jeudi 12 juillet 2007 par Nord-Sud

Elle ne verra plus son fils Barry Mohamed Rachid Samba décédé, l'une des victimes des déchets toxiques. Par la plume, elle a décidé de guérir sa douleur. Une ?uvre, un recueil de poèmes ??Quand la douleur se fait mots''. Entretien.


? Votre fils Barry Mohamed Rachid Samba est mort , victime des déchets toxiques. En tant que maman de cette victime, quel regard portez-vous sur le processus d'indemnisation en cours ?

J'ai bien apprécié que le gouvernement ait cherché à soulager les familles.



? Est-ce que votre enfant a été pris en compte par la cellule présidentielle chargée de ce dossier?

Non ! J'espère que c'est une omission et que ça va s'arranger. Mais c'est une situation que je ne personnalise pas. Elle doit être perçue de façon globale. Si le but de cette opération est de soulager les victimes, il n'y a pas de raison qu'elle ne répare pas les omissions, les erreurs.





? Avez-vous engagé la procédure pour vous prendre en compte ?

J'ai été enregistrée mais miraculeusement j'ai été omise. La cellule présidentielle nous a contactée. Des médecins sont venus nous rencontrer. Mais on a été surpris comme tout le monde de ne pas voir le nom de l'enfant.





? Dans le cadre de l'arrangement conclu entre le président de la République et Trafigura, il est question de l'abandon des poursuites au plan national. Est-ce que vous y souscrivez ? Ou bien allez-vous poursuivre l'affréteur au niveau international ?

Lorsque mon fils est décédé, il m'a même été proposé de faire l'autopsie. Mais j'ai refusé de fatiguer cet enfant que j'ai tant aimé. C'est plus tard que les différents collectifs et un cabinet d'avocats m'ont approchée pour dire qu'il ne fallait pas laisser tomber cette affaire. Puis plus tard, la cellule présidentielle nous a reçue.

Mais c'est difficile pour quelqu'un comme moi qui a perdu un enfant de parler d'argent, et de dédommagement. Cela est contraire à mon éducation. Lorsqu'il s'est agi de constituer des dossiers, c'est mon époux qui l'a fait pour moi.





? Avec du recul, comment votre enfant est-il mort ?

Il est rentré à la maison le 1er septembre 2006 après une colonie de vacances à Accra. Sur 250 enfants, il a été classé premier au cours d'anglais. Il était très content d'avoir effectué ce voyage. Cinq jours après son arrivée, il a commencé à se plaindre de maux de tête, de courbatures. Son grand-frère l'a accompagné chez son médecin. Ce dernier a diagnostiqué une grippe. Il était sous traitement. Le 9 septembre 2006, le jour de sa mort, je l'ai laissé regarder la télévision. Il avait déjeuné et m'avait dit qu'il allait mieux. Moi, j'étais allée faire des courses à Marcory et ma fille m'a appelée pour me dire que Mohamed Rachid n'allait pas bien. Pis, il a commencé à convulser. Mon mari a pensé à un palu. Lorsque nous avons tous regagné le domicile, il a recommencé à convulser, à vomir et de son nez, coulait du sang. Je me suis inquiétée auprès de mon mari à savoir si l'état de notre fils n'était pas dû aux déchets toxiques. Le Samu est arrivé, l'agent qui est entré dans la cour, a jeté son sac dès qu'il a vu l'enfant. Puis, j'ai été tenu loin de la scène. Cinq minutes après mon fils est décédé.





? Ainsi vous avez décidé de guérir votre douleur par la plume

Oui ! Il y a plusieurs sortes de batailles. Mais, il faut se battre par la non-violence. Lorsque quelque chose ne va pas, il faut se faire entendre. Mais ne pas se faire entendre pour condamner c'est ce qu'on dénonce, c'est-à-dire la violence. Par contre, je continue et je m'interroge pourquoi, on a laissé venir ces déchets toxiques en Côte d'Ivoire, pour tuer nos enfants. Pour moi, il fallait s'attendre à ce genre de catastrophe. Car ce sont les effets secondaires d'une guerre. Maintenant, il faut se révolter contre le désordre, la guerre. Que ceux qui peuvent chanter, chantent. Que ceux qui peuvent écrire, écrivent. Moi, j'ai choisi d'écrire pour que la paix revienne. Tout ce qui nous arrive n'est pas le fruit d'un hasard. C'est un long processus.

En tant que mère, je me bats pour ne pas que mon enfant meurt. Et ce que je sais faire pour ne pas qu'il meurt c'est écrire.





?Mais pourquoi avoir choisi le genre poétique ?

Je me sens très bien dans ce genre littéraire. J'ai toujours écrit des poèmes que j'ai gardés pour moi. En 1992, au Sénégal, des hommages ont été organisés à mon père (Amadou Hampâté, Ndlr) et on a voulu m'éditer. J'ai refusé parce que je n'étais pas encore prête. C'est pour cela que vous trouverez des poèmes dans ce recueil qui n'ont aucun lien avec les déchets toxiques. En somme, ??Quand la douleur se fait mots'' est un hommage à mon père, à mon époux, à mon frère et à mon fils décédé brutalement.





?16 ans après le décès du père Amadou Hampâté, que reste-t-il de son héritage ?

Son héritage, ce sont ses manuscrits, ses livres, des trésors pleins d'enseignements, des bibliothèques formidables. Mon père a beaucoup d'écrits en peulh. Ils sont plus immenses que la production en français. Il était un grand poète.

Maintenant, on veut faire la fondation Amadou Hampâté Bâ. C'est un dossier que pilote ma s?ur cadette, en France, Rokiatou Hampâté Bâ.

Pour préserver l'héritage de mon père, j'ai décidé de vivre selon ses principes. Il disait que si chacun restait à sa place, il n'y aurait pas de désordre dans ce monde.





? Qu'allez-vous faire de ces manuscrits ?

Mon père tenait à ce que la fondation soit à Abidjan. Il a passé une bonne partie de sa vie à Abidjan. Par conséquent, le projet se fera à Abidjan même si la plupart des manuscrits sont en France.





? Que retenez-vous du père ?

Un homme qui aimait servir les autres, parfois au détriment de sa personne. Il n'aimait pas l'égoïsme. Ce n'est pas parce que moi, je n'ai pas été indemnisée que je ne peux pas reconnaître le mérite de ceux qui indemnisent. Même si beaucoup reste à faire.









Entretien réalisé par Coulibaly Brahima

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