samedi 7 juillet 2007 par Le Nouveau Réveil

Nul ne peut dire, la main sur le c?ur, n'avoir jamais été approché au Plateau, à Adjamé ou même ailleurs par des balayeuses. Vêtues de blouse verte estampillée "ASH", ces travailleuses (?) s'adonnent à c?ur joie au racket. Comment et pourquoi sont-elles arrivées-là ? Peuvent-elles sortir de cet état de précarité ? Notre enquête. Leurs lieux de prédilection : les voies à grande circulation, les carrefoursles feux tricolores. Elles y vont très tôt. Et feignent de balayer pour, dès l'arrivée d'une grosse cylindrée, s'approcher et demander de l'argent. Aux feux tricolores, non loin de l'Agence ivoirienne de presse (AIP), ce mardi midi, sous un soleil de plomb, elles sont là. "Joli monsieur, bonjour. Donne-moi l'argent, je vais boire de l'eau, j'ai soif", lance l'une d'entre elles sans vergogne. Espérant jouer sur la sensibilité de l'occupant de la belle voiture aux vitres remontées. Puis, une autre d'insister en frappant légèrement sur la vitre : "Monsieur, on a faim, on n'a pas encore mangé depuis ce matin. On veut" A peine les feux passent-ils au vert que le conducteur donne une bouffée de fumée à ces mendiantes des temps modernes et disparaît dans "la forêt" de voitures du Plateau. La moisson venait ainsi d'être mauvaise pour ces dames. Ce qui n'entamera en rien leur volonté de rentrer avec la pitance quotidienne. A l'image des dames du Plateau, un autre groupe prend position aux feux de l'Indénié. Dans les encablures de "Fraternité-Matin". Même pratique, même refrain. A la vérité, cette attitude n'est pas que l'apanage des femmes. Des hommes (balayeurs ?) s'y mettent. Mais discrets, ils le font de façon subtile. Selon Mme Gauly Singo, balayeuse de profession, "Nous mendions pour avoir de quoi nous nourrir, car depuis 4 ans, la société ASH ne nous paie plus." Mais comment cela est-il organisé ? "Il n'y a pas d'organisation en tant que telle. Nous nous mettons aux feux et chaque fois qu'il y a une voiture, nous demandons aux occupants de nous remettre quelque chose pour étancher notre soif", poursuit notre interlocutrice, visiblement partagée entre nous donner l'information et intercepter les véhicules. A la question de savoir si le racket ne bafoue par leur dignité, Mme Golou Christine est formelle "Nous le faisons avec la bénédiction de nos responsables. Ce sont eux qui nous le demandent. Le premier objectif, c'est d'attirer l'attention des plus hautes autorités sur la situation que nous vivons. Et puis, nous ne sommes pas les seules à racketter dans ce pays", lance-t-elle en nous indiquant discrètement les agents de police qui, sous l'échangeur, exerçaient avec quiétude leur travail. Pour de plus amples informations, nous mettons le cap sur le siège de la société "ASH" à Adjamé. L'argent, le n?ud gordien
A la vue des locaux qui abritent le siège, on comprend aisément les difficultés que traverse la société. Joint au téléphone la veille de notre visite, M. Sékongo a pris soin d'informer quelques responsables, capables d'éclairer notre lanterne. Il est 14h 25mn quand notre voiture de reportage, ce jeudi après-midi, pénètre dans la cour de la société "ASH". Après avoir passé le barrage du portail fait de gros pneus. Tout est calme. Quelques personnes à l'entrée nous demandent de décliner notre identité. Après quelques échanges, nous sommes invités à prendre place sous un hangar qui n'existe que de nom. Nos interlocuteurs sont en concertation. Vingt minutes plus tard, nous sommes invités à les rejoindre dans leurs bureaux. Inutile de nous attarder sur l'état désuet et l'insalubrité qui règnent dans ces bureaux. A travers les fenêtres sans nacos, nous apercevons des immondices un peu partout. "Ça coûte près de 4 milliards", nous révèle M. Sékongo d'un air grave. "Et nous veillons jour et nuit qu'on ne nous les vole pas. Car, il y a déjà eu plusieurs tentatives", a-t-il poursuivi. M. Fofana Dioulatié, contrôleur général de "ASH", se veut clair : "Ces femmes que vous voyez mendier en ville ont effectivement travaillé pour ASH. Si elles mendient aujourd'hui, cela est du fait de l'Etat. Il nous doit plus de 3 milliards". En effet, selon le contrôleur général, depuis 1992, ladite société a signé un contrat de collecte et de ramassage d'ordures ménagères dans le district d'Abidjan avec l'Etat. Suite à une gestion approximative, la société a connu des difficultés. Conséquence, M. Hamed Bassam ; ex-directeur général, est arrêté et écroué pour 20 ans d'emprisonnement ferme. En février 2002, M. Kacou Maurice à la tête de la structure veut lui insuffler un nouveau souffle. L'initiative est louable mais le DG ne réussit pas à rectifier le tir. La société met la clef sous le paillasson. Plus de 1355 employés sont au chômage. C'est la descente aux enfers. Aux dires du contrôleur général, Mme Gnonsoa Angèle, à l'époque ministre de l'Environnement, a en son temps réussi à décaisser la somme de 200 millions de nos francs. Cet argent a permis d'éponger 4 mois de salaires impayés des travailleurs. Jusque-là, plus rien. Et la situation va de mal en pis.
Le district d'Abidjan accusé "Si nous vivons cette souffrance, c'est à cause du gouverneur du district d'Abidjan. Amondji, pour se faire de l'argent, a créé des sociétés de ramassages parallèles, à contrat renouvelable. Nous le disons et attendons qu'on nous démontre le contraire", dixit Fofana Dioulatié. D'ailleurs, notre interlocuteur va plus loin, en accusant M. Amondji Pierre de garder par devers lui l'argent que l'Etat aurait décaissé pour les travailleurs de "ASH". "Aujourd'hui, à cause d'Amondji, on dénombre plus de 70 morts dans nos rangs". Et M. Sangaré Ousmane, secrétaire général du syndicat libre des travailleurs de "ASH" (SYLITRA-ASH) d'enfoncer le clou. "Lors d'une rencontre avec le gouverneur Amondji, il nous a signifié clairement qu'il n'avait rien pour nous. Alors que nous savons que notre PDG Kacou Maurice a pu obtenir, du ministre Diby Charles, près de 1,8 million qui ont été remis à M. Amondji pour nous payer" M. Sékongo, lui, prévient : "Si vous voyez que le Premier ministre Charles Konan Banny a échoué dans sa mission, c'est parce qu'il n'a pas pu résoudre le problème des travailleurs de ASH. Au nom de la réconciliation, les autorités compétentes doivent décanter notre situation. Sinon, c'est d'ici que viendra la seconde rébellion qui sera plus meurtrière que celle de Bouaké". Le District d'Abidjan décline toute responsabilité. Un responsable exerçant dans le domaine de la salubrité et de l'hygiène du district et qui a voulu garder l'anonymat a indiqué que la réalité est tout autre. Selon lui, en 1956, la municipalité d'Abidjan avait confié le service public du balayage à la Société industrielle de transport automobile française (SITAF). Après l'expiration de son contrat le 31 décembre 1991, la gestion du balayage et du curage des caniveaux sera concédée à la société ASH international Disposal par l'ex-ville d'Abidjan dans le cadre de la convention N° 92-142 du 02 septembre 1992. Aussi, les énormes difficultés éprouvées ont-elles démontré l'incapacité de ASH à assurer le taux de réalisation des prestations exigées par la convention. Dès lors, l'ex-ville d'Abidjan, en qualité d'autorité concédant et conformément à la convention de concession, s'est vu obliger de faire intervenir des entreprises privées (CLEAN BOR, COM'NET) pour suppléer aux activités de ASH à partir de septembre 1998. Aux dires de notre informateur, "les responsables de ASH n'ont qu'à s'en prendre à eux-mêmes. Et le District d'Abidjan ne leur doit aucun centime. Que les travailleurs qui se présentent aux alentours des carrefours cherchent à insérer les autres sociétés de collectes d'ordures au lieu de réclamer éternellement de l'argent", conseille-t-il. Avant de déplorer la "bataille juridico-judiciaire" qui oppose les dirigeants pour le contrôle de la direction de ASH. D'ailleurs, cette situation conflictuelle va plonger à jamais l'entreprise dans une faillite, "provoquant des arrêts de travail prolongés des employés dont les salaires impayés demeurent sans issue depuis des années". En tout état de cause, les employés de la société ASH attendent de leur créancier leur dû. Que ce soit le district d'Abidjan ou la direction de ladite entreprise, quelqu'un doit payer. Pour que prenne fin le spectacle pitoyable que présentent ces dames. Et qui n'honore guère la capitale économique.

Paterne Ougueye Yves
Yves_oug@yahoo.fr

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