant presque de sommeil. Aujourd'hui, je sens que les choses risquent d'être encore très difficiles, lance-t-il en regardant la longue file d'attente formée devant la Société des tubes d'aciers et d'aluminium (Sotaci) par une trentaine de jeunes gens. Comme eux, Doumbia est allé déposer sa pièce d'identité auprès de l'un des vigiles à l'entrée et est revenu se mettre dans le rang. C'est incroyable ! C'est à penser qu'ils ont dormi ici, rumine-t-il. Lui qui avait espéré être parmi les premiers, le voilà à la queue. Il confie qu'il lui vient l'envie de chasser tout ce monde. Mais, non seulement il n'en a pas le pouvoir mais en plus, au fond de lui, il comprend que tous ces jeunes comptent beaucoup aussi sur ce job pour assurer la pitance quotidienne. Certains attirent l'attention par leur accoutrement en lambeaux. Ils dégagent une forte odeur due certainement au fait qu'ils n'ont pas le temps de prendre une douche matinale. Beaucoup fuient le regard des passants. On a un peu honte quand on est arrêtés espérant qu'il y aura un surcroît d'emploi, affirme l'un des demandeurs de travail, bras croisés et adossé au mur de l'usine. Ils observent avec envie les entrées et sorties des employés titulaires de l'entreprise. Tout le monde rêve d'avoir une chance. L'attente dure maintenant près d'une heure et demie. Les yeux rougis par la fatigue, l'un des candidats s'adresse aux autres : Les gars, c'est bizarre, j'ai rêvé qu'aujourd'hui on ne prendra que 6 personnes. Doumbia et plusieurs autres jeunes gens crient pour faire taire le tueur d'espoir. Quelques instants après, le grand portail s'ouvre enfin. Tous les regards convergent vers ce point d'où peut venir le bonheur. Un vigile, c'est lui le chef de la sécurité, sort et désigne, presque à l'aveuglette : Toi, toi, toi rentrez. Les calculs sont bons. La loi du parrainage Ce sont exactement six personnes qui ont été prises. Aux autres, le vigile lance: Revenez lundi prochain ! Celui qui avait rêvé au chiffre six tente de rappeler aux autres qu'il avait raison. Aussitôt, il se fait presque agresser par l'un des gros bras du groupe qui l'accable : Maudit-là. Va raconter tes rêves à ta m. Doumbia, reste sans mot se préoccupant de sa situation : Mon parrain m'a lâché, se désole-t-il en secouant la tête, les mains autour de la hanche. C'est que, à la zone industrielle, les entreprises n'embauchent personne au hasard. C'est vrai qu'en sélectionnant, le vigile a donné l'impression de n'avoir aucun critère. Pourtant ! Il faut avoir une personne qui s'engage au sein de l'entreprise visée à répondre de vous en cas de pépin. C'est pour éviter que les tâcherons ne volent du matériel ou détruisent impunément les produits. Le parrain sert de garantie aux contractuels, explique le chef de la sécurité qui a requis l'anonymat. Doumbia se demande ce qui a pu se passer avec son parrain. Ce dernier se nomme K.A, c'est un doyen parmi les embauchés de l'entreprise. Un oncle lui a permis de faire sa connaissance. Nous nous sommes vus vendredi soir lorsqu'il descendait. Il avait promis qu'il allait peser de tout son poids pour que je sois parmi les retenus. Peut-être n'est-il pas venu aujourd'hui. Ou bien, les parrains des six retenus ont été simplement plus influents que lui, tente-t-il de se consoler. Doumbia s'en veut aussi d'être arrivé en retard malgré ses efforts. En fin de compte, il arrive à la conclusion d'avoir été lâché parce qu'il n'avait rien promis en contrepartie du parrainage. De fait, dans le milieu, l'ouvrier temporaire est obligé très souvent de proposer une partie de ses gains à son parrain pour le motiver. Le parrain est choisi parmi les embauchés, les chefs de personnels, les vigiles, ou même les administratifs de l'entreprise cible. Les journaliers sont payés entre 1.800Fcfa et 2.000 Fcfa par jour. Ils sont chargés de laver et de transporter vers les machines de l'usine, les lames de fer brute et d'acier. Lorsqu'on trouve un embauché pour nous couvrir, alors nous lui payons 500F ou 700Fcfa au soir. Plus ce dernier parraine en nombre de tâcherons, plus il gagne, confie Kobla Hugues, un des candidats malheureux. S'il ne parvient pas à se faire prendre, Doumbia comprend qu'une nouvelle semaine de galère risque de commencer pour lui. Dans son for intérieur, il se demande s'il n'aurait pas dû aller vers une autre entreprise lorsqu'il a vu que la Sotaci était saturée. Je ne peux pas rentrer bredouille. Mes économies à la maison ne me permettront pas de tenir avec les charges familiales jusqu'au lundi prochain, murmure-t-il, avant de prendre la résolution, sans réelle conviction d'aller tenter sa chance ailleurs. Il sait qu'à la zone industrielle, les recrutements des journaliers se font le lundi entre 5h30 et 8h voire 9h au plus tard. Après cela, quelques rares aubaines se présentent durant les autres jours ouvrables de la semaine. Mais, les chances d'être parmi les retenus sont alors presque nulles. Il emprunte l'artère principale de la zone industrielle en jetant des coups d'?il furtifs de gauche à droite. Il passe devant Ivograin (Société spécialisée dans la nutrition animale, les poussins d'un jour et le matériel d'élevage) puis à Solibra Yopougon. Il se fait éconduire à ces deux points où aucune embauche ne se fait directement. La main d'?uvre est sous-traitée par Rmo. A quelques centaines de mètres de là, se trouve le siège de la société Industrap spécialisée dans la fabrication de peinture, colle, vernis, mastic et diluant. La paye journalière y est, dit-on, assez conséquente. Doumbia constate qu'il y a une file d'attente devant le portail métallique gris. Il s'approche et demande à quelqu'un au hasard s'il y a encore des places. Oui, répond ce dernier. Nous avons appris que la société a reçu beaucoup de matières premières aujourd'hui. A 8h25, un vigile apparaît et désigne une vingtaine de candidats qui rentrent fièrement. Ici aussi, Doumbia n'est pas retenu. Exténué et désespéré, il emprunte le chemin du retour en comptant sur le soutien de ses frères et s?urs pour tenir jusqu'au lundi suivant. Comme lui, des centaines d'autres candidats malheureux ont dû rebrousser chemin. Pour ceux qui ont eu une place, une dure journée, semaine ou quinzaine de travail commence. C'est le cas de Tonga Cyprien, 24 ans. Pris à la Sotaci pour la journée, il explique qu'il est un habitué des lieux. Ici, c'est dur. On court constamment le risque de se faire déchirer par les tôles en fer ou en acier. Souvent, malgré les gants que nous portons, la tôle nous blesse. Et là l'infirmier nous apporte juste les premiers soins. A nous de nous débrouiller pour le reste, explique-t-il d'une voix triste. Après plusieurs tentatives infructueuses devant les sociétés comme Sapled (Société africaine de produits laitiers et dérivés- tampico, princesse, crème glacée, popito), Siprochim (Société industrielle de produits chimiques), Picos-CI (Parfumerie industrielle cosmétique de Côte d'Ivoire), c'est finalement chez Socoplas (Papier hygiénique, sachets d'eau, cahiers, enveloppes, stylos) que Katié Bakari a eu sa chance. Pris pour la semaine, il démarre tout les jours à 6h et descend à 14h. Je suis à la section finition où nous emballons les produits fabriqués avant de les ranger. Nous avons souvent mal au dos à force de rester courbés. La chaleur dans les magasins nous fait suer abondamment. Les soirs à la descente, nous avons des courbatures. Mais, c'est mieux que rien, se console-t-il. Aucun retard n'est toléré. Et les pauses ne sont pas accordées. Si l'un des responsables te surprend en train de dormir ou si tu arrives en retard, on te coupe une partie de ta paie comme pénalité. Cette punition peut coûter quelques fois 50% du salaire, révèle-t-il. A Socoplas, le journalier empoche 1.500Fcfa par jour, affirme Katié. Ce n'est pas assez dans un pays où la cherté de la vie s'accentue chaque jour un peu plus, mais nous faisons avec, soutient-il. Chez Sociped, spécialisée dans la fabrication des diluants et des anti-rouilles, sur la liste des journaliers retenus pour la quinzaine se trouve Bonebo David, un jeune Ivoirien d'origine burkinabé âgé d'une vingtaine d'années. C'est sa première expérience en tant que journalier. Lui aussi stigmatise la difficulté dans l'exécution des tâches. Ici, on est constamment exposé aux fortes odeurs des produits devant servir à fabriquer les différents types de diluants. Je n'ai jamais entendu dire que cela a rendu quelqu'un malade. Des tâches pénibles ! Mais moi je m'en accommode difficilement. Peut-être parce que je suis nouveau. J'ai quelques fois des céphalées et des vertiges. Des collègues m'ont dit que ça me passera, explique-t-il. Chaque journée qu'il passe à Sociped, David perçoit 1.700Fcfa. Il espère que les choses vont s'améliorer au fil du temps. J'ai bon espoir qu'un jour je serai embauché. Là, le salaire sera plus conséquent et la loi me protégera beaucoup plus, rêve-t-il. Comme lui, Ousmane Demba, un autre journalier rêve d'une vie meilleure. Engagé chez Sibagec, une entreprise de bâtiment, de génie civil et de travaux publics, il explique qu'il a beaucoup de mal à tenir le rythme. Sibagec construit à la zone industrielle de Yopougon un bâtiment qui devrait, selon certaines sources, abriter le siège d'une nouvelle entreprise. Les travaux sont au niveau de la fondation ; un sous-sol est prévu. Après le passage du bulldozer qui a creusé un gros trou, Ousmane et les autres journaliers retenus ont pour rôle de parfaire les bordures de la fondation. Ils y passent près d'une quarantaine de minutes d'affilée. Après, ils ressortent haletant, le corps rougi par le sable et dégoulinant de sueur pour bénéficier d'une pause qui dure une quinzaine de minutes en général. Puis, ils replongent. Nous sommes payés à 2.000Fcfa par jour. Ce montant nous est versé chaque soir. Le travail est très difficile, mais je n'ai pas le choix. Nous sommes retenus jusqu'à la fin des travaux de la fondation. Après, ils verront s'ils ont encore besoin de nous, confie-t-il. Djama Stanislas

www.225.ci - A propos - Plan du site - Questions / Réponses © 2023