jeudi 14 juin 2007 par Fraternité Matin

A quel souci répond la rencontre de ce jour au Ghana?
Vous savez quelle est la nature de notre groupe et quels sont ses différents objectifs. Nous faisons donc notre travail en toute indépendance. Nous n'obéissons à personne. Après avoir rencontré Mme Angela Merkel, la chancelière allemande et Tony Blair à la veille du sommet du G8, nous venons à la veille du sommet de l'Union africaine rencontrer le président en exercice de cette institution, en l'occurrence le chef de l'Etat ghanéen , John Kufuor. Notre ambition, c'est d'être d'une certaine manière à égale distance ou d'être également au service des uns et des autres. Les uns et les autres ont besoin d'une instance indépendante pour apprécier les progrès de l'Afrique vers son indépendance. Nous voulons les aider à tenir leurs promesses en les aidant à lever les obstacles qu'ils rencontrent dans cette formidable entreprise. Nous avons de la chance parce que nous rencontrons un président de l'Union africaine qui a déjà donné des signes éclatants de son propre engagement national, régional et continental dans cette perspective. Et nous allons certainement avoir une conversation très productive parce que nous voyons réellement les choses de la même façon avec réalisme et ambition.
Quel est le caractère particulier de votre organisation, qu'est-ce qui a motivé sa création et comment en devient-on membre?
Nous sommes en présence d'un commun désir du Nord et du Sud de donner vie au partenariat qui est né dans le cadre des Nations unies à Monterrey. Il s'est renforcé avec le NEPAD puis successivement les sommets d'Evian et de Gleneagle. Il a donc pris davantage corps. Nous sommes là pour lui donner vie et pour que les partenaires puissent avoir confiance en un groupe totalement indépendant mais composé de personnes ayant une certaine compétence et une certaine affinité avec l'Afrique. Nous sommes là pour leur dire où ils en sont et leur faire part d'une opinion indépendante sur ce qui se passe. Le groupe a été constitué à la suite du sommet de Gleneagle qui s'est tenu en juillet 2005 juste après les attentats de Londres. C'est Tony Blair qui présidait ce sommet et qui a désigné un certain nombre de personnalités pour le constituer. C'est lui qui a demandé à Kofi Annan de le présider. Comment en devient-on membre?
On en devient membre en s'étant occupé toute sa vie de l'Afrique ou d'une cause vraiment essentielle pour l'avenir de l'Afrique. Quand je prends le cas de mon ami Peter Eigen de Transparency International, il a passé toute sa vie à lutter contre la corruption au Sud. Après cela, on est bien placé pour apporter une certaine contribution. Quand on s'appelle Mohammad Yunus et qu'on est l'inventeur du micro crédit et avec le succès enregistré à travers le monde par les institutions de micro-finance, on a sa place dans ce groupe. Alors en ce qui me concerne, vous allez me dire que je suis peut-être une erreur de casting. Outre les responsabilités que j'ai assumées au Fonds monétaire international (FMI) et qui m'ont permis de visiter à peu près tous les pays d'Afrique en 13 ans, j'avais des choses à dire. Cela est d'autant plus juste que j'ai beaucoup aidé Kofi Annan dans la préparation du sommet de Monterrey et que j'étais avec Tony Blair dans la commission pour l'Afrique etc. Ce sont autant de raisons qui ont certainement milité en faveur du choix de ma modeste personne. Je suis certainement la dernière roue du carrosse mais je le fais avec beaucoup d'enthousiasme. Vous venez de rencontrer Mme Angela Merkel. Quels ont été les grands axes de votre rencontre?
Pour Mme Merkel, c'était le lancement de notre groupe. C'était le premier contact que nous avions avec des autorités politiques et il se trouve qu'elle allait présider le sommet du G8. Nous avons été lui dire qu'il faut que le G8 tienne ses promesses, il faut avancer sur le problème de la santé, celui du commerce international, sur les objectifs du millénaire etc. Elle nous a dit qu'elle allait faire tous ses efforts pour y parvenir. Elle nous a dit combien elle attachait de l'importance à un groupe comme le nôtre. Elle nous a enfin dit qu'elle souhaitait nous revoir avant la fin de cette année pour discuter du rôle particulier de l'Allemagne dans ce partenariat entre le Nord et le Sud. Avez-vous abordé avec elle la lancinante et récurrente question de l'aide publique au développement (APD)?
Oui bien sûr. Ce qu'il y a c'est que pendant les années précédentes, très rapidement, on a réduit la dette des pays les plus pauvres, il faut donc trouver d'autres actions de substitution. Il y a donc réajustement et tout ça doit être jugé sur le long terme. Vous avez vu qu'on a d'abord mis cette année 60 milliards de dollars sur la table, même si ce sont des promesses déjà faites, c'est un chiffre important. Les Américains se sont engagés à payer la moitié de la somme. Et je n'ai pas souvenir qu'ils se soient une fois engagés à supporter plus de la moitié de l'aide publique au développement. Pour ce qui est des objectifs du millénaire pour le développement, il a été dit avec fermeté qu'il fallait aller dans cette direction. Chaque sommet ne peut pas ajouter de nouveaux engagements. L'important, ce n'est pas d'en prendre toujours mais plutôt de tenir ceux qui ont été pris jusque-là. Et nous sommes justement là pour vérifier que ceux qui sont pris sont tenus et nous sommes prêts à interpeller les pays qui s'écartent de la trajectoire. Nous disons aussi qu'il ne faut pas que les pays du Nord se contentent de prendre des engagements mais qu'ils soient plus précis, qu'ils y collent des dates, un chronogramme d'exécution de telle manière que les pays du Sud puissent mieux planifier leurs efforts. Il faut donc un dialogue plus précis entre les pays africains et les pays européens mais aussi les autres pour que tout ceci puisse être géré le mieux possible. Vous devez, selon votre planning, rencontrer le président Kufuor. A quel souci répond cette démarche?
Nous venons tout simplement nous mettre à la disposition du président de l'Union africaine. L'Afrique souhaite que quelqu'un vérifie de manière effective la réalisation des engagements pris, même s'il s'agit d'engagements (de bonne gouvernance, de bonne gestion macro-économique) des Africains à l'égard d'eux-mêmes. Nous allons parler de tout cela avec lui. De quels moyens dispose votre panel pour le rendre plus efficace et éviter qu'il ne soit un organisme de plus dans la panoplie de ceux qui existent déjà?
Nous ne voulons surtout pas être un organisme de plus. Nous sommes quelques personnalités totalement indépendantes. Personne ne peut dire que nous dépendons de qui que ce soit. Mais nous avons un engagement à l'égard de l'Afrique qui est connu et nous avons une connaissance des mécanismes que je pourrais qualifier d'incomparable. Peu d'hommes peuvent en effet dire, comme votre serviteur, qu'ils ont assisté à peu près tous les sommets du G7 ou G8 depuis l'origine. Peu d'hommes peuvent également prétendre connaître les mécanismes des Nations unies comme Kofi Annan . Eh bien ! nous allons mettre toute cette expérience ou cette compétence au service de cet objectif essentiel qui est la marche de l'Afrique vers le développement.
Vous étiez jusqu'à une date récente le représentant spécial du président Chirac au niveau du NEPAD. Où en est-on avec ce projet qui semble grippé?
Le président Chirac n'est plus président de la France et comme j'ai des responsabilités au niveau du présent panel, j'ai demandé à M. Nicolas Sarkozy de nommer un autre représentant personnel pour la France dans le cadre du NEPAD. Le NEPAD a déjà réalisé beaucoup de choses y compris du côté africain. La mise en place d'un dispositif de lutte contre les conflits, l'organisation de la revue par les pairs des politiques économiques, des progrès de la démocratie etc . Le Nord de son côté, apporte des contributions discutées en partenariat avec l'Afrique. Mais il faut passer d'un partenariat au niveau des gouvernements à un partenariat plus large qui intègre la société civile. Vous êtes membre de la commission économique pour l'Afrique. Concrètement, quel est l'apport de cette institution au développement de ce continent?
Nous avons fait un important rapport qui a du reste été traduit en français. Il a été à l'origine des avancées du sommet de Gleneagle au cours duquel le G8 a par exemple décidé de doubler son aide à l'Afrique d'ici à 2010. L'Union africaine a pour sa part estimé que ce rapport-là était le jugement le plus approprié, le plus précis sur ce qui doit être à l'avenir le cadre d'actions du développement panafricain. L'initiative pour l'allègement de la dette des pays pauvres très endettés ne semble pas produire, selon certains observateurs, les résultats escomptés. Vous qui en êtes l'un des initiateurs qu'en pensez-vous?
Cette initiative avance à mon avis au fur et à mesure de l'analyse des dossiers par le FMI et la Banque mondiale. Il y a des pays qui sont plus ou moins prêts pour faire ce travail qui est contraignant et qui implique que les autorités mettent en ?uvre des politiques montrant qu'il vaut la ,peine de réduire la dette. Ce que nous observons c'est que les pays qui ont atteint le point d'achèvement comme on le dit dans le cadre de ces procédures, ont tous trouvé des projets en matière de santé, d'éducation, de développement rural qui en ce moment contribuent à l'accélération de leur développement. Je ne crois pas qu'on puisse affirmer qu'il y a des obstacles de type financier. Le grand défi, c'est que désormais la dette relevant du passé pour ces pays, il va falloir trouver des projets pour accroître l'aide au développement. Des années après avoir quitté la direction du FMI, quel regard jetez-vous sur cette institution?
Je garde une impression plutôt positive de cette institution même en l'observant de manière critique aujourd'hui. Et je suis fière qu'à trois reprises, les pays africains m'aient unanimement élus pour la diriger. Je suis infiniment reconnaissant aux pays africains qui m'ont soutenu, encouragé et qui ont souvent mis en ?uvre nos recommandations.
Focus : Faux pas ?
Trois absents sur sept membres. C'est le constat qui a été fait à Adinkra suite de Labadi beach hôtel à Accra au Ghana. Interrogés sur la question, les membres présents n'ont finalement pas justifié l'absence de leurs collègues. Toutefois, selon eux, il n'y a pas de raison de s'inquiéter outre mesure. Ils auraient été tout simplement empêchés. En tout état de cause, rien n'indique qu'il y aurait véritablement péril en la demeure. N'empêche que cette absence à un moment plutôt crucial de la jeune histoire de l'organisation aux grandes ambitions, ne manque pas de surprendre et de susciter des commentaires au sein des journalistes présents à la table ronde. Bob Geldof, Kbe, musicien, hommes d'affaires, fondateur et coordonnateur du group Band Aid et des concerts live Aïd live 8, cofondateur de Data et membre de la commission pour l'Afrique, Mme Graça Machel, militante pour les droits des femmes et des enfants, présidente de la fondation pour le développement communautaire, M. Robert E. Rubin, président du comité exécutif de Citi Group et ancien secrétaire au trésor des Etats-Unis, sont les trois absents de la première rencontre en terre africaine de ce panel. La rencontre d'Accra constituait la deuxième sortie officielle de African Panel Progress depuis sa création il y a deux ans. Après la rencontre avec Tony Blair et Angela Merkel avant le sommet du G8, la table ronde de lundi dernier représente une date charnière dans l'histoire de ce groupe dans la mesure où elle se tient à la veille des assisses de l'Union africaine dont le président en exercice, SEM. John Kufuor, a accordé une audience aux quatre personnalités présentes.

K. Soungalo
Envoyé Spécial au Ghana

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