vendredi 22 juin 2007 par Nord-Sud

Auteur de L'ouvrage Laurent Gbagbo, c'est le plus difficile qui est le chemin, Cheik Koureyssi Ba se dévoile aux lecteurs de Nord-Sud Quotidien.



? Avocat au barreau de Dakar, que faites-vous actuellement à Abidjan?

Je suis avocat et inscrit au barreau du Sénégal. Ce qui n'est pas exclusif de la possibilité d'exercer ma profession ici-même à Abidjan. A cet effet, je suis ici pour les besoins de deux dossiers extrêmement difficiles que des Ivoiriens m'ont fait l'honneur de me confier.



? Des dossiers sur la crise ?

Nullement. Mais leur traitement n'a pas échappé à cette crise. En tout état de cause, de très graves irrégularités et violations du droit -ce qui est inhérent à toute crise - ont fait que les procédures avaient été mal ficelées. Nous sommes en train de repartir de zéro. Ce sont des dossiers assez sensibles sur lesquels vous me permettrez de ne pas trop m'étaler.


? Quelle est au moins leur nature?

Ce sont des dossiers civils. Ils n'ont absolument rien de politique.





? On s'étonne de votre parti pris flagrant pour le camp présidentiel ivoirien en lisant votre ouvrage co-écrit avec Mamadou Wade Laurent Gbagbo, c'est le chemin qui est le plus difficile. Pourquoi cette option pour l'observateur avisé que vous êtes ?

C'est cela l'intérêt d'un livre. La critique est ouverte et libre. Je m'incline devant ce jugement. J'assume cette position que j'ai adoptée avec tout ce que cela comporte comme conséquence. Dans la vie politique, les choix sont obligatoires. Tout choix est déchirant, mais l'essentiel c'est d'agir en conformité avec les principes auxquels on croit. Ce principe doit guider votre action en tout temps et en tout lieu.





? Le problème est qu'on ne voit nulle part dans l'ouvrage la responsabilité de Laurent Gbagbo dans la crise que traverse la Côte d'Ivoire. Voulez-vous insinuer qu'il est blanc comme neige ?

Ecrire c'est choisir. Avant moi, plusieurs auteurs ont écrit. Moi, je choisis le sillon qui est le mien en parfait accord avec mon co-auteur. On peut lire de diverses façons et avoir plusieurs interprétations. Le journaliste politique peut avoir une appréciation qui n'est pas celle du militant. Je pense qu'il ne faudrait pas trop réduire la portée de ce livre. Nous avons fait un développement sur la société civile, sur la renaissance africaine. Cela veut dire que nous sommes allés même au-delà de la crise ivoirienne. Pour la responsabilité personnelle des uns ou des autres, l'histoire se chargera de l'établir. J'avais dit que c'était un livre de combat, mais je pense plutôt que c'est un livre de clarification. Cela aurait été malhonnête de ma part d'écrire que Laurent Gbagbo n'a aucune responsabilité dans la crise. Là, n'était pas l'objet de mon livre. Je me place dans la position de l'intellectuel noir africain et africaniste qui a l'impression que le continent continue d'être martyrisé, violé quotidiennement. Pour moi, la Côte d'Ivoire n'est qu'un cas parmi tant d'autres. C'était là, mon angle d'approche et non mettre la pommade sur Laurent Gbagbo.





? On sent que vous souscrivez pleinement au combat nationaliste de Laurent Gbagbo que beaucoup d'Ivoiriens jugent rétrograde ?

Oui, je souscris à tout combat nationaliste quel qu'il soit.





? Finalement on s'interroge quelles sont vos motivations profondes en écrivant ce livre ?

Ces motivations ont été spécifiées dès l'entame de l'ouvrage. C'était un livre de clarification puisque les gens ne comprenaient pas ce qui se passait en Côte d'Ivoire. Il était bon qu'on leur explique les vrais ressorts de cette guerre. On voulait remplir une mission d'alerte. Les gens sont tapis en réalité dans l'ombre et tissent les ficelles des conflits entre les vaillants fils d'Afrique. Et les bénéficiaires des conflits c'est eux. Dans ce cadre, vous devez pardonner à deux intellectuels africains d'avoir donné en toute modestie leur lecture de la situation.





? D'aucuns pensent que vous avez écrit pour faire plaisir à un ami, à un client, puisque en 1992 vous étiez parmi les avocats de Laurent Gbagbo lors du fameux procès après la marche du 18 février.

Nullement, sinon j'aurai écrit un ouvrage dithyrambique, en plus j'aurai été seul à l'écrire. Mon co-auteur ne connaît pas Gbagbo, donc ce serait grave de tirer de telles conclusions hâtives. Mais en tout état de cause, je vous permets cette appréciation qui est celle d'un homme libre. Je voulais vous rassurer qu'il n'était pas question de faire plaisir à un client que j'ai eu le plaisir de défendre en tant qu'avocat, il y a quinze ans de cela. Comprenez que moi-même je suis un homme politique, j'ai de grandes ambitions pour mon pays le Sénégal. Sauf décision divine contraire, je pense que je suis sur la bonne voie.





? Quelle est donc la nature de vos relations avec Gbagbo ?

Aujourd'hui comme hier, nos relations n'ont pas changé. Il y a une estime réciproque. De ma part, un soutien indéfectible tout à fait naturel. Mais sans plus. Ce sont les mêmes relations de fraternité qui m'unissent à beaucoup d'autres Ivoiriens. Et surtout à mon confrère Boga Doudou, l'homme par qui j'ai découvert la Côte d'Ivoire.





? On a du mal à comprendre la distance qui vous sépare de Me Abdoulaye Wade avec qui vous partagez un si longue histoire ?

Je voudrais indiquer qu'après dix huit ans de compagnonnage commencé en 1978, nos chemins se sont séparés en 1996. C'est un peu l'image d'un couple qui, a après plusieurs années de vie commune, décidé de se séparer. Les relations cordiales demeurent puisqu'on ne peut pas effacer le passé. Nous avons apporté notre pierre à l'édification de la maison Pds, de la maison Sopi, c'est un concept pour lequel nous avons donné notre vie, notre jeunesse. Quand la maison a été édifiée, c'est sur le choix des pelouses et des fleurs du jardin que des divergences sont nées. Et moi, j'ai tiré la conséquence que je devais aller voir ailleurs. 1996, c'est l'année où Ousmane Tanor Dieng qui est un technocrate et un grand frère, a hérité du Parti socialiste. Je suis allé lui donner un coup de main pour l'aider. Depuis cette date, je milite à ses côtés activement avec la sensibilité qui est la mienne. Depuis l'accession de Wade au pouvoir, il multiplie les appels pour que tous ses fils que nous sommes le rejoignent. Vous remarquerez que je suis l'un des derniers à n'avoir pas répondu à son appel. Peut-être que





? .Cela viendra ?

Cela n'est pas de mon ressort. Seul l'avenir le dira. Je suis très bien là où je suis. Wade également est bien là où il est.





? Quelle leçon avez-vous tirée de la défaite de la dernière présidentielle?

Comme Wade l'a dit lui-même, on s'attendait à un tsunami politique. Avec sa chute. Mais en réalité, on a eu droit à un séisme d'amplitude 9 degré sur l'échelle de la tricherie. Cette élection présidentielle restera dans les annales. Nous avons été habitué au Sénégal à des hold-up perpétrés par le Ps. C'était des braquages, mais cette fois-ci, on a eu droit à un casse fait avec des moyens électroniques. Les gens n'ont rien compris. Vous avez vu que moi-même j'ai retiré ma candidature de la présidentielle, lorsque j'ai constaté la tricherie qui se préparait. Lors des dernières législatives, vous avez assisté au boycott de l'opposition. Toute modestie mise de côté, cela me donne raison.





? Ne craignez-vous pas le syndrome ivoirien avec le boycott des législatives ?

L'opposition ne peut pas être sociologiquement majoritaire dans le pays et se contenter d'une vingtaine sur cent cinquante sièges au Parlement. Si les mêmes causes produisent les mêmes effets, ce qui est sûr et comme les sociologues l'enseignent, chaque société constitue un ensemble irréductible qui a apporté des réponses originales à des problèmes spécifiques posés au sein d'une dynamique culturelle. C'est dans ce sens qu'il faut comprendre l'heureux accord de Ouagadougou. Au début de la crise, il était évident que seuls MM. Soro et Gbagbo pouvaient trouver une solution à cette crise. Au Sénégal, tout le monde est convaincu que Wade a été mal élu mais, il y a une sorte de génie sénégalais qui fait qu'on a trouvé un consensus non écrit pour le laisser là. Compte tenu de tout ce que Wade a apporté à l'édification de la démocratie dans notre pays, compte tenu de son parcours, et vu son âge, nous avons décidé de lui accorder une sorte d'extra-time . Étant entendu que cinq ans dans la vie d'une nation, ce n'est rien, étant également entendu que nul n'est dupe.





? Le revers de l'opposition n'est-il pas lié au fait qu'elle est allée en rangs dispersés ?

Il est évident que ce que vous dites est important. Mais je signale qu'une opposition unie ou désunie a intérêt à multiplier les candidatures pour disperser les voies et pousser le président au second tour. Si c'est sur le plan des statistiques électorales que vous vous parlez, je ne le crois pas. Par contre, au niveau de l'opposition sénégalaise, on a de sérieux problèmes. Aujourd'hui, tous les opposants, Ousmane Tanor Dieng excepté, étaient-là au moment de l'alternance avec Abdoulaye Wade. C'est eux qui étaient au pouvoir. De concert avec lui, ils ont inconsciemment préparé la situation actuelle. Tous ont fait le lit de la situation actuelle. Si aujourd'hui l'opposition était vraiment unie, elle se serait mobilisée dernière le seul Parti socialiste qui est une réalité sociologique dans notre pays depuis 60 ans. Tous les problèmes auraient été réglés, donc votre question est absolument pertinente.





? Si on vous demandait de donner un conseil à l'opposition ivoirienne, que lui diriez-vous ?

En toute modestie, je ne suis pas outillé pour donner des conseils à l'opposition ivoirienne. Sincèrement je vous dis que j'apprends beaucoup des Ivoiriens. Quand j'avais décidé de retirer ma candidature de la présidentielle, j'ai parlé de boycott actif mais les gens ne savaient pas de quoi je parlais. Ils disaient, c'est quoi ce charabia ? Mais c'est une expression que j'ai pigée ici. Aujourd'hui, la classe politique sénégalaise a fait sienne le boycott actif. Cela dit un frère peut toujours donner son appréciation. L'opposition ivoirienne doit être consciente de son rôle de contre pouvoir. Il leur faut de la ténacité, de la pugnacité. Surtout une qualité qui est essentielle c'est la patience.





? Croyez-vous cette opposition ivoirienne capable de battre Laurent Gbagbo si elle part en rangs dispersés?

Honnêtement, je ne sais pas lire dans la boule de cristal. Je n'ai aucun don particulier pour la divination. Je me contenterai d'attendre et voir.


? Un mot sur le dialogue direct

Je dis à Gbagbo et Soro qu'ils n'ont plus rien à prouver en matière d'attachement à la patrie. Qu'ils persévèrent dans la voie qu'ils ont choisie. Que personne ne gâte cette dernière chance d'aller à la paix. Nous sommes attentifs à ce qui se joue sous nos yeux. J'aurai seulement souhaité que l'accord de Ouagadougou s'appelle l'accord de Dakar pour tout ce qui nous lie. Ceci dit, nous reconnaissons les mérites du président Compaoré. Nous lui en savons gré.


Interview réalisée par Traoré M. Ahmed

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