samedi 23 juin 2007 par Notre Voie

Dans la série télévisée Mon village? de la RTI Première chaîne, Suzanne Singo, connue sous le nom de Dent de Man, attaque l'agriculture. Dans cet entretien accordé à Notre Voie, elle aborde, sans faux fuyants, des sujets comme foncier rural, le travail des enfants dans les plantations villageoises, etc. Parce que, dit-elle, il y a un lien entre l'agriculture et moi ?. Notre Voie : La plupart des artistes dans le monde choisissent des pseudonymes. C'est certainement votre cas puisqu'on vous connaît sous le nom de Dent de Man. Disons que ce nom un peu original rappelle les patronymes indiens. D'où vient votre sobriquet Dent de Man ?
Suzanne Singo : Quand j'ai intégré l'équipe de Léonard Groguhet, je changeais constamment de nom. Tantôt je m'appelais La Blanche, tantôt c'était Madeleine. C'est John Acka, un cadreur, qui me demanda un jour de quelle région je venais. Je lui ai dit que j'étais de Man. Alors, il m'a surnommée Dent de Man en allusion à une montagne de Man appelée Dent de Man. Et puis, c'est parti. Je représente ma région. N.V. : On ne le voit pas bien dans vos prestations parce que les ressortissants de Man, et donc de l'Ouest de la Côte d'Ivoire, sont connus pour leur vigueur dans les actions. On vous sent quelquefois bien modérée, quelquefois même trop calme. S.S. : Moi ! Mais vous me lancez des fleurs parce que beaucoup disent que les femmes de Man sont en général beaucoup sobres et moi, je suis un peu bouillante. Mais heureusement, ce qu'on voit, ce ne sont que des rôles de personnages de films. Je dois le reconnaître, je suis de nature timide mais cette timidité ne veut pas dire qu'on doit se permettre de marcher sur ma plate-bande. N.V. : C'est le propre des gens de l'Ouest parce que, dit-on, on ne vous marche pas sur les pied?
S.S. : Voilà ! Parce que si vous marchez sur ma plante-bande, je vais monter sur mes grands chevaux. Alors, j'observe et j'agis.
N.V. : Vous voulez dire par exemple que vous vous dressez quand une femme convoite votre mari ?
S.S : Oh ! Vous savez, le mari n'est pas à l'ordre du jour dans mon programme. (Rire). A mon âge, quand je parle de plate- bande, je parle de mon travail. N.V. : Parce qu'il arrive qu'à ce niveau-là aussi, certaines personnes pensent à vous enlever votre pain ?
S.S. : Oui ! Le milieu des artistes est un milieu très pourri. Il est rempli de gens qui ne sont pas honnêtes. N.V. : Dent de Man est connue pour son humour. Mais depuis un certain temps, vous vous intéressez aux sujets qui ont trait à l'agriculture. Notamment le foncier rural, le travail des enfants, etc. Pourquoi cette attention pour le monde paysan ?
S.S. : Il y a un lien entre l'agriculture et moi. Je suis née sur une feuille de bananier avant qu'on ne m'amène à l'hôpital. Mes parents sont paysans. J'ai grandi dans un milieu agricole. Quand je quittais l'école les fins de semaine, je partais au champ. Je parcourais les champs de riz, de manioc, de cacao et de café de mes parents. Disons que je m'y connais un peu en agriculture. Alors, je me suis dit que c'est un terrain encore vierge qu'il faut exploiter. Parce que la Côte d'Ivoire, ce n'est pas seulement Abidjan. La Côte d'Ivoire, c'est aussi le nord, le sud, l'est et l'ouest. Ce sont les hameaux les plus reculés. La Côte d'Ivoire, c'est aussi le pays profond. N.V. : A-t-il été aussi facile pour vous de rencontrer le milieu qui a tant marqué votre existence ?
S.S. : Cela fait pratiquement 7 ans que j'ai commencé à réfléchir à ce projet. C'est seulement maintenant que j'ai pu réaliser, grâce au CNRA (Centre national de recherche agronomique), un téléfilm qu'on appelle. Mon village? qui passe le vendredi à 21h30 sur la Première. Je me dis qu'on a assez sensibilisé le monde citadin, il faut maintenant sensibiliser nos parents paysans qui sont au village et qui sont, en majorité, des analphabètes entre guillemets. C'est eux qui ont besoin de beaucoup d'images. Parce qu'en utilisant les images, on peut mieux les sensibiliser sur l'agriculture dont on dit qu'elle a permis le développement de la Côte d'Ivoire.
N.V. : Pourquoi estimez-vous que le monde paysan a besoin d'être sensibilisé pour l'agriculture qu'il pratique aisément tous les jours ?
S.S. : J'ai l'impression qu'il y a un déficit de communication en direction du monde paysan. Dans les filières, il y a beaucoup de palabres parce que simplement les gens ne se comprennent pas. L'information ne passe pas. Quand vous regardez la télé ou quand vous écoutez la radio, avez-vous l'impression qu'on sensibilise effectivement comme il faut le monde paysan ? Je réponds non. Et j'interpelle pour cela le gouvernement qui est prêt à débourser de l'argent pour financer des campagnes où les gens vont se promener mais qui n'est pas capable d'en faire autant pour qu'on sensibilise véritablement les paysans sur le travail de la terre, sur le domaine foncier rural. Je suis désolée, mais c'est ça la vérité. N.V. : Pourquoi pensez-vous qu'avec un film, vous pouvez atteindre votre objectif ?
S.S. : Vous savez, tout ce qui sort de la bouche d'un politicien fait mal quelque part. Mais nous, les artistes, nous sommes des agents du développement. En tant que tels, dans cette réconciliation avec l'humour, on peut dire certaines choses qui, peut-être, peuvent choquer si c'est un politicien qui le dit. On n'insulte personne. Les gens comprennent mieux ce que nous disons avec beaucoup d'humour. Vous savez, le problème du foncier rural est très important. Mais demandez dans votre région si un député est allé un jour sensibiliser les populations sur la loi qui a été votée à ce sujet. Combien de chefs traditionnels, combien de rois ont été impliqués dans la recherche de solutions aux problèmes du foncier rural ? Et pourtant, c'est eux qui vivent permanemment avec ces problèmes-là. N.V. : Dans les causes de la guerre faite à la Côte d'Ivoire, le foncier rural y figure en bonne place. Ne pensez-vous pas que le foncier rural est un sujet somme toute dangereux ?
S.S. : Si, c'est effectivement un sujet dangereux, mais il faut l'expliquer aux populations concernées. Et c'est ce que j'essaie de faire avec l'humour. Malheureusement sans l'aide de personne. Dans tous les ministères de Côte d'Ivoire, les sociétés d'Etat concernées par les choses de la terre ou les problèmes de l'enfant, de la famille, etc., c'est la même chanson : On n'a pas d'argent. Vous voyez, il y a eu la guerre et on n'a plus d'argent. Mais nous savons que le problème du foncier rural est crucial?. J'interpelle donc le gouvernement parce que le problème du foncier rural est très important. C'est un sujet dont les artistes doivent parler. Il faut que le gouvernement explique le contenu de cette loi pour que nous aussi, nous nous basions dessus pour la sensibilisation des populations rurales. N.V. : Vous le faites déjà si bien dans votre téléfilm Mon village?
S.S. : Moi, je montre seulement les faits. Je dis, voilà dans tel village, il y a un conflit. Comment ce conflit a commencé. Par exemple, dans le sujet que je traite, un monsieur a vendu sa plantation à un Burkinabé. Et le vendeur et l'acheteur sont morts. Aujourd'hui, ce sont les héritiers qui sont en conflit. L'équation est très difficile à résoudre. Le Burkinabé qui était là depuis des années est mort. Son enfant est né là. Comment peut-on régler cette affaire ? Comment les propriétaires terriens peuvent-ils un jour récupérer leur terre ? Et nous, dans le téléfilm, nous interrogeons les chefs traditionnels et nous allons trouver une solution à ce problème. Aujourd'hui, ce film est regardé partout en Côte d'Ivoire, et nous sommes convaincu qu'il peut avoir un impact certain sur les comportements aussi bien individuels que collectifs des populations ivoiriennes. N.V. : Comment concevez-vous le travail des enfants dans les plantations ivoiriennes puisque vous touchez un peu ce thème ?
S.S. : Quand un petit blanc qui va à l'école revient à la maison, ses parents lui achètent un ordinateur. Ses mêmes parents lui montrent comment il doit l'utiliser. Ils l'initient à l'Internet pour développer son intelligence. Qu'est-ce que, nous, Africains, devrions dire du travail de ces enfants blancs ? Chez nous en Afrique, aller au champ, c'est cela notre Internet. C'est notre ordinateur, notre outil informatique, notre machine. Le travail de la terre, comme je le montre dans ma série télévisée, se fait ainsi de père en fils, ou de mère en fille comme nous l'enseigne notre culture. Demandez à Laurent Gbagbo, président de ce pays, s'il n'a jamais accompagné son père au champ quand il était petit. Aller au champ est dans nos m?urs, dans nos coutumes. C'est notre culture du développement. Envoyer un enfant au champ pour voir comment ses parents travaillent, est une bonne éducation. Vous voyez, de nos jours, nos enfants sont impolis parce qu'ils ne vont pas au champ. Mais il faut faire une différence entre ceux qui font venir des enfants de chez eux et qui les font travailler dans leurs champs. Ceux-là ne sont pas des Ivoiriens. Il suffit de lire les journaux ou de regarder la télé pour s'en convaincre. C'est même une mauvaise presse qui est faite à la Côte d'Ivoire quand on l'accuse d'utiliser les enfants dans ses plantations de cacao ou autres. Malheureusement, je ne peux pas tout expliquer dans mon film par manque d'argent. N.V. : Le disant de la sorte, est-ce que vous n'apportez pas de l'eau au moulin de ceux qui disaient, avant la crise que nous connaissons, que les Ivoiriens sont xénophobes ?
S.S. : Dans Mon village?, il y a des autochtones, il y a des allochtones et des allogènes. C'est un village d'intégration. Et cela, je ne l'ai pas inventé. Allez dans les villages du sud, de l'est, de l'ouest ou du nord de la Côte d'Ivoire, il y a toujours des étrangers qui vivent en parfaite harmonie avec tout le monde. Ils ont leurs problèmes entre eux qu'ils règlent entre eux. Ce sont les politiciens qui nous mélangent. Sinon, il n'y a aucun problème de xénophobie en Côte d'Ivoire. Et c'est ce que je tente de montrer dans ma série télévisée
Mon village?. N.V. : Pourquoi avez-vous choisi le CNRA pour réaliser votre téléfilm?
S.S. : J'ai choisi le CNRA pour m'accompagner parce qu'il est en agriculture comme la maman. C'est elle qui conçoit l'enfant, porte la grossesse et qui accouche. Dès cet instant, on dit : Voilà l'enfant. Il est à tout le monde?. Aujourd'hui, le CNRA est au stade de 24 cultures. Je parle du manioc, je parle du cacao, du café, du palmier à huile, etc. je suis allée voir les responsables du centre de recherche pour leur présenter mon projet et ils ont dit : On a besoin de sensibiliser nos braves paysans, alors on accepte?. C'est comme cela qu'on travaille ensemble en collaboration ou en partenariat. N.V. : Comment le CNRA juge-t-il vos productions ?
S.S. : Disons que le CNRA est satisfait parce que quand vous regardez ma série, il est toujours présent. Mais ce n'est qu'un partenariat. C'est d'ailleurs pourquoi je souhaite avoir un gros sponsor pour moi.


Interview réalisée par Robert Krassault ciurbaine@yahoo.fr

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