dimanche 1 juillet 2007 par Autre presse

Antonio Mazzitelli est le Monsieur drogue des Nations unies en Afrique de l'ouest et centrale. Depuis Dakar (Sénégal), son organisation, le Bureau des Nations Unies contre les Drogues et le Crime (Onudc), lutte et essaie d'endiguer le narcotrafic qui semble avoir noué avec notre continent une nouvelle idylle. Mazzitelli nous dévoile ici la réalité de ce mal qui hypothèque l'avenir des pays les plus pauvres de la planète.

Abidjan.net : Bonjour M. Mazzitelli, et merci d'avoir accepté d'échanger avec abidjan.net. Le monde entier a célébré mardi 26 juin dernier, la Journée internationale contre l'abus et le trafic illicite de drogue. Depuis sa création, quel bilan pouvez-vous dresser des activités de l'Onudc ?

Antonio Mazzitelli : Le bilan est certainement positif, en ce sens que, au niveau mondial, on peut aujourd'hui affirmer que le problème de la drogue a été enfin mis sous contrôle.
Ceci dit, cela ne veut pas dire que le problème ne soit pas important. Ce que nous voulons dire, le message de cette année, c'est que, avec l'effort qui a été fait par les Etats, on est arrivé à maîtriser plus ou moins la problématique.

On a plus ou moins une stabilisation du point de vue de la consommation dans le monde entier. On parle à peu près de 200 millions de consommateurs de drogue dans le monde, mais il y a seulement 20 millions d'usagers problématiques, c'est-à-dire de vrais toxicomanes. En même temps, on remarque une circonscription, comme on l'avait également prévu il y a des années, de la culture de la drogue. A titre d'exemple, l'opium est aujourd'hui cultivée à 90% en Afghanistan, et la culture de pavot et donc de l'opium a presque disparu des autres régions du globe qui étaient traditionnellement productrices, comme le Triangle d'or.

En ce qui concerne la cocaïne, on a aussi obtenu une diminution de l'extension de la circulation, ce qui malheureusement ne reflète pas une diminution de la production. C'est-à-dire que les trafiquants, les cultivateurs de drogue utilisent des systèmes de plus en plus sophistiqués afin d'obtenir à partir d'une petite superficie, des rendements, une production équivalente, voire supérieure.

La production des méta-amphétamines, des drogues synthétiques, montre aussi des signes de stabilisation. Donc, dans l'ensemble, on peut dire que le problème est enfin sous contrôle, et que donc à partir de ce moment, on peut commencer à travailler à sa réduction.

Il est également important de souligner que dans le monde entier, on a remarqué un taux important de saisie. Aujourd'hui, en effet, à peu près 50% de la cocaïne et 27% de l'héroïne produites dans le monde entier sont saisies. Ce taux, il y a 10 ans, était à peu près de 25% pour la cocaïne, et même pas 14% pour l'héroïne. Ce sont là des résultats importants dont le mérite revient aux forces de police.

AN : L'Afrique de l'ouest est, semble-t-il devenue un nouvel eldorado pour les trafiquants. A quoi cela est-il du, selon vous ?

AM : Tout d'abord à sa situation géographique. Le marché de la cocaïne aux Etats-Unis est un marché, je dirais, déjà mûr, qui montre des signes de fatigue. Les trafiquants de cocaïne ont donc investi leurs ressources dans les nouveaux marchés que sont notamment l'Europe et les marchés émergents. A l'intérieur de l'Afrique même, on constate une augmentation de la consommation de la cocaïne en Afrique du sud et aussi dans d'autres pays de l'Afrique de l'ouest et de l'Afrique de l'est, ou encore au Moyen-orient, en Russie et en Asie. Dans ce contexte, l'Afrique de l'ouest est, du point de vue géographique le lieu idéal pour le stockage à mi-parcours. Les trafiquants s'efforcent toujours de déguiser la source de leurs envois : la cocaïne est envoyée tout d'abord en Afrique de l'Ouest, et de là, elle repart vers le marché de destination finale. Cela permet aux trafiquants de réduire les risques de saisie.

D'autre part, du point de vue aérien, l'Afrique, et l'Afrique de l'ouest en particulier, servent de plus en plus comme axe international pour les vols intercontinentaux en direction de l'Europe, en direction et en provenance de l'Asie, de la péninsule arabique, et de l'Asie du sud-est. De plus en plus, il y a des vols directs en direction des Etats-Unis. Cela, certainement, facilite les trafics qui utilisent les voies aériennes.

Mais la situation géographique n'est pas la seule raison du choix de l'Afrique. Un autre facteur très important, c'est l'impunité et la facilité avec laquelle les trafiquants peuvent acheter l'impunité et donc réduire les risques économiques et aussi les risques de poursuite judiciaires dans les pays d'Asie, et d'Afrique de l'ouest. C'est un problème très important. C'est le problème de la bonne gouvernance, c'est le problème de la capacité des Etats à s'administrer et à appliquer la loi sur leur propre territoire.

AN : D'accord, mais la guerre, l'instabilité politique et même la pauvreté ne favorisent-ils pas également l'épanouissement du fléau ?

AM : Certainement. Ce sont des raisons, mais qui ne sont pas directement liées au phénomène. Au contraire, parfois, on remarque que les guerres, l'instabilité peuvent constituer un frein, un motif d'éloignement pour les grands trafiquants qui ont plutôt besoin d'un milieu stable où ils peuvent travailler, corrompre et organiser leurs envois. Je parle ici des gros calibres de drogue qui transitent par l'Afrique. Lorsqu'un pays est en conflit, ses relations, ses rapports, son commerce avec le reste du monde sont obligatoirement perturbés. Les cargaisons qui sont envoyés ou qui sortent de ces pays sont beaucoup plus contrôlés que ceux qui proviennent des pays qui ne sont pas en conflit. Dans ce sens, les conflits constituent plutôt un obstacle pour le gros trafic.

Pour le petit trafic, au contraire, et dans ce cas, on parle en terme de kilos, de dizaines de kilos, cela peut offrir certainement des sources de financement de la guerre. Dans les situations de conflits, beaucoup de monde essaye de profiter de l'anarchie et de la situation d'instabilité pour s'enrichir. Même si ces activités temporaires, ne se déroulent pas dans le long terme, les moments d'instabilité passés peuvent générer une augmentation des activités illicites. En effet, une fois qu'on développe des routes, des contacts avec les milieux du trafic de drogue ou du trafic d'armes, on les conserve après et on les développe en situation de paix. Dans ce contexte, les petits trafics peuvent financer d'une manière comme d'une autre les conflits.

Interview téléphonique réalisée par Koné Seydou

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