mardi 3 juillet 2007 par Notre Voie

Malgré la tentative d'assassinat du Premier ministre à Bouaké, vendredi dernier, le commandant Wattao, chef d'Etat-major adjoint des Forces Nouvelles, déclare que le processus de paix se poursuivra. Dans l'interview qu'il nous a accordée à Bouaké, il invite les populations à se mobiliser massivement pour accueillir le chef de l'Etat qui s'est dit déterminé à maintenir son voyage à Bouaké, malgré l'attentat manqué contre l'avion du Premier ministre. Notre Voie : Le Premier ministre vient d'échapper à un assassinat à l'aéroport de Bouaké alors que le processus de paix semblait avancer sans heurt. Quelles informations avez-vous en tant que chef d'Etat-major adjoint des Forces Nouvelles ?
Issiaka Ouattara : Nous étions informés de ce que des choses se préparaient. C'est vrai qu'en la matière, il n'y a pas de risque zéro. C'est dommage, les ennemis de la paix ont encore tué. Lorsque les coups ont commencé, les éléments de l'ONUCI, qui étaient dans les parages, se sont retirés. Après, ils sont réapparus avec tout leur arsenal. Alors que le mal était déjà fait. Mais, Dieu merci, ils ont échoué. Ce qui s'est passé ne peut pas nous effrayer. Nous allons poursuivre le processus de paix. Et moi, en tant que militaire, je suis toujours prêt à faire ma part pour la paix. Je ne suis pas du tout intimidé par ces choses-là. Vous savez, j'en ai vu d'autres. Ce n'est pas aujourd'hui où je suis adossé à la plupart des personnes qui veulent la paix que je serai effrayé. Que les Ivoiriens soient tranquilles. Nous avons pris toutes les dispositions pour gagner le pari de la paix. N.V. : Est-ce vrai que l'attentat manqué contre l'avion du Premier ministre a été perpétré par Chérif Ousmane et ses hommes ?
I.O. : Ce que je peux vous dire, c'est que nous savons qui a fait le coup. Mais nous ne pouvons rien dire pour l'instant, tant que les recherches et les enquêtes se poursuivent. A ma connaissance, tous les commandants de zone sont mobilisés derrière le Premier ministre pour gagner le pari de la paix. Au moment venu, les autorités des Forces Nouvelles donneront les informations qu'il faut. Pendant ce temps, nous les militaires, nous continuons notre travail de sécurisation. N.V. : Quel est le point de la situation actuellement à Bouaké ?
I.O. : La situation est sous contrôle. Nous maîtrisons le terrain. Les activités ont repris dans la ville. Tous ceux qui veulent venir à Bouaké peuvent le faire sans crainte. Malgré tout, le processus avance dans le bon sens depuis l'accord de Ouaga. Je me pose souvent la question de savoir pourquoi nous n'avions pas pensé plus tôt à un tel arrangement. Pour moi, c'est le meilleur accord. A la différence des autres accords, celui-là est la volonté des Ivoiriens qui se sont retrouvés librement sans être convoqués. De surcroît, l'accord de Ouaga a été signé au Burkina Faso, un pays ayant des liens historiques avec la Côte d'Ivoire. Les populations de Bouaké sont engagées dans le processus de paix. N.V. : Et pourtant, on fait état à Bouaké de personnes qui seraient opposées au processus en cours. On parle notamment de certaines associations de la société civile qui vous reprochent de les tenir à l'écart de tout ce qui se fait. I.O. : Ecoutez, je suis toujours en contact avec la population, et donc je peux vous assurer qu'il n'en est rien. C'est vrai qu'il y a toujours des personnes qui aiment raconter n'importe quoi. Que ce soit à Abidjan, à Bouaké, ou partout ailleurs, il existe des ennemis de la paix. Ces derniers profitent de la situation de crise. N.V. : Les avez-vous identifiés ? Et connaissez-vous éventuellement leurs motivations ?
I.O. : Tout ce que je peux vous dire, c'est qu'à Bouaké, ils ne constituent qu'une minorité. En tout cas, je n'ai pas peur d'eux. Retenez que nous sommes prêts à aller à la paix. Ils seront bien obligés de s'aligner sur notre ferme volonté d'aller à la paix. N.V. : Est-ce de ces personnes que le ministre Konaté Sidiki parlait lorsqu'à l'arrivée de Blé Goudé à Bouaké, il a fait cas de personnes qui prient pour l'échec du processus de paix ?
I.O. : Effectivement, c'est d'eux que le ministre parlait. Mais, comme je vous le dis, ces personnes n'osent pas se déclarer officiellement. Je leur conseille vivement de nous rejoindre sur le chemin de la paix. Sinon ils seront noyés par la grande majorité des populations en zones sous contrôle des Forces Nouvelles qui veut la paix. N.V. : On annonce une visite du président de la République à Bouaké. Après l'attentat manqué contre l'avion du Premier ministre, quelles dispositions prenez-vous pour cette visite ?
I.O. : Forcément, nous mettrons un accent particulier sur la sécurité, mais notre objectif est de réduire au plus strict minimum les problèmes qui pourraient éventuellement se poser. Dans tous les cas, Bouaké, c'est la Côte d'Ivoire, c'est son pays. Donc, le chef de l'Etat pourra se promener comme il veut. N.V. : Les travaux entamés dans le centre ville sont-ils en rapport avec la visite du président de la République ?
I.O. : Effectivement, vous avez constaté que les routes sont en train d'être arrangées. Nous sommes également en train de réhabiliter certains bâtiments. C'est le cas notamment du Ranhôtel.
N.V. : Qu'en est-il de la mobilisation des populations ?
I.O. : Des messages ont été envoyés dans toutes les zones sous contrôle des Forces Nouvelles. Et je peux vous assurer que les populations sont mobilisées. Maintenant, j'espère vivement que nos frères du Sud viendront massivement pour nous aider à accueillir le président de la République chez lui à Bouaké.
C'est très important, car la visite du président de la République viendra couronner les grands pas que nous avons déjà faits, à savoir, l'arrivée de Blé Goudé et des jeunes patriotes à Bouaké et, plus récemment encore, l'installation du préfet de Bouaké. N.V. : Avez-vous déjà rencontré le président Laurent Gbagbo ?
I.O. : Je n'ai pas eu l'occasion de le rencontrer depuis qu'il est président de la République. Ma première rencontre avec lui a eu lieu sous feu le général Guéi. Ce jour-là, le général recevait les partis politiques au Palais. J'ai pu faire une photo avec le président Gbagbo. Depuis, je ne l'ai plus rencontré. N.V. : Vous faites partie de ceux qui, au plus fort de la crise, ont tenu les discours les plus durs à l'encontre du président Laurent Gbagbo. Alors, qu'est-ce que ça vous fait de savoir qu'il vient à Bouaké et que vous aurez inévitablement à vous rencontrer ?
I.O. : (Rires) Bon, comme tout citoyen qui rencontre le président de son pays, c'est avec plaisir que je le reverrai. Surtout qu'il a pris une sage décision pour sauver son pays. En effet, comme il l'a dit dans l'un de ses discours, quand ça ne va pas dans un pays, c'est le chef qui prend ses responsabilités pour régler la situation. Je suis d'accord avec la décision qu'il a prise pour initier le dialogue direct. J'apprécie le sang-froid et le courage qu'il a eu d'engager pendant 10 jours, des négociations avec des gens qui ont voulu le faire partir du pouvoir. Je ne peux que le remercier pour nous avoir pardonnés à nous ses enfants. N.V. : Aviez-vous pensé un seul instant que le président Laurent Gbagbo engagerait des discussions directes avec les Forces Nouvelles ?
I.O. : Un jour, j'ai dit à mes amis que si ça ne tenait qu'au président Gbagbo, la paix serait venue depuis longtemps. Parce que je le vois parler et j'ai appris à le connaître. A travers ses discours, j'ai compris qu'il voulait la paix. Ce que nous avons déclenché le 19 septembre 2002 aurait pu s'arrêter cinq jours après, si le président Gbagbo avait de bons conseillers. Mais, les gens nous ont considérés comme des plaisantins. Et voilà où les choses ont mal tourné. Et on est obligés d'assumer les conséquences. Dieu merci, le Président a pris ses responsabilités et cela est en train de nous conduire à la paix. Je sais que des gens autour de lui ne sont pas contents. Mais c'est lui le Président et c'est ce qu'il dit que nous faisons pour aller à la paix. N.V. : A propos de retour à la paix, quels sont vos rapports avec le préfet de Bouaké ?
I.O. : Nous devons tous soutenir le préfet de Bouaké. Sa présence est un apport important pour la paix. Mais, comme toute collaboration, il est bon que cela se passe dans le respect mutuel. En tous cas, nous sommes prêts à aller à la paix. Dans sa tâche, le préfet peut compter sur nous. Pour la paix, j'ai quitté la résidence de fonction du préfet que j'occupais. N.V. : Que faites-vous pour que les autres maisons reviennent à leurs vrais propriétaires ?
I.O. : Nous avons mis sur pied un comité qui se charge de la question. Mais, généralement, quand je suis saisi d'un cas d'occupation illégale d'une maison par un combattant, j'ordonne immédiatement que la maison soit libérée. Encore faudrait-il que le plaignant me prouve que c'est bel et bien sa maison. En effet, nous nous sommes rendus compte que beaucoup n'ont pas été sérieux dans le cadre de cette opération. Après avoir confié leurs maisons à des militaires, ils vont dire à Abidjan : Les rebelles ont occupé ma maison?. Par exemple, quelqu'un a rapporté au ministre Dacoury que j'ai transformé son collège en camp militaire. Arrivés sur les lieux, nous nous sommes rendus compte que rien n'a été touché. Les bancs étaient encore recouverts de poussière. Voilà autant de problèmes que nous rencontrons. Mais je confirme que ceux qui ont leurs maisons ici peuvent venir les réoccuper. N.V. : Quelle contribution pensez-vous pouvoir apporter à la réussite du désarmement qui se pose plus que jamais avec ce qui s'est passé, vendredi dernier, à l'aéroport ?
I.O. : Il faut d'abord désarmer les c?urs. Après quoi, tout le reste sera facile. Sinon vous pouvez arracher les fusils aux gens. Mais vous verrez certains avec des couteaux et des gourdins. Il est donc important de désarmer les c?urs. C'est ce travail que nous accomplissons actuellement. Le fait qu'on se fasse confiance déjà est un grand pas franchi. Sinon, le désarmement en lui-même n'est pas un grand sujet pour moi. Vous verrez, tous vont désarmer librement une fois qu'ils comprendront pourquoi il nous faut aller rapidement à la paix. N.V. : Croyez-vous que c'est suffisant pour rassurer les populations ?
I.O. : Tout ceux qui ont l'habitude de venir à Bouaké savent que la situation est en train de se normaliser.. C'est vrai qu'ici comme au Sud, il y a des brebis galeuses. Mais nous sommes déterminés à assurer la sécurité de tous ceux qui viendront ici pour nous aider à faire avancer la paix. Pour preuve, les banques sont revenues à Bouaké. Et, jusque-là, on n'a pas entendu qu'une d'entre elles a été attaquée. N.V. : Justement, beaucoup de personnes vous accusent d'être l'auteur des attaques de la BCEAO et d'autres banques à Bouaké. I.O. : Je n'ai jamais donné l'ordre à un élément de s'attaquer à une seule banque. Je mets quiconque au défi de prouver le contraire. Beaucoup d'autres chefs des Forces Nouvelles sont heureux. Les autres chefs qui sont heureux ont-ils cassé des banques ? Pourquoi veut-on accuser Wattao ?
Ceux qui ont pris l'argent de la BCEAO sont partisN.V. : Donc, vous savez qui a fait le coup ?
I.O. : Je n'étais encore rien au moment des faits. Je n'étais ni commandant de zone, ni chef d'Etat-major adjoint. Ce jour-là, je me souviens que nous avons assuré la sécurité autour de la BCEAO avec les Français. C'est tout. Sinon personne ne m'a vu casser une banque. N.V. : Et la question des grades ?
I.O. : Pour moi, la question des grades n'est pas la plus importante. De toute façon, j'ai besoin de ce grade pour sensibiliser ceux qui m'ont suivi jusque-là. Comment voulez vous que j'arrive à convaincre un élément si on m'enlève ce grade ? Où voulez-vous qu'ils partent si nous ne sommes pas là pour leur parler ? Je crois que nous avons des problèmes plus importants à régler. Nous devons réussir l'identification et les élections. N.V. : Comptez-vous retourner dans l'armée ? Sinon comment voyez-vous votre avenir ?
I.O. : Mon destin appartient à Dieu. C'est Lui qui décide. Mais, déjà, je peux vous dire que ce sera très difficile que je retourne dans l'armée. Je ne voudrais plus être automatiquement indexé lorsqu'un évènement survient. N.V. : Vous semblez garder un triste souvenir de votre passage dans l'armée ?
I.O. : J'ai connu des moments difficiles dans l'armée. Je me rappelle encore ma prison à la poudrière où j'ai été torturé. A ma sortie de prison, je croyais que tout était derrière moi. Lorsque je suis allé récupérer mes effets, le procureur militaire Ange Kessi m'a fait savoir que le président de la République a demandé que je sois arrêté. Ce jour-là, je lui ai dit à son bureau que c'est mon cadavre qui retournera en prison, parce que je ne voulais plus revivre ce que j'avais vécu en prison. Ce sont toutes ses situations-là qui me rebutent. Peut-être que le Président lui-même n'a rien décidé. Je crois plutôt que c'était pour m'intimider.
A notre libération, un ami a proposé de voir le président de la République pour que nous puissions travailler avec lui. Il est revenu tout déçu parce que les gens ont estimé que nous étions des vauriens. En plus de cela, nous étions traqués dans l'armée. Ceux qui avaient le malheur de nous recevoir étaient arrêtés et leurs téléphones portables mis sur écoute. Finalement, nous étions comme des personnes indésirables qui ne savaient pas à qui se confier. Même ton chef avait des difficultés pour te recevoir. Nous ne savions plus quoi faire. C'est grâce à Gbagbo que nous sommes sortis de prison. C'est quand il est arrivé au pouvoir et que le général Guéi a fui que nos amis ont pu nous libérer. C'est lui qui nous a sortis du trou. Donc, quelque part, on doit la vie à Gbagbo. Certains ont tout manipulé à l'époque pour que nous ne puissions jamais nous retrouver devant le président de la République. Peut-être que si nous l'avions rencontré, tout ça ne serait jamais arrivé. Pourquoi se retourner contre celui qui t'a fait sortir du trou ? Malheureusement, des personnes qui ne pensent qu'à leur profit ont provoqué cette situation. Aujourd'hui, ils sont incapables de défendre le président de la République. C'est une situation que j'ai toujours déplorée. Et qui continue de me faire mal. N.V. : Quel souvenir gardez-vous de la crise ?
I.O. : Ce sont les affrontements entre nous, pendant que j'étais au Burkina. Ils ont d'abord attaqué Korhogo et ils attendaient que les renforts s'y rendent pour attaquer à Bouaké. J'ai eu cette information. Et donc j'ai demandé aux éléments de rester à Bouaké. Nous avons commencé quelque chose ensemble. Mais certains de nos camarades voulaient autre chose. Par exemple, le camarade IB, en tant que sergent-chef, voulait à tout prix être président de la République. Nous lui avons dit non. Il n'a ni carnet d'adresses, ni un bagage intellectuel fourni comme il se doit. Un sergent-chef dirigé la Côte d'Ivoire ? Il faut qu'on respecte un peu notre pays. Si chacun connaissait sa place en Côte d'Ivoire, il n'y aurait pas de problème. Imaginez un maçon qu'on utilise comme médecin. La Côte d'Ivoire regorge de grands intellectuels. Mettons chacun à sa place !
Le président Gbagbo est professeur d'histoire à l'université. le Premier ministre a fait l'université. Il a un bagage intellectuel et connaît bien le président Gbagbo pour l'avoir côtoyé. Les deux sont bien placés pour conduire le pays. Mais, tu ne peux faire avancer le pays avec Wattao comme ministre de l'Economie. Je n'y connais rien. Donc mettons chacun à sa place. Nous les militaires, nous sommes là pour défendre le pays quand c'est nécessaire. Quand Guéi a pris le pouvoir, on a vu qu'un militaire sans aucune notion de politique est un pur criminel. Et IB, qui n'est même pas officier, veut être président de la République. Ce sera le chaos total. Nous n'aurions pas eu ces combats entre nous si quelqu'un n'avait pas cherché coûte que coûte à être président de la République.




Interview réalisée par Faustin Yao K

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