mercredi 27 juin 2007 par Le Front

?'International Crisis Group'', une Ong basée à Bruxelles et qui travaille à la prévention des conflits dans le monde rend public, aujourd'hui, en milieu de journée, son rapport sur la Côte d'Ivoire. Intitulé ?'Côte d'Ivoire. Faut-il croire à l'Accord de Ouagadougou ?'', ce rapport de 36 pages dont nous publions, en exclusivité, la synthèse et les recommandations, explique la lettre, l'esprit et les risques de l'accord politique signé le 4 mars dernier dans la capitale burkinabé entre les deux ex-belligérants. L'accord de paix, conclu le 4 mars 2007 à Ouagadougou, entre Laurent Gbagbo et Guillaume Soro constitue un tournant majeur dans la résolution du conflit armé en Côte d'Ivoire, mais ne représente qu'un premier pas dans la bonne direction. Tous les Ivoiriens qui souhaitent une paix durable, doivent maintenant se mobiliser pour exiger du gouvernement de transition la délivrance effective des titres d'identité prévus, la récupération des armes encore détenues par les milices, une véritable réforme du secteur de la sécurité et un processus électoral crédible. La communauté internationale a évité à la Côte d'Ivoire de sombrer dans le chaos au cours de ces quatre dernières années et doit maintenir intact son engagement militaire, politique et financier. L'évolution du processus de paix ne doit pas être dictée par les seules ambitions des deux signataires de l'Accord de Ouagadougou mais aussi par l'objectif de la construction d'une paix durable en Côte d'Ivoire qui est cruciale pour la stabilité de toute l'Afrique de l'Ouest.
L'espoir est revenu en Côte d'Ivoire lorsque les Ivoiriens ont vu Guillaume Soro, le leader des Forces nouvelles (FN), devenir Premier ministre aux côtés du président Laurent Gbagbo qu'il avait tenté de renverser le 19 septembre 2002. La résolution 1721 du Conseil de sécurité (1er novembre 2006) avait prolongé la transition d'une nouvelle année après deux reports des élections présidentielles. Elle avait renforcé les pouvoirs du Premier ministre d'alors, Charles Konan Banny mais on pouvait deviner qu'elle connaîtrait le même sort que les précédentes. Déterminé à défendre ses pouvoirs, Laurent Gbagbo signifia immédiatement son intention de ne pas la respecter. Il avait son plan alternatif : le dialogue direct avec les FN, sous le parrainage du président du Burkina Faso, Blaise Compaoré, qui est aussi le principal soutien de l'ex-rébellion. Aidé par le président sud-africain Thabo Mbeki, Gbagbo a réussi à renouer les liens avec son homologue burkinabé et était désormais prêt à tout négocier, y compris la nomination de Soro comme chef de gouvernement, tant que cela lui garantissait la reconnaissance de tous ses pouvoirs présidentiels et faisait de lui le maître du jeu jusqu'à l'organisation des élections. Gbagbo a compris que l'impasse politique pourrait à terme menacer ses propres intérêts et a su tirer parti de la lassitude générale. Cela a accrû la pression sur Soro et les autres responsables des FN qui avaient besoin d'une porte de sortie qui préserverait leur influence dans une Côte d'Ivoire réunifiée. L'accord signé à Ouagadougou est davantage un compromis entre deux camps qui veulent une sortie de crise préservant leurs intérêts particuliers qu'un accord qui garantirait une paix durable. Il ne traduit pas une volonté d'abandonner les pratiques politiques qui ont conduit à la guerre. L'opposition politique héritière du régime d'Houphouet-Boigny apparaît plus affaiblie, mais elle a un rôle important à jouer pour donner une chance à une réelle sortie de crise. La collaboration entre Gbagbo et Soro devra survivre à l'épreuve du lancement des chantiers de l'identification des nationaux et électeurs et de la restructuration de l'armée. Le grand défi pour la survie de l'Accord de Ouagadougou sera alors de garder sous contrôle les tensions suscitées par les stratégies politiques antagonistes des deux hommes et des extrémistes de leurs camps respectifs. Le rôle du président Compaoré, nouvel arbitre, sera crucial à cet égard. Il faudra également surmonter les difficultés logistiques et financières inhérentes à la préparation des élections. Les partenaires extérieurs doivent aider le gouvernement ivoirien mais ne doivent pas devenir les complices d'un bricolage de l'identification, de la réforme du secteur de la sécurité et des élections. Il est notamment essentiel que le poste de Haut-représentant des Nations unies pour les élections soit maintenu afin d'apporter une crédibilité suffisante au processus. Même correctement mis en ?uvre, l'Accord de Ouagadougou ne suffira pas, à lui seul, à mettre fin à la crise politique qui a profondément divisé la société ivoirienne. C'est maintenant que les organisations de la société civile ivoirienne doivent également prendre leurs responsabilités, et ne pas laisser à nouveau l'avenir du pays dépendre de la soif de pouvoir d'une poignée de leurs concitoyens. RECOMMANDATIONS
Au président Laurent Gbagbo et au Premier ministre Guillaume Soro :
1. Veiller à la stricte application de l'Accord politique de Ouagadougou (APO), et faire du Cadre permanent de concertation (CPC) le lieu privilégié de la résolution des différends.
2. Solliciter l'appui de l'ONU et des partenaires extérieurs pour la réalisation satisfaisante des audiences foraines, de l'identification, du recensement électoral, du désarmement et de la réforme du secteur de la défense et de la sécurité.
Au Premier ministre et secrétaire général des Forces nouvelles (FN), Guillaume Soro :
3. Prendre des initiatives pour prévenir des divisions au sein des Forces nouvelles qui pourraient mettre en danger le processus de paix et engager un dialogue avec Ibrahim Coulibaly en vue du retour d'exil de ce dernier et de sa participation au processus de paix. Au Gouvernement de transition de Côte d'Ivoire:
Identification et processus électoral
4. Délimiter précisément dans un décret les missions et les responsabilités de chacune des institutions concernées par l'identification et le processus électoral, notamment la Commission électorale indépendante (CEI), l'Institut national de la statistique (INS), la Commission nationale de supervision de l'identification (CNSI), l'Office national de l'identification (ONI) et l'Opérateur technique privé chargé de l'identification. 5. S'assurer que la CEI et la CNSI disposent des capacités techniques nécessaires pour contrôler et superviser effectivement l'exécution des tâches confiées à l'INS, à l'ONI et à l'opérateur technique privé chargé de l'identification et solliciter la communauté internationale le cas échéant. 6. Conduire une campagne d'éducation civique des populations sur le déroulement des audiences foraines, de l'identification et de l'enregistrement sur la liste électorale sur la base d'un guide unique qui précisera les détails prévus dans l'APO. 7. Etablir un plan d'action pour la sécurisation des élections avec une évaluation des risques par circonscription.
Désarmement et restructuration des forces de défense et de sécurité. 8. Inscrire l'exécution du programme de désarmement, de démobilisation et de réinsertion (DDR) et l'unification des ex-forces belligérantes dans le cadre d'une réforme en profondeur du secteur de la défense et de la sécurité avec des objectifs à court, à moyen et à long termes. 9. Doter le Centre de commandement intégré (CCI) de tous les moyens logistiques nécessaires pour accomplir les tâches militaires et sécuritaires qui lui ont été confiées par l'Accord de Ouagadougou, en particulier pour :
(a) le déploiement de toutes les brigades mixtes pour sécuriser l'ex-zone de confiance ;
(b) la sécurisation des audiences foraines, de l'identification, du désarmement et de la démobilisation des ex-combattants et des miliciens ;
10. Prendre des mesures immédiates pour mettre fin aux situations d'exception créées par le contexte de conflit armé, notamment :
(a) le retour à une distinction claire des différents corps habillés par la redéfinition des missions et des chaînes de commandement respectives des forces armées, de la gendarmerie et de la police ; et le retour des soldats dans les casernes, (b) la dissolution du Centre de commandement des opérations de sécurité (CECOS) opérant dans l'agglomération d'Abidjan ; la suppression du gouvernorat militaire dans l'ouest du pays ; et le démantèlement des points de contrôle dans la capitale économique Abidjan et sur toute l'étendue du territoire.
Aux organisations ivoiriennes de la société civile :
11. Initier un dialogue national informel sous la forme d'une série de débats publics sur des questions de fond essentielles pour une sortie de crise, et préparer des questions à soumettre aux futurs candidats aux élections présidentielles, y compris sur les sujets suivants : (a) la loi foncière et le règlement des litiges fonciers au niveau local ;
(b) la justice de transition pour les atrocités commises pendant le conflit, y compris les violences sexuelles à grande échelle ;
(c) la nécessité d'une réforme constitutionnelle, y compris un réexamen de l'équilibre des pouvoirs ;
(d) la culture de violence dans le milieu scolaire et universitaire ;
(e) la gestion de l'héritage historique du pays en matière d'immigration ; et f) la redéfinition des rapports de la Côte d'Ivoire avec les pays voisins, la CEDEAO et la France.
A l'opposition politique non-armée :
12. participer à l'éducation civique de leur électorat en vulgarisant les dispositions de l'APO, appeler leurs militants à s'abstenir de tout usage de la violence avant, pendant et après la campagne électorale et indiquer les réformes qu'ils entendent mettre en ?uvre en cas de victoire électorale. Au président du Burkina Faso, Blaise Compaoré :
13. recourir autant que possible au Cadre permanent de concertation (CPC) pour garantir la transparence et l'impartialité dans l'exercice de son rôle d'arbitrage dans la mise en ?uvre de l'APO, 14. ouvrir la participation aux travaux du Comité d'évaluation et d'accompagnement (CEA) aux représentants de la CEDEAO, de l'UA et de l'ONU, ainsi qu'aux partenaires extérieurs impliqués dans le financement du programme gouvernemental de sortie de crise. Au Conseil de sécurité de l'ONU :
Mandat et effectifs de l'ONUCI
15. renouveler pour une durée d'un an le mandat de l'Opération des Nations Unies en Côte d'Ivoire (ONUCI) tel que défini par la résolution 1739 (2007) et autoriser les missions additionnelles conformément aux recommandations du rapport du Secrétaire général de l'ONU (14 mai 2007), notamment l'appui au Centre de commandement intégré, le déploiement des forces de l'ONUCI sur les postes d'observation sur une ligne verte dans l'ex-zone de confiance et le renforcement de la présence de l'ONUCI dans l'ouest, 16. maintenir intacts les effectifs actuels de la force de l'ONUCI et de la Force Licorne, souligner qu'aucun retrait graduel ne sera envisagé avant l'organisation satisfaisante des élections présidentielles et législatives, réaffirmer que les forces impartiales de l'ONUCI et de l'Opération Licorne doivent protéger les civils en danger immédiat de violence physique et doivent conserver toute leur liberté d'initiative et de mouvement pour s'acquitter de cette mission, 17. renouveler le mandat de la Force française Licorne tel que défini par la résolution 1739 (2007). Sanctions et embargo. 18. maintenir le régime des sanctions individuelles tel que prévu par la résolution 1572 (2004), de même que la liste actuelle des personnes concernées, et affirmer que de nouvelles sanctions ciblées pourront être prises en cas d'obstruction au processus de paix, 19. Conserver intact le régime de l'embargo sur les armes aussi longtemps que la situation sécuritaire en Côte d'Ivoire sera fragile. Mécanisme de suivi
20. Transformer le Groupe de travail international (GTI) en un Groupe d'accompagnement de la transition en Côte d'Ivoire, ouvert aux membres actuels du GTI, et dont la mission serait de :
(a) suivre la mise en ?uvre de l'Accord de Ouagadougou et aider le gouvernement ivoirien à mobiliser l'aide internationale ;
(b) veiller au bon déroulement de la préparation des élections conformément aux dispositions de l'APO ; et
(c) aider le gouvernement à lancer des réformes indispensables au retour à une stabilité durable, en particulier la réforme du secteur de la sécurité et de l'administration publique.
Processus électoral . 21. Renouveler le mandat du Haut-Représentant pour les élections (HRE) tel que défini par la résolution 1721 (2006), à savoir un rôle de certification des étapes du processus électoral, y compris la coordination des observateurs internationaux, et un mandat d'arbitrage en matière électorale qui serait exercé en liaison avec le président Blaise Compaoré. 22. Demander à la Division électorale de l'ONUCI d'apporter l'assistance technique nécessaire à la Commission électorale indépendante (CEI) conformément à la résolution 1739 (2007). 23. Demander à la police et à la force de l'ONUCI d'assister à l'élaboration et à la mise en ?uvre d'un plan d'action pour la sécurisation des élections.
Au Gouvernement français
24. Maintenir les effectifs et la capacité de réaction rapide de l'Opération Licorne en soutien à l'ONUCI au moins jusqu'à la fin du processus électoral. À l'Union européenne, la Banque mondiale, le Fonds monétaire international, la Banque africaine de développement et les partenaires bilatéraux :
25. Apporter rapidement l'assistance financière et technique nécessaires au gouvernement pour appuyer l'exécution de toutes les opérations prévues par l'APO.



Dakar/Bruxelles, 27 juin 2007

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