samedi 23 juin 2007 par Nord-Sud

Des drames de l'immigration encore et toujours. Pas une semaine ne passe, sans que les médias européens n'en fassent écho dans leurs éditions. Des victimes échouées en mer ou sur les côtes à quelques encablures de l'Espagne ou de l'Italie. D'autres torturées par la faim et la fatigue dans des déserts arides et hostiles.

Mais ailleurs, comme dans ces centres de demandeurs d'asile de Belgique, se joue un drame d'un autre genre, dont on ne parle pas assez. Reportage.









Dimanche 17 juin, il est 15h. Le boulevard du Midi, à Bruxelles, situé à un jet de pierre de la principale gare ferroviaire éponyme, est noir de monde. Entre cinq et neuf mille personnes, à l'appel de syndicats et Ong belges, se sont donné rendez-vous en cet endroit, en plein c?ur de la ville. Objectif : participer à la manifestation nationale en faveur des sans-papiers du pays, estimés à environ 200.000.

De 15h et 17h, les manifestants ont battu le pavé, depuis les environs de la gare de Midi, jusqu'à la gare du Nord ; réclamant à cor et à cri, des critères clairs pour la régularisation des sans-papiers. Au nombre des marcheurs, plusieurs centaines de demandeurs d'asile, parqués dans les centres gérés par la Croix rouge ou la Fedasil (Agence fédérale pour l'accueil des demandeurs d'asile) disséminés à travers le royaume.

Ils sont majoritairement originaires du continent africain et ont quitté leurs pays depuis des mois, voire des années à la recherche d'un bonheur improbable. Ils se retrouvent presque prisonniers dans ces centres d'accueil pour demandeurs d'asile, sans moyens d'en sortir librement et de surcroît menacés à tout moment de rapatriement.

Ce dimanche-là, la plupart d'entre eux sont venus témoigner leurs misères, leurs souffrances qu'ils endurent en silence, désespérant presque d'être régularisés un jour.

Youssouf D., d'origine sénégalaise, sort visiblement à peine de l'adolescence. Agé de 18 ans, ce jeune homme à la longue silhouette, visage d'ancien boxeur, est un inconditionnel du rappeur américain Snoop Doggy Dogg et du pays de l'oncle Sam dont il rêve à tout instant de fouler le sol. Mais avant, il lui faut affronter la rude épreuve de la procédure de demande d'asile qu'il a débutée depuis quelques mois. Au fil des jours et des semaines, monologuant sans arrêt, il s'estime pris dans un énorme piège auquel il ne s'attendait pas, en quittant sa ville natale.

Comme lui, ils sont des centaines d'Africains et principalement originaires des points chauds du continent ou jugés comme tels, notamment la République démocratique du Congo (RDC), la Guinée ou encore la Côte d'Ivoire. D'après les statistiques du Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides (Cgra), au titre de l'année 2006, cinq pays africains figurent dans le top 10 des plus gros contingents. Il s'agit respectivement de l'Angola, la RDC, la Guinée, la Côte d'Ivoire et le Rwanda.

Toutes ces personnes ont un point commun : elles racontent à qui veut les entendre avoir fui leurs pays pour échapper à des persécutions de toute nature, à des guerres et à d'autres formes de menace. Elles se retrouvent par conséquent au pays du roi Baudouin à demander l'asile. C'est le seul moyen de ne pas basculer de facto dans l'illégalité, en arrivant dans ce pays d'Europe.

Mais depuis le 1er juin 2007, la donne a changé: la Belgique, à l'instar des autres pays européens de l'espace Schengen a fortement durci sa loi relative à la demande d'asile.





La Côte d'Ivoire, la Guinée et la RDC dans le top 10





Chaque matin, du lundi au vendredi, ce sont des dizaines de personnes, baluchon en main, seul ou avec femmes et enfants qui se massent aux portes du 8 boulevard du Roi Albert II à Bruxelles, siège de l'office des étrangers. Dans la foule, des Africains bien sûr, mais aussi ceux qu'on surnomme ici péjorativement les faux Blancs, entendez par-là, les originaires des pays comme la Russie, la Turquie, la Syrie, l'Iran, le Liban, la Palestine, pour ne citer que ceux-là. Durant toute la journée, les fonctionnaires de l'office, des policiers en civil vont relever les empreintes digitales des candidats, leur identité (pour déterminer leur nationalité réelle) et faire des photos. Au terme de cette première procédure, une attestation de déclaration leur est délivrée, pendant que des employés de la Croix rouge et de Fedasil leur octroient des billets aller simple à destination d'un centre d'accueil. La Belgique compte une vingtaine de centres d'accueil au nombre desquels une dizaine gérée par la Croix rouge et situés à plus d'une heure et demie de train de la capitale, Bruxelles. Ces centres ont une capacité de 2025 places et sont pleins aux trois quarts. Les trois plus importants, en terme de capacité sont Yvoir, Fraipont et Nonceveux, avec respectivement 375, 320 et 243 lits.

S. Fofana, Ivoirien, réside au centre de Hotton depuis plus d'une année. Dans ce centre, on procure à la centaine de pensionnaires (toutes nationalités confondues) de quoi (sur)vivre: nourriture, chambre collective, activité ludique, aide matérielle, encadrement social et suivi médical Les conditions de vie ici ne sont pas aussi exécrables, en comparaison des centres ouverts de l'île de Malte. Où les conditions d'hygiène demeurent indescriptibles, avec en prime la surpopulation, la malnutrition et l'insalubrité. Dans ces centres-ci, on distingue deux catégories de résidents: ceux qui sont heureux d'avoir quitté leurs pays et qui sont désormais à l'abri de toute forme de menace, nourris, logés ; et la majorité, les Africains qui rêvaient de vite obtenir leurs titres de séjour, gagner leur vie décemment et se faire de l'argent qu'ils enverront à leurs familles restées au bled et qu'ils y investiront. Dans les faits, rien de toutes ces prévisions d'ingénu. La réussite européenne s'est muée en miroir aux alouettes.

Les jours se suivent et se ressemblent pour S. Fofana originaire de Mankono. Et la longue attente devient de plus en plus intenable. Comme lui, ils sont tous obligés de rester cloisonnés dans leurs centres, suspendus à une décision (favorable ou défavorable) du Cgra.

Avant le 1er juin 2007, les candidats qui ont été enregistrés étaient convoqués quelques jours plus tard (parfois moins d'une semaine après leur arrivée) pour une interview qui permettait à l'office de déterminer si les arguments avancés sont recevables ou non. En cas de recevabilité, il leur est délivré la fameuse carte appelée carte orange. Grâce à ce véritable sésame, le candidat veinard est autorisé à quitter son centre d'accueil, en attendant d'être convoqué à une date ultérieure par le Cgra, pour le débat de fond. Pendant ce temps, l'Etat belge consent, grâce à ce nouveau statut, à lui octroyer une somme de 600 euros (environ 393.00Fcfa) dont le versement est conditionné par la location d'un logis dans n'importe quel endroit du pays. En outre, avec cette carte orange, il peut postuler à un emploi et circuler librement en Europe. Provisoirement.





De très longs mois d'attente sans succès





Quant aux autres dont les demandes n'ont pas été jugées recevables à la première audition, ils doivent tranquillement ronger leur frein dans leurs centres en attendant d'être éventuellement convoqués par le Cgra à une date imprécise. Ça peut prendre des mois ou des années, indique Julien, la quarantaine, d'origine béninoise. En attendant, vous n'êtes autorisé à sortir du centre que 10 jours dans le mois, sans pouvoir quitter le territoire, précise-t-il. Mais où aller, quand on n'a pas de parents, amis ou connaissances dans le royaume belge, et avec quels moyens ?

Pour tuer l'oisiveté, il est proposé, dans les centres, de petits contrats de travail d'une semaine aux pensionnaires, à tour de rôle, pour des revenus n'excédant pas 50 euros (environ 33.000 Fcfa), par mois. C'est une faveur qui leur est faite, indique un responsable de la Croix rouge, étant entendu que les quatre euros (environ 2.600 Fcfa) hebdomadaires demeurent dérisoires, par rapport aux besoins des résidents. Qui ont reçu, dès leur arrivée, des consignes, au nombre desquelles, une interdiction formelle de travailler à l'extérieur.

Au fil des années, les demandeurs affluent et les autorités belges commencent à être débordées par ces flots continuels de demandeurs d'asile, dont les cas s'ajoutent aux autres sans-papiers ordinaires (regroupement familial, immigrés clandestins) résidant dans le pays. Ils ont entre 18 et 40 ans. Parmi eux on retrouve des étudiants, des chômeurs, des commerçants, des ouvriers et un nombre infirme de cadres.

Depuis le 1er juin dernier, la Belgique a élaboré une nouvelle procédure qui permet de traiter au plus vite les demandes qu'elle reçoit, en simplifiant la procédure. Désormais, les demandeurs, une fois enregistrés, ne passent plus de première interview à l'office. Passée l'étape des formalités habituelles, ils remplissent des fiches qui permettent de déterminer leur origine avec un résumé des raisons pour lesquelles ils se retrouvent au pays du roi Baudouin. Les personnes qui ont déjà formulé des demandes dans un autre pays européen, sans succès sont vite repérées, grâce à leurs empreintes digitales. Immédiatement mises aux arrêts, elles sont conduites dans un centre fermé, en attendant d'être reconduites dans leurs pays d'origine, solidement menottées. Quant aux autres, primo demandeurs, ils sont dirigés, comme à l'accoutumée, vers les centres d'accueil, dans l'attente d'être convoqués pour le débat de fond au CGRA, une structure qui dispose de 450 agents. Devant cette instance, le requérant doit être à même de fournir toutes les preuves qui justifient sa demande d'asile. A ce stade ultime de la procédure, il faut être cohérent dans ses dires, précis et surtout convaincant. En arrivant dans les centres, le personnel de la Croix rouge nous a prévenu qu'il est difficile d'obtenir l'asile et qu'il faut mettre toutes les chances de son côté en ayant une histoire solide avec des preuves irréfutables, raconte Jacques, la trentaine originaire de l'Ouest de la Côte d'Ivoire. Devant cette difficulté, nombreux sont ceux qui sont tentés, sous la pression, de chambouler leurs récits, à la recherche de mésaventures pitoyables qui pourraient attendrir les agents. Sylla, originaire de la Guinée et maçon de son état est de ceux-là. Il a débarqué au centre d'Yvoir avec une histoire simple : il avait fui les violences politiques qui ont secoué le pays de Sékou Touré, au début de cette année, recherché par les forces de l'ordre pour sa prétendue participation aux troubles sociopolitiques. Mais une fois dans le centre, ses camarades à qui il s'est ouvert, lui ont rétorqué que son récit était trop simpliste et commun à tous ces nombreux Guinéens qui demandent l'asile depuis quelques mois à Bruxelles. Alors, il lui faut trouver quelque chose d'original qui cadre avec les textes de la convention de Genève, régissant la demande d'asile. Des jours de réflexion et eurêka. Il a trouvé un argument en béton : il ira raconter au Cgra qu'il est fils d'un imam et qu'il a refusé de faire des prières de bénédiction pour l'actuel homme fort de Conakry, dont la santé est au fil des jours vacillante. A cause de cet outrage, il est menacé de mort. Joël, originaire du Cameroun, lui, a sa petite idée derrière la tête : il racontera qu'il est homosexuel et pour cela, il est rejeté par la société, où il peut à tout moment être lynché à mort. La question de l'homosexualité n'a t-elle pas défrayé la chronique dans son pays, il y a quelques mois ? Autre demandeur, autre histoire : Yves, lui, a choisi de justifier sa demande par le fait qu'il est un ex-sorcier dans son pays, l'Ouganda. Il a eu à manger des êtres humains, en sorcellerie. Repenti, il ne peut plus y vivre de crainte d'être mis à mort à tout moment par des parents de victimes vindicatifs. Enfin, Mariétou la vingtaine, native de Mamou en Guinée et portant une grossesse de sept mois. Elle passe son temps à pleurer. Elle ne sait même pas ce qu'elle dira devant les agents, lorsqu'elle sera interrogée, s'apitoie un de ses compatriotes. La jeune dame est arrivée à Bruxelles les conseils de son ami commerçant faisant la navette entre Conakry et Dubaï. Son beau-frère, célibataire qui ne peut pas s'occuper d'elle l'a gentiment conduit à l'office pour qu'elle tente, elle aussi, sa chance.

Mais comment prouver formellement toutes ces histoires aussi rocambolesques les unes que les autres. Et c'est là où le bât blesse. Les agents de la commission, en bons connaisseurs des dossiers des différents pays d'où affluent les candidats se révèlent aussi de redoutables contradicteurs, détecteurs de mensonges les plus sophistiqués ou les plus grossiers. Et pour cause, tout demandeur d'asile est d'emblée frappé de suspicion quant à la véracité de ses dires. Par le passé, des faits tangibles ont permis aux agents du Cgra de douter de tous ceux qui se présentent devant eux. Certains demandeurs usurpent la nationalité d'un pays reconnu comme étant en crise ou tout simplement sont des candidats à l'immigration qui ne croient en leur régularisation que par le canal de l'asile. Les fonctionnaires du Cgra sont très malins, et c'est pour cela qu'il faut bien préparer ses arguments avant de se retrouver devant eux, conseille un demandeur d'asile débouté.





Sorciers ou homosexuels d'un jour





Dans les centres, les langues se délient et des anecdotes fusent. On raconte qu'aux heures chaudes de la crise ivoirienne, de nombreux ressortissants d'Afrique de l'Ouest n'hésitaient pas à se faire passer pour des Ivoiriens. Ou pour des Congolais, pendant les périodes tourmentées de la RDC. Pour confondre les usurpateurs, ils sont soumis durant des heures à des rafales de questions aussi déroutantes les unes que les autres. Tu affirmes avoir habité la commune de Yopougon, avant de venir en Belgique. Qui est le maire de cette commune? Si tu es Ivoirien, alors chante nous l'hymne national de ton pays, entend-on souvent au Cgra. Parfois, ce sont des photos de personnalités influentes de partis politiques dont les demandeurs se disent membres ou sympathisants qui leur sont brandies et auxquelles il faut placer des noms. Pour quelqu'un qui n'est pas du pays ou qui en a une idée assez vague, il est difficile de reconnaître certains visages. Le leader du Rdr (Rassemblement des républicains), peut être facilement identifié de tous, Ivoiriens ou non. Mais pour Gueu Dro, le seul communiste qui reste en Côte d'Ivoire, ce n'est pas évident. Résultat : des refus à la pelle. Au Cgra, on parle de près de 90% de demandes qui seront rejetées. Dans ce cas, chaque postulant reçoit par lettre recommandée son résultat négatif, accompagné d'un avis de quitter dans les plus brefs délais le territoire belge. Il faut donc partir, mais où ? Débute alors une autre phase, une autre période, celle de la clandestinité dans le pays, pour certains, avec son lot de galères. D'autres décideront de tenter une seconde chance dans un autre pays de l'espace communautaire européen, où la circulation entre les frontières est moins contrôlée. Les plus malheureux sont ceux qui n'ont aucun parent ni contact en Europe. Et même quand c'est le cas, il n'est pas sûr d'être le bienvenu chez le cousin ou l'ami de longue date peu enclin à vous accueillir, lui-même tirant le diable par la queue, ou subsistant difficilement. Devant la détresse de ces centaines de personnes, la Fedasil se propose d'aider financièrement tout candidat débouté qui souhaite volontairement retourner dans son pays. Avant que l'administration ne se charge de l'y contraindre, par un arrêté de reconduite à la frontière. Avec cette aide, il pourra monter un projet modeste à même de lui assurer la pitance quotidienne. Mais les candidats à cette aide ne se bousculent pas. Il n'y a pas d'autre alternative, affirment les demandeurs en ch?ur. Il n'est pas question de retourner au bercail. C'est vrai que ça ne va pas ici, mais on espère qu'un jour ça ira, lance Joël, l'homosexuel de circonstance. En attendant, les parents restés au pays ne se doutent de rien, pour la plupart. Ces tristes conditions de vie ne sont pas faciles à leur raconter au téléphone. L'espoir reste alors le seul moyen de braver les épreuves inattendues de l'exil, au risque d'être rongé par la dépression et sombrer.









Karim Wally, Envoyé spécial à Bruxelles

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