vendredi 22 juin 2007 par Fraternité Matin

La Côte d'Ivoire est certainement assise sur un matelas financier, comme le disait Pr Mamadou Koulibaly. Mais personne ne peut s'imaginer à quel point des individus de ce pays sont immensément riches. Depuis qu'il avait 26 ans, le maire de Bouaflé affirme à qui veut l'entendre qu'il est milliardaire en FCFA. Ce n'est donc pas, selon Dominique Adjé, pour des miettes? - 100 millions de nos francs et un poste de PCA qui lui auraient été proposés ? qu'il démissionnerait du RDR. Le président de l'UDPCI, de son côté, roule carrosse et doit, lui aussi, peser des milliards. Ceux qui pensent qu'on peut nous déstabiliser sont en retard sur l'actualité politique. Je ne pèse plus 300 millions?. Car, il y a trois ans, au moment où on disait que le président du RDR nous avait donné 300 millions, je valais déjà plus que cela?, s'est-il confié au Bureau politique de son parti (Cf. Le Patriote n°2.312 du 20 juin 2007).
Les convictions de ces Crésus ivoiriens, qui sont à l'abri de toute tentation matérielle et même politique, sont établies. A l'inverse, naturellement, de ceux qui tirent le diable par la queue et dont les positions changeraient au gré du vent. De véritables girouettes, en somme. Ainsi, tous les cadres et autres militants de base de ces partis qui tournent casaque pour rejoindre le FPI ou créer d'autres formations politiques ne seraient que des nécessiteux qui, selon les mots du président du PDCI-RDA, n'agissent que pour des raisons alimentaires?. Pour cette raison, Jean-Jacques Béchio, ancien conseiller diplomatique d'Alassane Ouattara, et Khalil Ali Kéita, ancien porte-parole intérimaire du RDR, qui ont rejoint Fofana Zémogo (ancien secrétaire général adjoint du RDR) auraient perçu, chacun du pouvoir, la somme de 50 millions de FCFA pour claquer la porte de la Case?, symbole du RDR.
Ainsi, si en France, Nicolas Sarkozy est accusé de faire du braconnage? en recrutant dans son gouvernement plusieurs cadres de l'opposition, en Côte d'Ivoire, Laurent Gbagbo est accusé de débaucher des militants à coups de centaines de millions de FCFA. Ce sont des satires qui montrent à quel point, dans le subconscient même des responsables politiques ivoiriens, l'argent n'est pas seulement le nerf de la guerre. Il est aussi un dieu. Qui permet de tout obtenir (ou presque) dans ce pays où tout (ou presque tout) se réduit au matériel. Le militantisme ne serait plus le fruit des croyances idéologiques, mais le résultat de conditions financières à satisfaire. Au pays de Félix Houphouet-Boigny, tout militant (ou presque) est assimilé à une marchandise qui se vend au plus offrant. Ce sont, bien souvent, des caricatures dont nos leaders politiques se servent pour salir l'honorabilité de nombre de leurs anciens collaborateurs et les livrer à la vindicte populaire. Partant, ils refusent de se remettre en cause et de regarder la réalité en face. Supposons un instant que le Président ivoirien ait autant d'argent en cette période difficile pour procéder à la déstabilisation des partis de l'opposition. Henri Konan Bédié a été, avant lui (de 1994 à 1999), Chef de l'Etat. Le successeur de Félix Houphouet-Boigny - que la rumeur présente comme l'un des premiers milliardaires de notre pays à avoir célébré sa richesse dans les années 1970 - n'a pas réussi à empêcher la création du RDR et à maintenir la cohésion au sein du PDCI-RDA alors qu'en 1994, des milliards de FCFA pleuvaient sur la Côte d'Ivoire après la dévaluation de notre franc. A moins qu'Alassane Ouattara, le mentor du RDR, n'ait été le premier enchérisseur dans cette vente aux enchères des militants. Et puis, on se rend bien compte que le Brave tchè? - que les militants appelaient Warifatchè?, c'est-à-dire le père de l'argent parce qu'il était censé détenir une grande fortune - n'arrive plus à mettre au pas une bonne partie de ses militants dont certains auraient même claqué la porte. Pour aller monnayer leur militantisme ailleurs. Sa rivière aurait-elle à ce point tari pour pousser son troupeau à la recherche d'autres oasis?
RDR: faut-il banaliser les départs??, s'est interrogé, hier, à haute voix, notre confrère Le Nouveau Réveil?. Visiblement, cette interpellation pertinente ne concerne pas seulement le parti d'Alassane Ouattara. Elle s'adresse aussi au PDCI-RDA dont de nombreux cadres ? et pas n'importe lesquels - sont en rupture de ban ou démissionnaires. Parmi eux: Emile Constant Bombet, Laurent Dona-Fologo et Ahoua N'Guetta. Car, autant Ouattara trouve que les départs, par vagues successives, de valeureux militants comme Zémogo, Béchio, Amidou Sylla et Georges Coffi sont des épiphénomènes?, autant Bédié parle de phénomène tout à fait marginal? alors que son parti subit une véritable saignée.
Il y a certainement des dissidents affamés?, selon les mots aimables du président du PDCI, mais l'argent ne suffit pas, à lui seul, pour expliquer la crise profonde qui secoue les principaux partis de l'opposition. Sinon on ne comprendrait pas que c'est le même jour où Kouamé Oi Kouamé et 1.800 militants du RDR de Bongouanou ont viré au FPI, qu'une centaine d'étudiants, conduits par Damas Stallone, ont tourné le dos à ce parti qui a porté Gbagbo au pouvoir pour militer au MFA. Tout le monde sait le trésor d'imagination de Félix Houphouet-Boigny pour maintenir le parti unique. Mais rien n'y fit. Et en 1990, le multipartisme était réinstauré. Tout le monde sait les moyens financiers colossaux que le premier Président de la Côte d'Ivoire a engloutis pour casser le FPI et déstabiliser son leader, Laurent Gbagbo. Peine et argent perdus! Car, à la différence de la plupart des partis politiques ivoiriens, le FPI n'est pas bâti sur du sable et des mythes. Longtemps dans la clandestinité, où il a fait ses armes idéologiques, il a des assises solides. Les problèmes qu'il a connus et les départs qu'il a enregistrés en son sein ne sont pas liés à des querelles de personne ou à des frustrations, mais bien à des divergences politiques. Et puis, la crise armée n'aura pas aidé à resserrer les rangs dans l'opposition. Elle a même créé une sorte de divorce entre la direction de plusieurs partis, parmi les plus importants, et leurs bases. L'immobilisme, les choix tactiques controversés opérés à l'insu de celles-ci, les alliances contractées à la sauvette et les positions quelquefois jusqu'au-boutistes observées durant cette période ont déçu de nombreux militants. En revanche, le nationalisme - que certains ont assimilé à du populisme - dont Laurent Gbagbo a fait preuve, l'habileté politique pour retourner les situations parmi les plus compromises, le bras de fer engagé victorieusement contre la France de Jacques Chirac et l'ONU sur des points préservant la souveraineté nationale ont fini par séduire de plus en plus d'Ivoiriens, tombés sous son charme. Parallèlement, les campagnes de presse présentant le Chef de l'Etat comme un génocidaire - une espèce de Milosevic? ou de Nazi noir? en somme - ont fondu comme beurre au soleil. Car tout le monde, y compris les militants bernés, découvre qu'elles ont trop souvent été entretenues par la supercherie. Aussi le camp présidentiel rallie-t-il des personnes qui le vouaient, hier, aux gémonies. Le temps, l'autre nom de Dieu, a fait son ?uvre. Et ces coups de foudre profitent à Laurent Gbagbo. Le réhabilitent. Et lui permettent de prendre sa revanche sur l'histoire.


Par
Ferro M. Bally

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