vendredi 6 juillet 2007 par Fraternité Matin

L'on assiste depuis quelques années à une floraison d'artistes musiciens et chantres qui disent vouer leurs talents à l'Éternel.
La musique religieuse chrétienne, initialement confinée dans les églises et autres temples de prières, a quitté depuis peu ses lieux de prédilection. Pour se retrouver là où l'on l'y attendait le moins : salon, maquis, boîte de nuit et autres endroits publics. Et l'on assiste depuis quelques années, à un essor vertigineux de celle-ci. Cela se traduit par le nombre sans cesse croissant des artistes-musiciens et chantres estimés, selon le Burida, à environ 2000 et de leurs productions. Si cette situation semble convenir à beaucoup de mélomanes et fidèles chrétiens, certains par contre pensent que la musique religieuse a, de ce fait, quitté le domaine du sacré pour le business. Il est à noter que même les chorales dont la floraison n'est pas toujours bien appréciée, n'échappent désormais pas à cette règle. C'est la course à la production d'?uvres musicales ou encore aux prestations dans les mariages et veillées funèbres, moyennant parfois des sommes exorbitantes. Ayant flairé le coup, de nombreux artistes-musiciens n'hésitent plus à introduire dans leur ?uvre, quelques morceaux dédiés à l'Eternel. Histoire de contenter tout le monde.
Pour M. Sédé Clément qui a évolué, une vingtaine d'années durant, dans la musique, avant de devenir manager de plusieurs artistes-musiciens et chantres, dont O'Neil Mala, Excell, Pasteur Guy et Swann, il n'existe plus de frontière entre la musique profane et celle religieuse. Parce que, soutient-il: Certains artistes ne font plus de recherches. Ils ne veillent même plus à la profondeur de leurs textes. Ils suivent les rythmes à la mode puisqu'il leur faut vendre. Ils demandent des cachets, alors qu'ils devraient se contenter des bénédictions du peuple de Dieu. A partir de ce moment, ce ne sont plus des chantres, mais des artistes tout court parce qu'être chantre équivaut à une vocation. Il pense que cela est imputable à certains producteurs. Parce que bien que, n'ayant parfois aucune connaissance de la religion, mais, soucieux des bénéfices à réaliser vu les investissements qu'ils font, ceux-ci vont jusqu'à imposer des exigences telles que des jeux de scène et des tenues vestimentaires qui contrastent avec l'idéal religieux. N'importe qui pense qu'il peut produire avec le nom de Dieu. Certaines personnes ne viennent pas servir Dieu avec leur argent, mais se retrouvent dans ce milieu parce que c'est un créneau bon à exploiter aujourd'hui, renchérit M. Sédé.
Prenant le contre-pied de ces propos, M. Irené Monou, directeur de Elysée production et producteur des artistes Victoire Kouassi, Yvonne et Jeannette, Les chantres de l'amour, Onction divine, Pasteur Appolos et l'Evangéliste Bruno Kpossou, affirme, lui, ?'?uvrer pour gagner des c?urs à Christ et surtout pour la gloire de Dieu''. Car, soutiendra-t-il: Le Seigneur a fait pour moi des merveilles. Pour lui témoigner toute ma gratitude, j'ai décidé d'aider certains artistes n'ayant pas toujours les moyens, à le louer tout en leur permettant eux-mêmes de faire leur promotion. Je n'attends donc rien d'eux en contrepartie. Car lorsque Dieu donne, il pourvoit la vision et la provision. Son manager, Kamara Valociné se veut plus explicite : Contrairement à certaines personnes qui bâtissent des édifices religieux pour la gloire de Dieu, nous, nous avons voulu investir dans la production de la musique religieuse. Une façon pour nous de rendre gloire à Dieu. En principe, avec tout ce que nous investissons, parfois autour de 4 à 5 millions de francs CFA, nous devrions être en droit de pouvoir en retirer ne serait-ce que ce que nous y avons mis. Mais ce sont des investissements à perte. Sans oublier le fait que les pirates ne font pas de distinction entre musique religieuse et musique profane. Tous les deux pensent que le fait pour ces artistes ou chantres de percevoir des cachets à la fin de leurs prestations, n'a rien à voir avec le business. Ils en appellent plutôt à une solidarité autour de ces artistes, à travers l'achat de leurs ?uvres. L'artiste-musicien Guy-Roger, très en vogue en ce moment, confie avoir longtemps refusé de ?'commercialiser le don'' qu'il a reçu du Seigneur: sa voix gracieuse dont ne bénéficiaient jusque-là que sa chorale et les fidèles de sa communauté. Puis, il a fini par céder à l'invite de personnes lui demandant, sans cesse, de faire profiter à un plus large public, ses qualités vocales. Beaucoup de personnes ont besoin de ta voix pour prier à la maison par exemple, parce que beaucoup de choses s'opèrent lorsque tu chantes, lui a-t-on souvent dit. Aussi, abandonnant sa profession de couturier, il acceptera de devenir chantre de l'Eternel pour célébrer sa gloire et ses louanges. Et amener par ses chants, parsemés de messages divins, tout homme à la conversion. D'où son amertume devant tant de frénésie pour le business. Ça fait mal de voir des artistes chanter ?'Jésus !Jésus !'' pour en faire du commerce. C'est vrai qu'il a été écrit que l'Homme se nourrira à la sueur de son front, mais ce n'est pas de cela qu'il s'agit ici. Il s'agit plutôt de rendre gloire à Dieu à travers des chants de louange et d'adoration, a-t-il martelé. Un autre artiste ayant requis l'anonymat, a confié, lui avoir vécu une injustice qui a fini par le convaincre de la nécessité de se faire respecter du public en exigeant désormais un cachet. Après une prestation que nous avions faite à Daloa, alors que l'on me remettait la somme de 50 mille francs que j'avais demandée pour le transport, les autres artistes et chantres ont, eux, perçu des cachets de 400 mille francs. Du coup, je me suis senti frustré et j'ai décidé de faire non pas comme eux en exigeant de fortes sommes d'argent, mais d'exiger tout de même un cachet. Il faut reconnaître que c'est dommage que nous en arrivions là. Avant, on pouvait me solliciter gratuitement pour toute prestation, mais nous avons remarqué, mon manager et moi, que plus personne ne s'occupait de nous, une fois, la prestation terminée. Même pas nous payer ne serait-ce que le transport. Or, il ne faut pas occulter le fait que tout part de l'argent.
On le voit bien, l'argent - le nerf de la guerre - continue de faire ses effets Option : Revenir au sacré
En décembre 2006, Constance, chantre chrétien, avançait entre autres raisons pour justifier son refus de participer au concert de reconnaissance de Bétika ceci: Je tiens à rassurer mes fans par égard pour eux et parce que beaucoup d'entre eux ont été choqués en pensant que je sortais de mon créneau. Je n'ai rien contre Bétika que j'aime bien, mais j'ai choisi de faire rien que de la musique religieuse et je l'assume! Cette mise au point apparaît dans ce contexte où la musique religieuse est parfois dévoyée pour en faire du business, comme une invite de tous les déviationnistes à un retour au sacré. La musique religieuse comme son nom l'indique, a rapport avec la religion, le sacré. Elle n'est pas la musique profane et ne saurait l'être. De ce fait, artistes-musiciens, chantres, producteurs et tous les intervenants dans ce domaine, devraient pouvoir se conformer à ses exigences. Les textes, la doctrine, la philosophie, l'harmonie, l'origine du chant doivent être purs. On ne peut prendre un chant de féticheur pour le faire passer à l'église, indique Maxime Mobio, maître de ch?ur de la chorale des jeunes de Ste Jeanne-d'Arc. Il poursuit avec cet exemple: Le Grand minuit chrétien qu'on chantait à l'époque, pour annoncer la Noël, on ne le chantait qu'à la veillée et non à la messe parce que l'origine de ce chant n'est pas pure, il y a plein d'hérésie. L'auteur compositeur, Adam, est un ivrogne qui l'a composé dans un bar. D'ailleurs, il a tout confondu en employant le terme l'homme-dieu comme dans la mythologie. Dans la même lancée, les artistes et chantres chrétiens locaux, dans leur propension à vouloir ressembler (à travers leur style, le rythme de leur musique et même au niveau des textes) au monde profane, oublient très souvent que c'est à eux que le monde doit ressembler. Et non le contraire. Certains groupes et chantres chrétiens qui jouissaient dans un passé assez récent, d'une notoriété incontestable, pour ne l'avoir pas compris, ont payé le prix. L'on se souvient encore du scandale ayant précédé l'éclatement du Groupe La Harpe de David. Focus : 50 ans d'apostolat par le chant
Véritable gageure que de faire de l'apostolat par les chants, 50 ans durant! L'histoire et la vie de la Chorale des jeunes de la Paroisse Ste Jeanne d'Arc de Treichville qui a célébré, récemment, ses Noces d'Or d'évangélisation par le chant, est un mariage éternel avec Dieu. Fondée en 1957 par le Révérend Père Bernard Yago (qui deviendra le Cardinal Bernard Yago), fraîchement nommé Curé à Ste Jeanne-d'Arc de Treichville, cette chorale a connu des moments de difficulté qui ne l'ont pas pour autant ébranlée. Ainsi, à force de persévérance et d'abnégation, elle a fini par se faire une renommée au plan national. Et compte sur le marché une dizaine d'?uvres discographiques dont le dernier, encore dans les bacs, ?'Dieu, tu nous aimes'' est un véritable régal. A l'instar des précédents. Un cocktail de sons, de rythmes, de textes savamment enrobés, le tout pour une belle prosodie (concordance entre le texte et la musique). Rien à voir avec la plaisanterie frisant le business! Beaucoup de jeunes désirent apprendre la musique aujourd'hui, mais ne sont pas patients. Certains chants frisent le vulgaire et ne cadrent pas toujours avec la liturgie catholique. Pendant la messe, on chante des chants de veillée, d'animation. Ce n'est pas la liturgie. D'autres encore pensent que chanter, c'est faire beaucoup de bruits. Le choix des chants doit tenir compte des différents temps de la messe (louange, adoration, recueillement). Paroles de l'inénarrable Maxime Mobio, auteur-compositeur-arrangeur et directeur de la Chorale des jeunes de Ste Jeanne d'Arc depuis 1973. Les 34 ans qu'il totalise à la tête de cette chorale reflètent parfaitement la touche qu'il a apportée à la musique religieuse dans toutes ses composantes: Montrer en travaillant l'orchestration, qu'avec la guitare, la batterie européenne, le tam-tam traditionnel, on peut faire un tout harmonieux, sans être assourdissant. Et ramener la chorale à la dimension humaine, avoir un bon comportement chez soi, à l'église et au travail. Avoir une chorale équipe de vie. Comme pour témoigner du sérieux de cette chorale qui, à l'instar de celles d'Europe ou des Etats-Unis, engendre de grands noms, il cite: Meiway, super star de la musique ivoirienne, Malou Amley, une voix qui compte, et Pépito, célèbre batteur. Mais également des religieux: les S?urs Pascaline Adou et Marie-Noëlle Atsain, de la Communauté des s?urs de l'incarnation, et le Révérend Père Valentin Atta, actuel Vicaire à St François d'Abobo. Faut-il le noter, la musique sacrée ou musique religieuse chrétienne en Côte d'Ivoire a débuté en même temps que l'évangélisation de la Côte d'Ivoire, en 1895. Les premiers missionnaires sont venus avec des chants en français ou en latin (langue officielle de l'Eglise catholique) et les fidèles chantaient des psaumes au cours des rassemblements. Par la suite, il y a eu la réorganisation du Pape Grégoire qui a codifié la musique sacrée. D'où le nom de musique grégorienne chantée dans tout le monde entier. Au Moyen-Age, il y a eu les grands classiques européens. Tous ces chants seront retouchés plus tard, dans les années 1950, par les premiers séminaristes de Ouidah, au Bénin (Michel Pango, Pierre Coty et Tékry). Ces derniers ont parfois osé traduire ces chants en français et dans les langues vernaculaires afin de les vulgariser. Pour la toute première célébration de l'indépendance, l'Abbé Pango, par ailleurs, auteur de l'Hymne national ivoirien, a écrit la première messe en latin, accompagnée de tam-tams africains dénommée La messe des lagunes.
Repères
Nombre. Les artistes-musiciens et chantres religieux déclarés au Burida sont estimés à environ 2000. Cachet. Les prix des prestations varient de 50 à 400 mille francs CFA. Date. Le chant religieux est arrivé en Côte d'Ivoire en même temps que l'évangélisation en 1895.

Mayane Yapo

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