jeudi 12 juillet 2007 par Le Nouveau Réveil

Dans son édition d`hier, le quotidien Nord Sud a annoncé le limogeage de Tia Koné par Laurent Gbagbo. Lorsque nous nous sommes rendu hier au siège de la Cour Suprême, le président de cette institution certainement informé de la présence de la presse, attendait dans son bureau. Entouré de quelques collaborateurs. Tia Koné distribue des poignets de mains à chaque journaliste. Dans le vaste bureau pris d`assaut par la presse, l`ambiance est détendue. L`on évoque l`attentat manqué contre le premier ministre Soro en dédramatisant l`accident. Le Président de la Cour Suprême, assis dans un divan, écoute les "taquineries" des journalistes. Puis vient l`heure de sa déclaration faite de questions réponses. Tia Koné se dit surpris par l`information. Tout en reconnaissant que tôt ou tard, il est appelé à partir.

Monsieur le président, on vous annonce pour partant de la Cour suprême. Vous aurez été limogé et remplacé par le chef de l`Etat. Et ce matin, vous êtes là, dans vos bureaux

Cela prouve que je suis beaucoup aimé par nos concitoyens. J`ai été réveillé moi-même ce matin par des coups de téléphone de certains de nos frères qui avaient véritablement été sonnés par la nouvelle qu`ils avaient eue de votre confrère () J`ai été le premier surpris. Mais moi, je ne suis jamais surpris de ce qui se dit dans les journaux. Surtout nos journaux ivoiriens. Je ne dis pas que tous les journaux racontent des histoires, mais il leur arrive souvent d`en raconter. C`est pourquoi, je suis très heureux quand le Président Gbagbo a décidé de ne pas mettre les journalistes en prison. Car, on les mettrait tous les matins en prison. Si on avait poursuivi cette lancée, les journalistes ivoiriens seraient plus nombreux en prison que les membres de toutes les autres corporations. Je comprends. Dans l`environnement souvent psychologique et sociologique, leur travail est difficile. Ils veulent donner l`information rapidement pour être par moments le premier sur le terrain de cette information. Vous appelez cela les scoops. Mais à la recherche de ces scoops, il vous arrive souvent de vous tromper. Et je pense que cela a été le cas de votre confrère "Nord Sud". Car de quoi s`agit-il ? Vous qui êtes là, vous remarquez que je n`ai même pas de voix. Depuis environ trois jours, j`ai été sonné par une grippe très méchante. J`avais même perdu la voix. Et je me suis dit que, comme c`est bientôt la fin de l`année judiciaire, je vais attendre le mois d`Août pour me reposer, en prenant un mois ou un mois et demi. Mais mes collaborateurs qui me connaissent bien m`ont dit qu`on a souvent plaisanté en disant que les cimetières sont remplis de gens indispensables. Il faut éviter d`aller là-bas en se croyant indispensable. Donc il faut te reposer. Ainsi avant-hier, j`ai appelé mon chef de cabinet pour lui dire de me préparer un document qui puisse me permettre de me reposer et surtout donner ordre à un de mes vice-présidents d`assurer mon intérim pendant mon temps de repos. Et ainsi, le conseiller Gozi qui est membre de mon cabinet et qui exerce les fonctions de chef de cabinet a établi cette note d`intérim que je vous lis : " En l`absence de M. Tia Koné, président de la Cour Suprême, bénéficiaire d`un repos médical, M. Yao Assoma, vice-président de la Cour Suprême, président de la Chambre judiciaire, assurera l`intérim pour la période du mercredi 11 au samedi 21 juillet 2007 inclus. Il assurera la représentation de la Cour Suprême à toutes les réunions exigées par les nécessités du service. Notamment, il représentera le président aux réunions et invitations où l`institution est appelée. L`intérim donnera lieu à un rapport d`intérim. En foi de quoi, la présente note lui est délivrée pour servir et valoir ce que de droit. Signature M. Tia Koné". Avant cette note, j`avais appelé le vice-président Yao Assouma pour l`informer de mon désir de le charger de cet intérim. Il m`a même dit qu`il avait quelques petites indisponibilités, mais compte tenu des nécessités de services il a accepté de rester en place en attendant que je revienne. Je suis donc surpris d`entendre pour les mêmes raisons, que le Président Gbagbo m`aurait relevé de mes fonctions. A tous ceux qui sont venus me voir ou qui m`ont téléphoné, ce matin (NDLR, hier) je leur ai dit que certains de nos concitoyens prennent leurs rêves pour la réalité. Depuis belle lurette, il est arrivé à nos journalistes de rêver debout. De souhaiter que je ne sois plus à un poste, de me voir patron. D`autres mêmes ont souhaité que je quitte ce monde. Ils ont annoncé mon décès l`année dernière. J`étais tranquillement assis à Cotonou avec mes enfants quand un de mes amis m`appelle pour dire qu`il parait que tu es mort. Dans nos coutumes, quand cela est dit, ça vous prolonge encore la vie. En annonçant aujourd`hui peut-être mon départ de la Cour Suprême, on prolonge mon séjour à la Cour Suprême. Parce que le Président Gbagbo n`est pas homme à violer un des principes auxquels il est lui-même attaché intimement. C`est-à-dire l`indépendance de la Magistrature. Depuis que je suis magistrat, surtout que je suis président de la Cour Suprême, le Président Gbagbo ne m`a jamais appelé pour me dire qu`il n`est pas satisfait d`une telle ou telle décision. Même quand il m`arrive et cela peut arriver, de lui demander ce qu`il pense de telle décision, il dit "Je respecte la décision des juges et je respecte surtout la décision de la Cour Suprême". C`est un homme qui est respectueux des principes sacro-saints de la justice. Alors, dire que ce serait à propos d`une décision ou des décisions prises par la Cour Suprême ou son président qu`il aurait décidé, lui, de relever le président de la Cour Suprême que je suis de ses fonctions, c`est rêver debout. Cela ne pourra pas arriver. Connaissant le président Gbagbo, c`est un homme de principe, un homme de rigueur, qui ne s`amuserait pas à donner libre cours à ces élucubrations de certains journalistes. Ce ne sont d`ailleurs pas des journalistes. Ce sont quelques petits enfants qui s`amusent dans les journaux. Alors qu`ils continuent de s`amuser. Mais ce n`est pas gentil de leur part parce que, nous autres, nous sommes habitués. Depuis belle lurette, je lis très rarement les journaux. Parce que, que n`a-t-on pas écrit ? Que ne dit-on pas quotidiennement de tous les responsables ivoiriens d`ailleurs ? Nous, nous sommes avertis. Mais certains de nos concitoyens, les couches les plus fragiles, nos parents du village, quand ils apprennent ces choses-là, ils sont déroutés, déstabilisés. Ce n`est pas bon pour nos frères journalistes de déstabiliser nos pauvres parents. Je demande à chacun de rester tranquille. Je dis surtout à mes parents, à mes amis qui sont nombreux, n`en déplaise à certains, de rester tranquilles. Leur père, leur ami, respectueux des devoirs de sa charge, de la rigueur, ne sera jamais pris à défaut. Et surtout le Président de la République, lui aussi respectueux des règles de la République, ne prendra jamais les décisions de cette nature. La justice demeurera indépendante quoi qu`en veuillent ces détracteurs. La justice restera toujours sereine. Et le président de la Cour Suprême que je suis demeurera toujours serein face à ses responsabilités devant l`histoire.

M. le Président, vous avez dit que les gens prennent leurs rêves pour la réalité. Voulez-vous dire par là qu`il n`est pas possible que l`on puisse penser un jour que M. Tia Koné parte de la Cour Suprême ? Quand vous dites que les gens prennent leurs rêves pour la réalité, que voulez-vous dire par là ?

Dire que M. Tia Koné ne partira jamais de la Cour Suprême, c`est également un autre rêve. Je ne suis pas appelé à demeurer éternellement à la Cour Suprême. Il faut dire que moi aussi je peux avoir quelques ambitions. Ne serait-ce qu`aller être chef de mon village. Je peux aller être maire à Man. Je suis quelqu`un qui n`aime pas demeurer à des postes au point d`être atteint de sclérose. L`homme a besoin toujours de se mettre à l`épreuve, même de l`histoire. Donc mon rêve n`est pas de demeurer ad vit am à la Cour suprême. Quand je dis que des gens prennent leurs rêves pour la réalité, c`est parce que certains veulent voir partir le président Tia avant terme. Parce que par exemple, ils ont perdu un procès, leur rêve c`est de me voir partir parce que celui qui va venir sera plus agréable. C`est ce que j`appelle rêver. Mais vous savez très bien que la Cour Suprême de Côte d`Ivoire est appelée à disparaître. Elle va disparaître dans très peu de temps lorsque les juridictions suprêmes qui ont été prévues par la constitution de la république seront mises en place. On nommera les présidents de ces juridictions suprêmes. Il y aura 3 juridictions suprêmes. La Cour de Cassation, le Conseil d`Etat et la Cour des comptes qui sortiront du ventre de cette Cour Suprême () Et lorsque ces juridictions suprêmes seront mises en place, il va de soi que le président de la Cour Suprême que je suis ne sera plus là. Donc le président de la Cour Suprême est conscient de ce qu`un jour où l`autre, il doit partir. Mais lorsque le moment sera venu. Pour l`heure il y a des urgences. Il faut rétablir l`équilibre de notre société, la tranquillité pour que les élections aient lieu dans la transparence. Et lorsque toutes ces institutions seront mises en place après les élections, les députés qui votent les lois vont voter les lois organiques de ces institutions suprêmes, et c`est à ce moment-là que celles-ci seront mises en place. Alors demander qu`aujourd`hui le président parte, de lui-même d`abord, c`est une trahison parce qu`au moment où tous les autres ont besoin de moi, je ne peux pas partir. Que le président l`enlève alors qu`il n`a rien fait. Puisque le président est quand même le garant de l`indépendance de la magistrature, affirmer cette indépendance ne constitue pas une offense. Et le président, pour cela, ne peut pas l`enlever. C`est pourquoi, je dis que certains de nos frères prennent leurs rêves pour la réalité. Mais penser que je ne partirai jamais de la Cour Suprême, c`est un autre rêve. Et ce serait rêver debout que d`y penser.

Avez-vous déjà engagé une action en justice contre le journal, ou comptez-vous le faire ?

" () Je n`ai réagi qu`une seule fois. En n'exerçant du reste pas une action pénale, mais mon droit de réponse. C`était le jour où j`ai appris dans un journal que j`avais tué un de mes enfants pour m`enrichir. Pour moi, les enfants sont sacrés. Trop c`est trop. Mais croyez-moi qu`est ce qu`ils n`ont pas dit sur moi ? Est-ce que vous m`avez vu exercer mon droit de réponse ? Encore moins des actions répressives. Les journalistes travaillent dans des conditions difficiles. Les traquer chaque fois, c`est empêcher qu`ils fassent exercer leur esprit d`initiative et de créativité. Les journalistes doivent être libres. C`est à eux de voir les limites de cette liberté. Mais ce n`est pas moi qui vais exercer des actions contre eux. Je n`en vois pas la nécessité.

Vous évoquez l`indépendance de la justice. Pourtant dans ce qu`il est convenu d`appeler l`affaire Zéhi Sébastien, on a senti la justice tergiverser nombre de fois. Tantôt il est réinstallé par un arrêt de la Cour Suprême, tant il est débarqué par un autre arrêt de la même Cour Suprême. Aujourd`hui, quelles explications pouvez-vous donner aux Ivoiriens face à des décisions controversées.

Je suis heureux que vous reveniez sur un des dossiers que nous avons traité récemment. Mais j`estime que c`est la preuve qu`il existe dans notre pays cette indépendance. Le procès Zéhi Sébastien est encore en cours. Je ne peux pas tellement en parler parce que j`ai appris dans les journaux que M. Zéhi avait décidé de démissionner. Mais comme dans les journaux on dit beaucoup de choses, puisque moi, on ne m`a pas dit que je suis débarqué, il peut être dit de M. Zéhi ce qui est dit aujourd`hui de moi. Donc je pense que n`ayant pas été saisi d`un désistement d`action, encore devant ma juridiction présidentielle, je considère que le dossier Zéhi est encore pendant. C`est pourquoi, je ne voudrais pas entrer dans les détails. Je vais donc simplement passer sur les contours. Vous savez, un dossier peut-être pendant devant la juridiction présidentielle, pour que la juridiction de fond qu`est la juridiction de la chambre judiciaire ou des autres chambres puisse intervenir après. Une décision est prise en cours d`appel, une des parties ayant exercé une voie de recours qu`on appelle le pouvoir en cassation peut souhaiter ne pas voir exécuter la décision dont il a fait recours devant la cour suprême. Pour en obtenir le blocage donc de l`exécution, le plaideur peut s`adresser au président de la Cour suprême devant donc la juridiction présidentielle pour obtenir le sursis à l`exécution. Ainsi, messieurs nos amis des postes avaient exercé cette voie de recours qui m`avait amené, en tant que président de la juridiction présidentielle, à considérer qu`il y a difficulté d`exécution puisque l`affaire était encore pendante devant une autre juridiction. On ne peut pas exécuter une décision qui est frappée d`un recours devant la cour suprême. Donc, il faut bloquer cette décision. Mais lorsque la décision de la juridiction de fond intervient, la décision provisoire prise par le président de la Cour Suprême tombe de plein droit parce que la décision du président dit je suspends l`exécution de la décision donc de pouvoir jusqu`à ce que la Cour Suprême en sa chambre judiciaire vide sa saisine. Si la saisine est vidée, la décision provisoire tombe automatiquement. Mais il peut arriver que la décision prise par la juridiction de fond soit, elle aussi, frappée par un autre recours. C`est ce qui est arrivé. Puisque la juridiction de fond a pris une décision que les postes ont contestée pour défaut de communication au ministère public. Donc, cet aspect a fait resurgir le dossier devant nos juridictions encore en annulation de la décision violant une disposition que nous avons. C`est l`article 106 qui dit qu`il faut que dans les matières où la personne de droit public est concernée et qu`il y ait communication au parquet ou dans les affaires concernant l`ordre public. Donc, dans cette affaire, les amis des postes ont dit qu`ils sont une émanation de la personne de droit public et l`affaire les concernant devait faire l`objet d`une communication au ministère public. N`ayant fait l`objet de cette communication, la décision prise est nulle. Qui n`est pas entrée dans le fond de cette procédure. C`est leur argument. Ils nous ont saisi, donc j`ai pris une ordonnance pour bloquer l`exécution de la décision qu`ils contestent, dont ils contestent la régularité. Donc, il appartiendra prochainement à la juridiction de fond de voir si oui ou non, il n`y a pas eu une communication, si oui ou non, on était dans une des matières où il fallait communiquer. Si c`est le cas, ils vont annuler la décision. Si ce n`est pas le cas, ils vont rejeter le recours. Donc, il n`y a aucun problème à ce niveau concernant l`indépendance de la magistrature. Le président n`est pas intervenu, ce n`est pas son rôle, ça ne le regarde pas. C`est le jeu strict, le jeu normal de la judicature. Nous avons des procédures que nous respectons. Il faut permettre aux Ivoiriens d`exercer totalement et entièrement leurs voies de recours. C`est ça aussi les garanties de la bonne justice en Côte d`Ivoire.

Interview réalisée par Yves Abiet
Coll : François Konan

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