mercredi 4 juillet 2007 par Le Temps

Après l'attaque manquée contre le Premier ministre Guillaume Soro, Le Temps? a rencontré l'Ambassadeur de France en Côte d'Ivoire. SEM. André Janier défend la Licorne. La Côte d'Ivoire s'est engagée de façon irréversible sur le chemin d'une sortie définitive de la crise, sans l'apport de la France. Y a-t-il un commentaire particulier à faire ?
Nous constatons comme vous que la Côte d'Ivoire s'est engagée dans un nouveau processus de sortie de crise, à la suite du Dialogue direct conduit à Ouagadougou et à la suite de la signature de l'Accord de Ouaga, entre les deux protagonistes directs de la crise ivoirienne. Dès le début, comme vous avez pu le constater, la France a salué la signature de l'Accord de Ouaga. Elle a dit qu'elle considérait que c'était un pas en avant intéressant dans la recherche des moyens de sortie de crise parce que les Ivoiriens se sont approprié le processus, et on a aussi dit en France que nous accompagnions le processus de tous nos v?ux, en espérant que cette fois, il irait à son terme. Alors vous me dites que pour une fois, la France n'a pas été associée au processus. Ce qui est vrai parce que la France n'était pas partie prenante au Dialogue direct et signataire de l'Accord de Ouagadougou. Ce qu'il faut savoir, c'est que la France n'a jamais exigé de l'être. Nous avons suivi les tractations de Ouaga et les progrès de ce dialogue, avec intérêt. Nous nous sommes félicité qu'il ait abouti. Mais si ces progrès peuvent conduire à la paix sans la participation et l'intervention directe de la France, c'est tant mieux. Nous n'en demandons pas plus. Excellence, les premières négociations sur la crise ivoirienne se déroulaient au Togo, mettant face-à-face les Ivoiriens. Pourquoi alors la France s'est saisie du dossier pour le traiter à Marcoussis ?
Je ne m'occupais pas du dossier ivoirien au moment de l'Accord de Lomé et celui de Linas- Marcoussis, donc je ne peux pas rentrer dans les détails. Ce dont je peux parler, c'est les derniers développements. Je vous disais que les Ivoiriens se sont approprié le processus parce qu'ils étaient seuls face-à-face avec simplement la présence du facilitateur qui les avait accueilli chez lui à Ouagadougou et qui avait préparé le terrain pour qu'ils s'asseyent face-à-face sans accompagnement extérieur et sans la participation d'autres acteurs extérieurs. Revenons aux événements de novembre 2004. Quelques temps après ces événements malheureux, La France avait dit tantôt qu'il fallait tourner la page. Et pourtant, aujourd'hui, elle ne cesse d'actionner sa justice pour engager des poursuites judiciaires contre certains Ivoiriens déclarés ou présumés coupables ?
Moi, je n'ai pas la déclaration française qui n'exclut pas que ce soit le cas. Tourner la page ou je ne sais plus quelle expression, a été utilisé à juste titre. Je comprends que vous faites allusion à la présence à Abidjan de magistrats français. La Justice en France comme ailleurs doit rester indépendante. Donc, nous n'avons pas à nous immixer dans une action judiciaire. Ainsi les autorités politiques et diplomatiques ne doivent pas interférer dans une action de Justice. Pour ce qui nous concerne, la mission des magistrats qui sont venus ici la semaine dernière, est libre. Nous n'avons jamais eu l'intention d'intervenir dans ce qui ne nous concerne pas en tant que politique, en tant que diplomate. Nous n'avons donc pas le droit d'intervenir ni dans un sens, ni dans un autre, ni pour commenter, ni pour annoncer ni pour regretter quoi que ce soit dans la visite de ces magistrats. Ce que je sais, de leur mission ici, ils avaient adressé une commission rogatoire internationale aux autorités ivoiriennes, il y a quelques mois pour annoncer leur mission. Ceux-ci n'avaient pas eu d'interdiction pour venir en Côte d'Ivoire. Cette commission rogatoire porte sur un certain nombre de plaintes déposées par des ressortissants français auprès de la Justice française à la suite des événements de novembre 2004 à Abidjan. Et ces magistrats venaient faire leurs enquêtes au sujet de ces plaintes. Ce qui veut dire que la Côte d'Ivoire est libre de porter plainte contre les criminels de novembre 2004 où de nombreux manifestants ivoiriens aux mains nues ont été assassinés par des soldats de la licorne ?
Il y a eu en sens inverse, des commissions rogatoires ivoiriennes, en France. Il est vrai que je n'ai pas lu les commissions et donc ne saurais dire sur quoi cela a porté exactement. Mais à la suite des événements de novembre 2004, les autorités judicaires ivoiriennes ont adressé plusieurs commissions rogatoires en ma connaissance, en France et des magistrats ivoiriens ont été en France dans le cadre de ces commissions rogatoires. C'est ainsi que fonctionne la Justice dans la plupart des pays du monde. Cela ne doit nullement déranger la politique étrangère de la France tout comme celle de la Côte d'Ivoire. Excellence, la France a aujourd'hui, un nouveau chef d'Etat. Quelle sera donc la nature des nouveaux rapports entre la France et la Côte d'Ivoire après l'élection de Nicolas Sarkozy ?
Il faut être franc. Je ne vois pas pour l'instant des faits précis ou d'événements nouveaux qui modifient en profondeur, les relations entre l'Etat français et l'Etat ivoirien, il pourrait y avoir un nouvel environnement dans les relations de ces deux pays. Mais n'oubliez pas qu'il a pris fonctions, le mois dernier. Mais compte tenu de sa perception générale des relations entre la France et le continent africain, on pourrait assister à une nouvelle atmosphère.
Excellence, actualité oblige. Comment expliquez-vous que Bouaké qui regorge d'un important contingent de soldats français puisse vivre une telle situation ? L'aéroport est tout de même contrôlé par les soldats de la Licorne
Comme vous parlez de Licorne, je préfère vous dire qu'il est plutôt important de parler de Forces impartiales. Ce n'est pas seulement Licorne. C'est l'ONUCI et Licorne qui travaillent ensemble. Moi, j'ai plusieurs fois atterri à l'aéroport de Bouaké. C'est les Forces impartiales qui stationnent à cet endroit. Je ne sais pas si elles le font 24 heures sur 24 ( 24 h / 24 h). Mais qui semblent être présentes sur l'aéroport. N'empêche pourtant, que cela est arrivé ailleurs. Des attentats sur des aéroports dans des pays industrialisés même avec la présence de Forces militaires ou de gendarmerie ne donne pas la garantie à 100% qu'un attentat ne peut pas être réalisé sur un aéroport. Il y a eu des attentats sur plusieurs aéroports en Europe et aux Etats-Unis et malheureusement, la présence des Forces impartiales n'a pas empêché de réaliser l'attentat. En votre qualité de diplomate, quelles conséquences ces tristes événements pourraient-ils avoir sur le processus de paix ?
Il faut espérer qu'il n'y aura pas de conséquence grave et définitive sur l'application de l'Accord de Ouagadougou. C'est un accident regrettable et c'est un incident grave parce qu'il y a eu mort d'hommes. Le ministère français des Affaires étrangères a publié un communiqué deux heures après l'attentat de Bouaké où la France condamne avec la plus grande fermeté le lâche attentat et réaffirme sa solidarité avec l'ensemble de la nation et du peuple ivoirien. Elle a également souligné dans son communiqué l'impérieuse nécessité de poursuivre le processus de réconciliation engagé dans le cadre de l'Accord de Ouagadougou. Nous espérons que cet attentat condamnable n'aura pas d'incidences négatives sur l'application de l'Accord de Ouaga et nous exhortons toutes les parties ivoiriennes à dépasser cet incident pour aller dans le sens de la paix?
Aujourd'hui, la Côte d'Ivoire a ouvert ses frontières commerciales avec toutes les nations du monde. Ce qui tue le concept de pré carré français. A votre avis, cette situation n'a-t-elle pas été favorisée par la France elle-même ?
Vous parlez de pré carré ou de chasse gardée. Je n'y étais pas, il y a trois ans (Côte d'Ivoire). Je ne crois pas que la France ait considéré la Côte d'Ivoire comme sa chasse gardée exclusive. Il se trouve qu'il y avait des liens humains, économiques et commerciaux et qui continuent d'exister. Aujourd'hui, la France est le premier partenaire commercial de la Côte d'Ivoire, le premier importateur de produits français vers de la Côte d'Ivoire. Avec un solde positif en faveur de Côte d'Ivoire. La Côte d'Ivoire vend plus à la France qu'elle ne lui achète, même en cette période de crise. Ce n'est pas quelque chose qu'on invente. C'est le quotidien des rapports économiques et commerciaux qui reposent sur des années, voire des décennies de partenariat. Vous faites remarquer que le marché ivoirien est maintenant ouvert à tout le monde entier. Je vous rappelle que le marché ivoirien a toujours été ouvert à tous les horizons commerciaux. On a toujours vendu des Toyota en Côte d'Ivoire, on a toujours vendu des climatiseurs japonais en Côte d'Ivoire. Les avions qui constituent la flotte officielle ivoirienne ne sont pas des avions français. Cela ne plaît-il pas à France ?
Nous l'acceptons. C'est la concurrence. C'est vrai qu'il y a de nouveaux partenaires importants qui s'implantent en Côte d'Ivoire actuellement. Nous, nous disons qu'il y a de la place pour tout le monde. Ce sont aux Ivoiriens de choisir qui ils souhaitent être leurs partenaires. Dans ce cas, ici comme ailleurs, c'est la concurrence commerciale qui joue et nous disons aux hommes d'affaires français d'être les meilleurs au plan de la concurrence et ils seront choisis par les Ivoiriens. Dans le domaine de la Téléphonie mobile, il y a plusieurs opérations parmi lesquels un Français. Nous disons que le meilleur gagne. Le marché est donc ouvert et que le meilleur gagne.

Interview réalisée par
Simplice Zahui

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