vendredi 6 juillet 2007 par Nord-Sud

L'école de formation des non-voyants de Yopougon, abandonnée par l'autorité, vit un calvaire. Bâti sur une superficie de 4 hectares, l'Institut national ivoirien pour la promotion des aveugles (Inipa), presque oublié, continue de résister aux aléas socio-économiques. Erigé à Yopougon, Bel air , il nous ouvre ses portes ce mercredi à 10 heures, sous un temps nuageux. Dans la cour, 9 bâtiments peints en jaune et marron forment une sorte de trapèze sur une superficie totale 1,5 hectare. L'architecture est frappante. L'administration occupe un bâtiment. Trois bâtiments servent de dortoirs aux pensionnaires qui suivent les cours dans deux autres. Un bâtiment abrite le centre de santé et le dernier l'atelier. Un calme froid règne dans l'enceinte de l'établissement. Sous un hangar à l'entrée, trois garçons bavardent doucement. Ce sont des non-voyants. Ils sentent notre présence et se taisent quelques secondes pour tendre l'oreille. Ils répondent à notre salutation. Par leurs visages tendus l'on sent l'attention qu'ils prêtent à notre présence. Comme s'ils devinaient une présence inhabituelle sur le lieu. Dans les couloirs de l'administration un vieil homme en lunettes solaires monte les marches qui mènent à la bibliothèque, à l'aide d'une canne blanche. Un garçon d'une dizaine d'années, tenu par une fillette de 8 ans, descend les mêmes marches. Son visage innocent est tendu vers le haut. L'humidité règne dans les couloirs. L'établissement est à moitié vide. Nous apprendrons plus tard que les enfants sont pour la plupart en vacances. Au bout du couloir, se trouve le service socio-éducatif, constitué d'éducateurs. Le couloir, prolongé à gauche conduit aux bâtiments de classes et aux dortoirs. Nous frappons à une porte censée être le bureau du directeur de l'institut. Aucune réponse. Nous poussons la porte. Dans une grande pièce aérée, une femme est assise derrière un bureau simple. Elle nous parle presque avec indifférence. C'est le secrétariat de la direction. M. Pokou Anzoumanan, le directeur de l'Inipa, nous accueille dans un bureau exigu. Sur le mur, derrière lui, est affiché un programme scolaire de l'institut. Le directeur indique qu'à sa prise de fonction l'état de l'institut était pitoyable. Quand j'arrivais ici tout était dans la désolation. Peinture, bureaux, portes. Avec l'accord du ministère nous avons obtenu la réhabilitation de quelques bâtiments , explique-t-il. Mais des travaux restent encore à réaliser. Telle que la réhabilitation des ateliers et du bâtiment du centre de santé qui souffrent de dégradation. Outre les bâtiments, la batterie de cuisine ne fonctionne plus. Elle a pris feu il y a une semaine. Plus de cuisine Cela n'est pas sans conséquence pour les internés. Nous mangeons ici autour de 14 heures, note le directeur. La première batterie de cuisine installée à la date de création de l'institut, en 1974, est hors d'usage. La seconde achetée en 1980 est celle qui fonctionnait jusqu'alors. Cette batterie coûte autour de 20 millions de Fcfa. Selon le directeur, à sa demande, une facture pro format de 37 millions a été adressée à l'Etat. On espère avoir une suite favorable, soupire-t-il. Le matériel technique fait également défaut. Le papier braille, seul moyen de communication des non-voyants, est en quantité insuffisante. Ce sont des feuilles cartonnées d'une certaine épaisseur qui permettent de faire des points à partir d'un poinçon et d'une tablette. La tablette est comme une ardoise à deux volets dans laquelle le papier braille est introduit avant d'être enfermé. Ensuite, à l'aide du poinçon, l'utilisateur fait des points sur le papier par les trous de la tablette pour obtenir des points de lecture une fois le papier retiré de la tablette et retourné. C'est sur ces points de lecture que les non-voyants posent leurs doigts pour lire ce qu'ils ont écrit. La back , la calculatrice des non-voyants d'origine chinoise fait aussi défaut. La fondation Orange-Côte d'Ivoire télécom, partenaire de l'Inipa, a apporté à l'institut, le 6 juin un don de matériel d'une valeur de 42 millions de Fcfa. Ce sont essentiellement des papiers braille, des cannes blanches et un car de 26 places. Il y a 14 ans de cela que l'institut n'a plus de moyen de transport, fait remarquer notre hôte. Le matériel reçu est important mais insuffisant. Les papiers braille sont utilisés comme des feuilles de rame. Nous avons des étudiants qui ont besoin de calculatrice braille pour travailler. Nous avons aussi des non-voyants qui ne sont plus à l'école mais qui ont besoin de canne blanche pour se guider dans les rues , indique M. Pokou. De même, pour être dans le temps de l'innovation, l'Inipa a besoin d'un ordinateur braille pour les non-voyants. La fontaine et la salle de répétition qui faisaient autrefois la fierté de l'institution ne sont plus que des souvenirs. Une fontaine a été acquise, mais des difficultés subsistent pour l'installer car il faut d'abord mettre des barrières pour protéger les enfants. Quant à la salle de répétitions, un projet est en cours pour la rendre utilisable. L'Inipa est pour le moment la seule école publique des non-voyants. Il existe à Toumodi une école privée, créée par l'association des non-voyants et soutenue par le ministère de la Famille de la Femme et des Affaires sociales. Une autre est à ses débuts à Man. Mais, aucune de ces écoles n'offre un service semblable à celui de l'Inipa. Sa capacité d'accueil est de 150 apprenants. Mais, l'établissement n'a enregistré cette année que 85 apprenants. Les conditions d'admission sont déterminées par la Direction de la promotion des personnes handicapées (Dpph). Les élèves sont recrutés à partir de 6 ans. Ils ne payent que le papier braille. Ils sont internés et pris en charge tout au long de leur formation. Ils sont suivis par des éducateurs et des professeurs pour la plupart des non-voyants. Les classes vont du Cp1 au Cm2. A partir de cette classe, les élèves sont envoyés dans les établissements secondaires ordinaires pour suivre les cours. Mais, ils restent internés à l'Inipa et continuent de prendre des cours pour non-voyants. Ils passent les mêmes examens que leurs camarades des cycles normaux (le Cepe, le Bepc et le Bac). A la fin de la formation, ils peuvent exercer le métier de leur choix. Dans le couloir qui mène aux salles de classe, Zoua Régis, 14 ans, en classe de Ce2, joue avec un ami. Ils sont tous non-voyants. Ils sont enthousiastes et ouverts. Ma maman m'a dit que je suis aveugle depuis 5 mois , raconte Régis. Ils sont cinq en classe, et il est le premier. Il veut devenir médecin. À côté de lui, Okou Louis, 12 ans, porte des lunettes fumées. Il est en classe de Ce1. Je veux devenir ingénieur de musique , indique-t-il. Ils aiment leur encadrement et estiment que rien ne leur manque. Ils viennent pour la plupart de l'intérieur du pays et habitent chez des tuteurs à Abidjan. Ils rentrent en famille le vendredi et reviennent le dimanche. Yao Kouassi, en classe de première au collège Newton, à Yopougon, est l'un des rares collégiens que nous avons rencontrés. Cette année, il passe le Bepc en candidat libre après avoir échoué l'année dernière. Il vient réviser là où il a acquis toute son éducation. Il tient dans sa main ses cours en braille. Il nous fait une démonstration de lecture. Tout en posant les doigts sur les points marqués sur la feuille, il lit : L'axe de symétrie d'une lentille s'appelle l'axe optique . A notre demande il accepte de nous faire visiter l'établissement. Il descend les escaliers correctement et se dirige dans les couloirs comme s'il y voyait. À force de fréquenter l'institution, j'ai le plan du moindre recoin dans ma tête , explique-t-il. Tout en marchant il raconte qu'après son Cepe il a été orienté au collège Newton. Je suis les cours au même titre que mes amis. Seulement j'écris sur du papier braille , indique-t-il. Ses devoirs sont également conçus sur du papier braille. Il signale qu'il n'a aucun complexe de son handicap et que ses amis le comprennent. Il nous conduit dans les dortoirs. Ce sont de grandes chambres occupées par une demi dizaine de lits presque délabrés et occupés le plus souvent par un placard, une table et quelques chaises. On trouve dans quelques chambres, des appareils Vcd et des postes radio. Les apprenants en vacances ont presque tous déserté les chambres. Dans les couloirs, on entend le bruit des cannes qu'on frappe sur le mur pour chercher une porte, ou sur le sol pour ne pas rater l'escalier. Les passants se dépassent sans se voir. On reconnaît l'autre par sa voix où à sa démarche. Raphaël Tanoh (Stagiaire)

www.225.ci - A propos - Plan du site - Questions / Réponses © 2023