vendredi 6 juillet 2007 par Nord-Sud

Dans le Grand Nord ivoirien, le coton ne nourrit plus son homme. Dans les rangs des producteurs, les défections s'enchaînent faute d'intrants et de financements.


Koulibaly Mouhamadou Yacou fait grise mine depuis plusieurs mois. Ce grand producteur de l'or blanc est sérieusement atteint par le découragement. Il veut tout abandonner et s'essayer à autre chose. Comme lui, au Nord de la Côte d'Ivoire, plus de 25.000 producteurs ne savent plus à quel saint se vouer. La mort de La compagnie cotonnière de Côte d'Ivoire (Lcci) les a désemparés. Cette société, filiale du groupe Aiglon couvrait trois départements (Korhogo, Ferké et Bouna) avec quatre usines dont deux à Korhogo, une à Ouangolo et une autre à M'Bengué.


Le vide laissé par LCCI

Au total, 661 Organisations professionnelles agricoles (Opa) étaient affiliées à Lcci dont celle de Koulibaly Mouhamadou Yacou dénommée Gnonfoloh située à Katogo une bourgade de la sous-préfecture de M'Bengué. Elle représentait 60 à 70% de la zone de production cotonnière. Nous sommes maintenant des orphelins. Qu'allons-nous devenir? s'interroge-t-il, la voix cassée. L'inquiétude est à son comble. Quelle autre structure pourrait reprendre l'activité du coton à la place de Lcci? s'interroge, perplexe Coulibaly Yaya Gonzôlô, président de Cognariko?, une autre coopérative agricole. M. Koné Ibrahim ex-directeur régional de Lcci reconnaît qu'il y aura fort à faire pour couvrir le vide laissé par sa structure qui égrenait jusqu'à 200.000 tonnes chaque an. Selon des chiffres officiels, 1,5 million de personnes vivaient directement du coton traité chez Lcci. Les coopératives affiliées à la société ont été mises à l'écart lors de la distribution d'intrants financés par la Banque islamique de développement (Bid) à hauteur de 10 milliards pour la campagne 2007-2008. Les coopératives Niag-reko, Gnonfoloh, Cowonta, Ceak, Ceac-yk tous de M'Bengué, et bien d'autres ne cessent de se plaindre. Cette année, soutiennent-elles, les paysans ont abandonné leurs plantations par milliers. La production nationale s'en est trouvée affectée. En 97-98, la coopérative Gnofoloh de Katogo, raconte Koulibaly Mouhamadou, comprenait 532 coopérateurs. Aujourd'hui, elle n'en compte que 200. Sur la même période, la superficie cultivée est passée de 1.780 ha avec une récolte de 2.536 tonnes à 200 ha pour 86 tonnes récoltées. Dokaha Traoré, producteur, pouvait gagner facilement entre 5 et 6 millions Fcfa par campagne. Mais à la campagne 2006-2007, il n'a obtenu que 300.000 francs cfa.


Abandon massif de la culture

Les arriérés de paiement restés en suspens après la faillite de Lcci constituent la profonde cause du découragement des paysans. La dette, selon certaines sources s'élève à plus de 7 milliards. Désabusés, les paysans avaient pourtant tenté de se faire justice. Au cours de la campagne 2003-2004, après avoir reçu des mains de Lcci un équivalent de 8 milliards 540 millions en intrants et bénéficier des encadrements, les paysans ont récolté et vendu leur coton à d'autres sociétés d'égrenage et à des pisteurs abandonnant la compagnie. La règle coopérative dispose pourtant que le coton doit être livré à l'opérateur qui a encadré et aidé à la production. Bien qu'ayant porté ce coup à leur débiteur, les producteurs ne réussiront pas à entrer dans leurs fonds. Les arriérés restent accumulés autant chez Ivoire coton qui se trouve dans la zone de Boundiali et Dianra, que chez les autres égreneurs. Assis sur sa terrasse à Nangbanvogo, un village situé à quelques kilomètres de Korhogo, Yéo Nangadori s'apprête à rejoindre la capitale du Poro. Il s'est converti à l'achat et à la vente de bétail après avoir été victime des égreneurs.

Lui et son frère cadet, Yéo Nanwo Brahima se disent également découragés. Pour la campagne 2007-2008, ils ont décidé, chacun, de cultiver seulement 1ha et demi. L'autre cause du calvaire des paysans, c'est le prix d'achat du coton. Ce prix n'a cessé de dégringoler alors que les prix des intrants prennent l'ascenseur. De 1997 à 2003, le coton se payait à 200 Fcfa le kilo. En plus de cela nous bénéficiions des ristournes que les sociétés cotonnières nous reversaient se souvient Koné Daouda, sourire en coin. Après cette date, poursuit-il, la filière est tombée dans l'impasse. Le prix du kilogramme varie aujourd'hui entre 140 et 110 francs cfa. Mais ces prix ne sont sus du paysan que pendant la commercialisation. Voilà une culture de rente où tout est imposé aux paysans. Le prix des intrants est connu de nous seulement quand le coton fleurit. Jamais à l'avance. Quant au prix d'achat, il n'est connu que pendant la vente, se lamente-t-il. Avec ce système bizarre, ajoute Yéo Nanwo, le producteur se trouve très souvent sans un sou après la vente. Lorsqu'il défalque l'argent des intrants du prix de vente, c'est lui qui devient débiteur vis-à-vis de la société cotonnière. Quelques fois, certains se retrouver avec seulement 10.000Fcfa en fin de campagne. On ne peut plus s'en sortir, souligne-t-il. Pour 1 hectare, il faut en moyenne 10 sacs d'engrais dont l'un est vendu à 15.000 Fcfa. Les paysans fustigent également la mauvaise qualité des semences distribuées. Celles-ci sont vieillissantes. Pour Koulibaly, les meilleures semences demeurent les semences delintée, variété FC 37, génération2 qui coûte 165 Fcfa le kilo.





La famine aux portes des populations





Or les égreneurs ne sont pas prêts à investir autant d'argent dans les semences. Ils préfèrent, regrettent nos interlocuteurs, donner de vieilles semences comme les variétés R4 05 99, lot 10 10, R7 ou R9. Autrefois, la culture du coton faisait la fierté du Nord. Avec l'argent du coton, on participait au développement des villages. Chaque travailleur construisait sa maison rapidement sur fonds propres, rappelle Yéo Nanwo. Aujourd'hui, renchérit Nangadori, j'éprouve des difficultés pour envoyer mes enfants à l'école. Je suis obligé de contracter des crédits pour qu'ils puissent aller à l'école. Les paysans éprouvent également beaucoup de difficultés pour se faire soigner.

Le directeur régional de Lcci en liquidation a confié que selon un rapport, 1.000 producteurs de coton sont décédés sans avoir pu entrer en possession de leur dû. S'il n'y a pas d'engrais, il n'y a pas de coton. S'il n'y a pas de coton, il n'y a pas de riz, il n'y a pas de maïs. Car le paysan profite de l'engrais du coton pour produire toutes ses autres céréales, alertent des spécialistes de la Cnra. Si l'on n'y prend garde, les villages seront rongés par la famine, ajoutent-ils. En attendant le secours de l'Etat, un privé tente d'assurer l'égrenage du coton et l'encadrement des producteurs. M. Dao à la tête d'une structure nommée Yebe-wognon? (Unissez-vous pour réussir, Ndlr) essaie de couvrir en vain le grand vide laissé par Lcci.





Mazola

(Correspondant régional)

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