mardi 10 juillet 2007 par L'intelligent d'Abidjan

Nous avons cette semaine rencontré un expert agricole africain, qui nous parle de l'enjeu sur la sécurité alimentaire en Afrique et en Côte d'Ivoire. M. Ndabalishye est ingénieur agronome/chercheur, consultant international spécialisé dans les systèmes agricoles et le développement rural. Il a été chef de Programme au Centre National de Recherche Agronomique (CNRA), a travaillé à la CIDT avant de venir à la Recherche. Cet expert a écrit deux livres sur l' Agriculture vivrière ouest-africaine à travers le cas de la Côte d'Ivoire? et l'Agriculture vivrière en Afrique, pratiques paysannes et science vulgarisable? qui est en instance de publication. Notre expert est, un ivoirien d'origine rwandaise. Qu'appelle-t-on produit vivrier et quelles sont les différentes cultures qui sont classés comme tel ?
Tout d'abord je vous remercie de m'avoir convié à cet échange que je souhaite enrichissant pour le lecteur. Le sujet que nous allons traiter est un domaine auquel j'ai consacré la majeure partie de ma carrière. C'est donc avec plaisir que je m'ouvre à vos questions. S'agissant de la définition à donner au produit vivrier, disons qu'il s'agit d'une culture qui est faite essentiellement pour participer à la sécurité alimentaire au niveau des familles et au niveau de la nation. Ce terme est utilisé par opposition au produit industriel qui, lui, est destiné à alimenter les usines pour fabriquer divers objets ou des produits consommés juste pour le plaisir.
Ainsi le coton est-il un produit industriel car il s'agit d'une fibre qui ne se mange pas. En revanche, la banane plantain est un produit vivrier. Vous savez en apprécier la saveur j'espère.
Quelle distinction faite vous entre un produit vivrier et un produit alimentaire ?
Le sucre par exemple, ou la banane poyo, est produit alimentaire, mais il n'est pas un vivrier. Vous conviendrez avec moi qu'on ne vit pas de sucre ou de banane dessert, comme on peut vivre de l'igname ou du mil. Quelle distinction faites-vous entre un produit alimentaire et un produit industriel ?
Je vais vous répondre encore une fois par des exemples. Le coton-fibre est un produit industriel qui en aucun cas peut se manger ou se boire. En revanche, le café et le cacao sont des produits industriels qui se consomment contrairement au coton, mais qui ne sont pas alimentaires à proprement parler. On les range dans le groupe des produits stimulants. Le sucre quant à lui, il est à fois, industriel et alimentaire sans être vivrier, comme je l'ai indiqué précédemment. D'ailleurs la plupart des aliments que nous ingurgitons sont transformés en sucre par l'organisme auquel il sert de "carburant". Ce sucre est stocké pour être utilisé au fur et à mesure des besoins en énergie. Mais, on parle parfois aussi de produits de rente par opposition de produit vivrier. Que doit-on entendre par là ?
Là on fait appel à la notion de niveau de commercialisation de la production. Une culture de rente est faite essentiellement pour rapporter de l'argent par opposition celle qui est faite pour l'autoconsommation. Un planteur produira de la banane plantain pour l'autoconsommation et du café pour gagner de l'argent. Un autre produira du riz pour gagner de l'argent partiellement et du maïs pour se nourrir exclusivement. Le riz qui est un produit vivrier devient alors une culture de rente du moins en partie. C'est surtout le cas en riziculture irriguée, partout en Afrique. Soulignons le cas de l'arachide qui, au Sénégal, est la principale culture de rente alors que dans les autres pays africains, elle est d'une importance souvent secondaire en tant que vivrier et en tant que culture de rapport. Après ces préliminaires, sémantiques j'allais dire, je voudrais que vous nous éclairiez sur toute la gamme de ce qui est classé vivrier? en Côte d'Ivoire et en Afrique.
Disons d'abord que du point de vue agricole, la Côte d'Ivoire est une mini-Afrique. Sur les 650 km qui séparent le littoral de l'extrême Nord constitué par Tingrela, on rencontre pratiquement la totalité des cultures pérennes et des cultures annuelles majeures faites en Afrique subsaharienne. En fait il ne manque que quelques cultures de haute altitude comme le blé, le thé et le pyrèthre qu'on rencontre au Rwanda, au Burundi et au Kenya notamment. S'agissant des vivriers, on parle souvent de céréales mais il n'est pas évident que chacun de nous en ait une idée claire. Qu'est-ce au juste ?
Les vivriers sont répartis en quatre principaux groupes. Le premier groupe est celui des céréales dont la signification semble vous préoccuper le plus. Le 2e est celui des tubercules et plantes à racines. Le 3e se limite à un fruit (banane à cuire), et le 4e groupe les légumineuses. Un 5e groupe, assez spécial, comprend les légumes dits aussi produits maraîchers. Toutefois, quand on parle de produits vivriers, on inclut la viande et le poisson ; mais ici nous nous limitons aux produis agricoles. Revenons aux céréales
Quand on parle des céréales, il faut entendre riz, maïs, sorgho, mil et fonio, pour ce qui est cultivé en Côte Ivoire. Mais il y a aussi le blé qui jusque là ne l'est pas, mais qui, je pense, pourrait pousser dans la zone méridionale du pays à une certaine période de l'année. Comme céréales africaines, citons aussi le tef, qui est une culture traditionnelle en Ethiopie où elle occupe une place importante. A quoi reconnaît-on une céréale ?
Une céréale est une graminée alimentaire. Ses graines sont portées soit par un épi comme chez le maïs soit par une panicule comme chez le sorgho. L'épi ou la panicule est formé sur une tige herbacée dite chaume ou paille. Cela fait cercle vicieux car on est entré dans le jargon agronomique. Les graines céréalières se mangent comme telles ou après une transformation en farine. Le riz se mange comme tel alors que le sorgho se transforme généralement en farine. Essayons d'avoir les détails sur chacun des céréales que vous venez d'énumérer en commençant par le riz, devenu aliment universel à l'image du pain. Il est vrai que le riz est devenu essentiel pour le continent africain de manière générale et pour la Côte d'Ivoire en particulier. Mais dans l'ensemble, la production reste mineure. L'Afrique contribue pour 3 % à la production mondiale, l'Asie pour 92 %. Parmi les cultures vivrières majeures, le riz occupe l'avant dernière place en Afrique, juste devant la patate douce. Si la culture est mineure, cela veut dire qu'il y a importation et quel en est le niveau ?
Le déficit est bien entendu comblé par les importations. Les statistiques dont nous disposons sont celles de 2002. Le plus grand importateur africain est le Nigeria avec près de 1,3 millions de tonnes. Il est suivi par le Sénégal (790 000 t), la Côte d'Ivoire (800 000 t) et la Guinée (350 000 t). Le rapport aux besoins est de 37 % pour le Nigeria, 87 % pour le Sénégal, 60 % pour la Côte d'Ivoire et 40 % pour la Guinée. Il est de 37 % pour l'ensemble du continent, soit 7 millions de t importées. Madagascar est le seul pays grand consommateur de riz qui arrive, à peu près, à couvrir ses besoins puisque pour la période indiquée, il n'a importé que 3 % de sa consommation. Dans quelle partie de l'Afrique le riz est-il le plus cultivé ?
L'Afrique de l'Ouest constitue le principal bassin de production du riz avec une contribution de 81 % à l'ensemble de la production subsaharienne. Le Nigeria produit 6 M de t de paddy, la Côte d'Ivoire 1 M de t, le Mali 800 000 t, la Guinée 700 000 t, la Tanzanie, 700 000 t. La Tanzanie est le seul pays subsaharien qui produit beaucoup de riz en dehors de l'Afrique de l'Ouest et de Madagascar. Qu'en est-il plus exactement de la Côte d'Ivoire ?
En Côte d'Ivoire la production du riz blanchi est estimée à 600 000 t en temps normal. Il s'agit d'un produit de premier rang au même titre que l'igname, le manioc et la banane plantain. La consommation atteint 80 kg par habitant, tout de même loin derrière l'igname dont la consommation est de 180 kg par habitant, celle du manioc étant de 100 kg et celle de la banane plantain de 80 kg. Toutefois au niveau de la fourniture de calories, le riz passe au premier rang car 1 kg de riz fournit environ 3 fois plus de calories que 1 kg d'igname. Il ne faut pas oublier que les tubercules sont composés d'eau à plus de 60 % et que cette eau est sans utilité, et que leur coefficient de passage en parties comestibles (CPPC) ne dépasse pas 0,85, le reste étant constitué de peau non comestible. A ce rythme plus personne ne devrait traiter le riz d'aliment aux oiseaux. Le riz devient plutôt un aliment fédérateur, n'est-ce pas ?
C'est vrai que les m?urs évoluent et que les pourfendeurs d'hier sont devenus de grands mangeurs de riz aujourd'hui. Réconcilions-nous autour d'un plat de riz. Quelles sont les zones de production en Côte d'Ivoire ?
Il y a trois grandes zones de production en Côte d'Ivoire. Le Nord, le Centre-Ouest et l'Ouest. Dans l'Ouest et le Centre-Ouest, le riz est produit à travers des systèmes à base de riz dont l'histoire est ancienne. Dans le Nord, la culture du riz intègre le système à base de cotonnier. Un peu partout dans le pays, vous trouvez des bas-fonds plus ou moins aménagés où le riz fait l'objet d'un système de culture dit "aquatique". Comment peut-on expliquer que les pays africains, et en particulier la Côte d'Ivoire, ne parviennent pas à couvrir leurs besoins en riz ?
Vous savez, autant le riz est un produit commode dans son utilisation, autant il est une culture très exigeante à tous points de vue. Elle est exigeante pour la qualité du sol, pour la pluie, pour le sarclage, et il faut le protéger contre les oiseaux dès l'épiaison. Et lorsqu'il s'agit du riz irrigué, il faut créer des barrages et aménager des périmètres. Faut-il encore que les paysans acceptent de descendre dans la boue parfois infectée de sangsue, de moustiques et de filaires. Il n'est pas aisé de décréter l'autosuffisance pour une culture donnée. L'Orient qui alimente le monde en riz a une tradition rizicole millénaire. Madagascar que j'ai mentionné tout à l'heure fait partie de cet Orient tout en étant africaine. Cela signifie-t-il qu'il faut se résigner à l'importation ?
J'allais dire que résignation n'est pas ivoirienne. Pour ce qui est de la Côte d'Ivoire, il existe déjà une tradition rizicole vieille de cinq siècles et qui est en soi est un atout. Il y a aussi cet ensemble infrastructurel irrigable mis en place depuis les années 1960, sans oublier tout le capital scientifique accumulé par l'Irat, l'Idessa et le Cnra, successivement, et par leur partenaire qu'est l'Adrao. Il faut valoriser ce potentiel à travers des projets élaborés à partir de la base, tout en sachant que les choix agricoles ne se décrètent pas patriotiquement mais se raisonnent. Par ailleurs, il faut promouvoir l'utilisation des tubercules susceptibles de se substituer partiellement au riz. Il est évident, par exemple, que le manioc et même le maïs sont sous-exploités sur le plan alimentaire. Les pays sahéliens peuvent aussi chercher à mieux valoriser le sorgho et le mil. Regardez toute cette gamme de produits que l'Occident tire du blé et de la pomme de terre et dont il nous inonde. Que pouvons-nous dire sur les modes de consommation du riz ?
On peut dire que le riz est un aliment dont la cuisine est très peu variée. En fait, c'est toujours le riz-sauce et le riz au gras. Les Asiatiques préparent une boisson alcoolisée à partir du riz. Cet usage est inconnu en Afrique. Comme on le verra à notre prochain rendez-vous, l'utilisation alimentaire des autres vivriers et plus variée.
Propos recueillis par
Ben Ismaël

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