vendredi 6 juillet 2007 par Fraternité Matin

Quel est l'état des lieux de la musique chrétienne? Ne pensez-vous pas que l'on est passé du sacré au business? Du sacré au business. En principe, ce n'est pas normal. Le chant sacré religieux est un chant composé pour la gloire de Dieu et la sanctification des fidèles. Lorsqu'on chante pour la gloire de Dieu, on ne devrait pas vendre. Mais, ce sont des ?uvres de l'esprit et en tant qu'auteur, l'on bénéficie d'une protection du droit d'auteur. Moi, les chants religieux que j'ai composés (un peu plus d'une cinquantaine en attié et en français), se trouvent au Burida. Mais je n'envoie pas la police ou la gendarmerie dans les églises pour voir qui exécute ces chants et pendant combien de temps il le fait. Si le Burida m'appelle un jour, pour me donner mes droits, je les prendrai. Mais le mot a été lâché, le business dans l'Eglise, à cette allure, ce n'est pas recommandé. C'est dommage! Si justement, les maîtres de ch?ur et les chorales composent des chants rien que dans le but de les vendre, je dis que le but du chant chrétien ou du chant sacré, ce n'est pas celui-là. Celui qui travaille à l'autel doit vivre de l'autel, dit St Paul. Pareillement, celui qui compose des chants doit vivre des chants parce qu'il fera nécessairement des dépenses pour la réalisation des cassettes et autres. Certes, c'est avec de l'argent qu'on cherche de l'argent, mais faire du business à l'Eglise avec frénésie, c'est une anomalie. Certains vont même jusqu'à enrégistrer sur leurs cassettes, des chants qui ne leur appartiennent pas. J'en ai été victime par deux fois. Il faut de l'argent pour faire la pastorale et non la pastorale de l'argent. Si vous ne voulez pas d'argent et que vous voulez réussir votre pastorale, vous n'allez éditer aucun livre ou en acheter. Il faut de l'argent pour organiser et faire avancer votre pastorale. Mais je le répète, il ne faut pas faire la pastorale de l'argent.
Notons que la floraison des chorales vient de ce qu'on veut faire la pastorale de l'argent. Cependant, il ne faut pas accuser toutes les chorales. Certaines sont bien. Certains maîtres de ch?ur vendent leur service, des solistes passent de chorale en chorale et sont payés pour cela. Des batteurs ou des instrumentistes se font louer. Lorsque c'est exagéré, ce n'est pas bon! Vous êtes présenté comme celui qui a introduit les instruments, notamment le tam-tam, dans l'église. D'où est venue cette nécessité?
Pour nous Africains, chanter et danser, cela entraîne l'introduction d'instruments. Les Européens ont l'orgue, l'harmonium et autres. Le fait de vouloir accompagner les chants avec des instruments était normal. Malheureusement, les premiers missionnaires n'ont pas apprécié le tam-tam africain qui s'utilisait dans des cérémonies païennes. En outre, ils trouvaient ces instruments bruyants. Depuis mon entrée au Séminaire, je n'avais jamais été satisfait par l'utilisation de l'harmonium dans les chants religieux. En tant qu'Africain, mon idée était que lorsque je chante, surtout dans ma langue, l'accompagnement doit être fait par des instruments africains (tam-tam, ahoco, castagnettes). Il fallait cependant trouver le moment favorable pour les introduire. L'idée m'a longtemps hanté et j'ai choisi ma première messe en 1966, à Ebimpé (Anyama). Je me suis dit: si les gens n'apprécient pas, j'aurais gâté moi-même ma fête. S'ils apprécient, c'est tant mieux. J'ai pris le temps de sensibiliser la chorale (il faut expliquer, il ne faut pas choquer les gens dans la liturgie), je l'ai convaincue et nous l'avons fait. Après ma messe, les gens m'ont fait le reproche suivant: Tu as fait des classes de chant partout, on n'a jamais vu les tam-tams Il faut noter que déjà au Séminaire, l'Abbé Pango (Paix à son âme) avait utilisé le tam-tam au cours de sa Messe des lagunes. Mais ce n'était pas la même chose ; moi, j'ai utilisé un ensemble de tam-tams. Il faut, pour les jouer à l'église, trouver de bons batteurs. A ce propos, un proverbe attié dit ceci: Avant de vouloir dormir dans la rue, cette nuit, renseigne-toi d'abord chez le batteur. Cela signifie que le batteur est très important et à l'église on doit utiliser les meilleurs. Malheureusement, ce n'est pas ce qui fait aujourd'hui. Les tam-tams couvrent les chants aujourd'hui. Ce sont les tam-tams qui devraient accompagner les chants religieux et non le contraire. Chanter, c'est prier deux fois, a dit St Augustin. Cela est-il encore vérifié avec tous ces instruments bruyants?
Oui, cela est toujours vrai. J'ai composé des chants en attié avec des paraboles de Jésus-Christ. Lorsqu'une vieille analphabète les chante, c'est l'Evangile qu'elle ne peut lire ou traduire, qu'elle chante. On peut donc par le chant, faire passer le message. Bien chanter, c'est prier deux fois. Tout à l'heure, j'ai parlé des tam-tams qui couvrent le chant, on hurle en chantant, on fait de ces fantaisies qui vous surprennent. Il y a des choses qui peuvent également gêner. Tout cet ensemble ne peut pas nous faire prier. Non, moi, je ne peux pas prier! L'expression chanter a capella, signifie chanter sans les instruments. On chante et on apprécie le ch?ur. En 1995, lorsque nous avons récité Le Te Deum, ?'Seigneur Dieu, roi de l'univers'', que j'ai mis au point, feu le Cardinal Bernard Yago (Paix à son âme) m'a écrit pour me féliciter. Il a dit que le plus important, c'est qu'on entendait distinctement toutes les paroles. C'était très important pour moi, parce qu'il nous a toujours combattus pour le fait que nous parlions trop vite et que nous ne mâchions pas les mots. Aujourd'hui, quand certaines de nos chorales chantent certains chants, on ne peut pas vraiment prier avec. Il faut que le chant soit priant pour qu'on puisse prier deux fois en le chantant. Je signale au passage que mes chants, je les considère comme mes enfants et n'importe qui ne peut admettre qu'on maltraite ses enfants. A mes enfants, je donne chacun un nom et je souhaite qu'on les appelle par ces noms. Nul n'aime voir son nom déformé. C'est pourtant vous qui avez introduit du bruit dans les chants religieux à travers
les tam-tams. Désolé, je n'ai pas introduit du bruit à l'église. J'ai plutôt introduit le tam-tam à l'église pour accompagner les chants. Aujourd'hui, ils sont très mal utilisés. Je dis bien: ce sont les tam-tams qui accompagnent le chant et non le contraire! J'en suis désolé! Quand l'orgue accompagne le chant, il est en sourdine et à des moments précis, il peut faire des démonstrations et c'est merveilleux. Le premier, c'est le chant et les tam-tams sont en sourdine. Je profite pour souligner un fait: les chorales ont la maladie des nouveautés. Tout nouveau chant est avalé à grande gorgée, sans les comprendre. Certains chants sont vides de contenu. Un chant est d'abord parole avant d'être musique. Le chant religieux sert à véhiculer un message qui doit être authentique. Je vous raconte cet exemple: au cours de la messe de requiem d'un prêtre, on a entendu dans un chant exécuté par la chorale: Seigneur, nous t'offrons le sacrifice humain. En français, cela signifie: j'ai tué l'homme pour le sacrifice. Or, il faut offrir au Seigneur, le sacrifice des hommes qui sont les produits de nos mains et non le sacrifice humain. Il est donc nécessaire de comprendre le français ou toute autre langue pour en faire des compositions. Moi, j'ai composé beaucoup en attié parce que ma sensibilité répond mieux à ce que je veux comme innovation. Je rappelle que les rythmes africains ne sont pas des rythmes européens. Avez-vous une idée du nombre de chorales en Côte d'Ivoire?
Personne ne peut donner le nombre de chorales existantes en Côte d'Ivoire. Rien que pour la ville d'Abidjan, je n'en ai aucune idée. Lorsque vous prenez chaque paroisse, vous avez au moins quatre chorales. Pour ma part, je dirai qu'il y en a trop et que cette multitude provoque parfois des ennuis dans l'Eglise. Il faut des chorales pour une utilité précise, la liturgie. Mais, il ne faut pas qu'il y ait des chorales rien que pour en avoir. Que d'être un avantage, la multiplicité des chorales est un ennui pour l'Eglise catholique.
Toutefois, il ne faut pas exagérer. Lorsque je parle d'ennuis, je parle de ceux causés par les frictions (ce qui est acceptable), mais les antagonismes ce n'est pas sérieux. Chaque chorale crée des chants à elle. Il n'y a pas d'uniformité dans les chants, ce qui est anormal. Un chant, il est ce qu'il est. Un texte il est établi et vous lisez ce qui est écrit. Chacun ne lit pas ce qu'il pense, mais ce qu'il voit. C'est pareil pour le chant. Peut-être qu'en exécutant un chant, on veut faire valoir sa belle voix, on y met quelques petites fioritures, quelques petits arrangements, les fantaisies, mais il faut retenir qu'un chant doit s'exécuter comme il est écrit.

Interview réalisée par
Mayane Yapo

www.225.ci - A propos - Plan du site - Questions / Réponses © 2023