jeudi 28 juin 2007 par Fraternité Matin

La Cour commune de justice et d'arbitrage (CCJA) avec les mêmes membres rend deux décisions contradictoires sur une même affaire ". Tel est le libellé d'une annonce parue dans nos trois dernières éditions. Cette annonce fait suite aux accusations d'un justiciable répondant au nom de M. Hassan Sahly dans l'affaire qui l'oppose à son ex-employeur et dans laquelle la CCJA saisie en dernier ressort s'est prononcée par deux fois. Deux décisions apparemment contradictoires qui ne sont pas du goût de Hassan Sahly se plaignant de ce que la CCJA qui a débouté la partie adverse trois ans plus tôt, ait rendu une décision contraire en faveur de son adversaire. Au-delà des faits évoqués, nous avons cherché, à la lumière des textes et auprès de personnes ressources, à comprendre cette affaire. De quoi s'agit-il ?
Les deux décisions dont il est question concernent, pour la première, un Pourvoi n° 003/2000/PC du 27/10/2000. L'autre est relative au Pourvoi n° 009/2003/PC du 06/02/2003. Ces décisions portent sur l'affaire Scierie d'Agnibilékrou Wahab Nouhad dite S.D.A ; M. Wahab Nouhad Rachid contre M. Hassan Sahly. Autre point de similitude, lesdites décisions ont trait à la cassation de l'Arrêt n° 655 rendu le 26 mai 2000 par la 1ère Chambre civile et commerciale de la Cour d'Appel d'Abidjan. La première décision déclare irrecevable, le pourvoi formé par la Scierie, quand la seconde dit que la demande relative à la condamnation solidaire de la Scierie d'Agnibilekrou Wahab Nouhad et M. Wahab Nouhad Rachid est sans objet. Agissant ainsi, la CCJA, avec les mêmes membres, a-t-elle rendu deux décisions contradictoires sur la même affaire ?
Il ressort de notre enquête que M. Hassan Sahly, anciennement employé à la scierie d'Agnibilékrou est en rupture de contrat depuis huit ans avec son employeur pris en la personne physique de son directeur général, M. Wahab Nouhad. Au-delà du litige tiré des conditions du licenciement, Hassan accuse son ex-employeur de lui devoir en dehors des indemnités de licenciement, la somme de 52.120.468 f. Ce dû découle, selon lui, d'un contrat de location par la société d'un véhicule lui appartenant. C'est pourquoi, il a intenté un procès au terme duquel, le tribunal d'Abengourou statuant en matière civile, a, par jugement n° 72/99 en date du 29 juillet 1999, condamné solidairement la société et M. Wahab Nouhad Rachid au paiement de ladite somme au plaignant. Cette décision n'étant pas évidemment du goût de M. Wahab Nouhad, ce dernier, par son conseil, a relevé appel. C'est ainsi que la Cour d'Appel d'Abidjan, alors saisie de l'affaire, a, par l'Arrêt n° 655 rendu le 26 mai 2000, débouté la société et M. Wahab Nouhad de leur action en confirmant en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal d'Abengourou. Devant cet autre échec de leur action devant la Cour d'Appel, les avocats de la société et M. Wahab Nouhad Rachid, comme le leur permet la loi, font un recours devant la CCJA de l'OHADA (Organisation pour l'harmonisation en Afrique du Droit des Affaires) dont le siège est à Abidjan (voir encadré). Des décisions régulières
Contrairement aux insinuations de M. Hassan Sahly, la CCJA n'a pas rendu deux décisions contradictoires, bien qu'il s'agisse de la même affaire. Dans le premier cas, la CCJA saisie du pourvoi formé par les avocats Kanga - Olaye et associés de la Société civile et professionnelle d'Avocats (SCPA), agissant pour le compte de la scierie d'Agnibilékrou Wahab Nouhad et Wahab Nouhad Rachid, ne s'est prononcée que sur la recevabilité du pourvoi ainsi formulé. Statuant donc uniquement sur la saisine, la Cour a débouté les adversaires de M. Hassan. Ce faisant, la CCJA réagissait aux arguments de Me M'Baïpor Adèle N'Guémé, avocate de la partie adverse, laquelle dans un mémoire en date du 23 avril 2001, soulevait l'irrecevabilité de la requête de son adversaire. Le conseil de M. Hassan Sahly s'appuyant sur des textes de l'OHADA, notamment les articles 25, 27 et 28 du Règlement de procédure de la CCJA, a relevé une irrégularité. Les textes, en effet, prévoient pour le dépôt du recours devant la CCJA un délai de deux mois, à compter de la date de signification de la décision attaquée. Or dans le cas d'espèce, les avocats de la scierie et de M. Wahab Nouhad ont saisi la CCJA hors délai. Alors que la décision leur a été signifiée le 24 août 2000, c'est le 27 octobre 2000, c'est-à-dire deux mois trois jours plus tard, que le pourvoi a été déposé à la CCJA. Tirant donc la conséquence des dispositions des textes qui réglementent les procédures, la CCJA, statuant publiquement, a déclaré le pourvoi formé par la scierie d'Agnibilékrou Wahab Nouhad et Wahab Nouhad Rachid irrecevable. S'agissant de la deuxième décision rendue sur le fond de l'affaire, la saisine de la CCJA a été faite par la Cour suprême de Côte d'Ivoire. De fait, la scierie d'Agnibilékrou Wahab et Wahab Nouhad Rachid, déboutés par la CCJA par rapport aux conditions de sa saisine, se sont tournés vers la Cour suprême pour former un pourvoi en cassation de la décision qui les condamne. Cette Cour nationale n'étant pas assujettie aux mêmes conditions de saisine que la CCJA, a pris en compte le dossier. Mais, la Cour suprême, à l'analyse de l'affaire, va buter contre l'article 15 du traité de l'OHADA. Ce texte fait obligation aux juridictions nationales des 16 Etats membres de l'OHADA, de se dessaisir lorsqu'elles constatent que l'affaire dont elles sont saisies touche des questions prévues par les textes de l'OHADA. C'est donc la Cour suprême qui, s'étant rendu compte que l'affaire qui oppose la scierie Wahab et Wahab Nouhad à Hassan Sahly est en rapport avec les textes de l'OHADA, s'est obligée à saisir directement la CCJA. Et puisque dans ces conditions la saisine n'est plus le fait de l'une des parties au conflit, les textes liés à la procédure de saisine et dont elle s'était accaparée pour rendre la première décision, ne pouvaient plus être appliqués. C'est donc en bon droit que la CCJA a statué sur le fond de l'affaire. Et c'est par une panoplie d'arguments juridiques que la CCJA, statuant, a rétracté l'ordonnance rendue par le tribunal d'Abengourou.

Landry Kohon

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