mercredi 13 juin 2007 par Notre Voie

Marcellin Doh est gérant de fortune basé à Genève, en Suissse, où il exerce cette profession, il y a 10 ans. Actuellement, il séjourne à Abidjan dans le cadre du projet Concorde lancé par la SICOGI mais aussi pour divers autres objets. Il s'est confié à Notre Voie dans cet entretien. Notre Voie : Une première question toute simple. Qu'est-ce qu'un gérant de fortune ?
Marcellin Doh : La gestion de fortune remonte à 1390. Et la Suisse a été le premier pays à émettre des lettres de crédit, à initier le commerce international avec du crédit documentaire. La gestion de fortune renvoie donc à tous les services annexes qu'un gérant de patrimoine peut fournir à un client en dehors d'une banque. C'est une relation tripartite où il y a un client qui peut être une personne physique ou une institution et une banque qui est le dépositaire des fonds. A aucun moment, le gérant de fortune n'a accès au fonds du client, la banque étant la seule institution habilitée à les garder par devers elle dans la mesure où elle est liée par contrat au client. Notre travail consiste donc à organiser le patrimoine d'un client. Notamment, la gestion du portefeuille titre en banque en passant par l'évaluation patrimoniale (sous quel régime il est marié, le nombre de ses enfants, comment il désire organiser son patrimoine pour le transmettre à ses enfants, le conseil juridique, le conseil fiscal, le conseil immobilier, le family office). Notre métier est donc de trouver des solutions aux problèmes de nos clients dans tous les domaines. N.V. : Récemment, la Sicogi a lancé l'opération Concorde? à Abobo, dont vous êtes une des chevilles ouvrières. Quelle est l'histoire de ce projet ?
M.D.: Au mois de novembre, le chef de cabinet du président de la République, M. Narcisse Kuyo Tea, m'a fait part, au cours d'un entretien, d'un besoin criard de certaines entreprises d'Etat. Il m'a notamment informé qu'elles ont besoin de financement pour pouvoir réaliser un certain nombre de projets qui font partie de la politique de la République. Mais que, malheureusement, les cinq années de crise ont mis en difficultés les prérogatives économiques que le président s'était fixé. Ainsi j'ai pris attache avec le directeur général de la SICOGI, M. Libi Koita. Aussitôt, nous avons commencé à travailler. Par la suite, j'ai rencontré le conseil d'administration devant lequel j'ai émis le v?u de trouver à la société un financement à hauteur de 26 milliards, soit 40 millions d'euros, pour réaliser le projet Concorde en vue de magnifier la politique de logement que le président de la République s'était fixé. C'est-à-dire : un ivoirien, un logement. Il est donc évident que lorsqu'on est gérant de fortune de la place internationale de Genève, la première en terme de liquidité, on bénéficie d'un carnet d'adresse assez conséquent. C'est ainsi que je suis entré en contact avec certains de mes partenaires chinois qui, heureusement, m'ont informé que la Côte d'Ivoire honore ses engagements vis-à-vis de leur pays. Aujourd'hui, en Europe, il ne sert à rien de vous chercher des financements parce que les taux sont prohibitifs. En Amérique du Nord, c'est la même chose. Mes partenaires chinois m'ont donc demandé de mettre en forme le projet. Ce que j'ai fait. N.V. : Comment se sont passées concrètement les choses ?
M.D. : Pendant trois mois, j'ai travaillé avec l'équipe technique de la Sicogi. J'ai eu affaire à de très grands professionnels. Parce que le projet était complètement finalisé au plan financier et technique - ils avaient déjà entamé les travaux de la première phase qui représente 480 sur les 2600 logements. Ainsi nous avons transmis à nos partenaires un CD-ROM que cette équipe technique avait réalisé. Nous avons transmis tous les éléments financiers du projet à nos partenaires chinois. Et ils ont accepté d'en faire part au conseil d'administration de la société chinoise COVEC. Comme on est dans un pays de paix aujourd'hui, on a réussi à atténuer l'ardeur de certains opposants. En tout cas, j'ai eu un énorme avantage à travailler avec la Sicogi qui avait déjà bonne presse auprès des autorités chinoises par le biais de COVEC, une société d'Etat. N.V. : Revenons à la suite de vos démarches... M.D. : Il y a 4 semaines, nous sommes allés en Chine ; nous y sommes restés une semaine. Nous sommes allés notamment à Pékin où nous avons été reçus à la hauteur de nos espérances. Il faut dire qu'on avait abattu tout un travail pendant 3 mois et nos partenaires locaux avaient également fait leur travail à la hauteur de nos espérances. Même son de cloche au niveau de l'équipe dirigeante de la banque qui nous alloue les fonds sur une période de 10 ans avec un différé de deux ans et un taux de 3%, je dirais, qu'on ne peut trouver nulle part ailleurs. Ce qui veut dire que c'est un crédit concessionnel. Nous avons donc entériné les documents. Le DG de la Sicogi et le président directeur général du groupe Covec ont signé. Le premier jour, on a été reçus par un des membres influents du parti communiste qui fait partie du conseil d'administration du groupe Covec et les choses ont été finalisées. Il y a quelques jours, nos amis chinois ont écrit pour dire qu'ils seront à Abidjan dans les jours qui viennent pour réaliser la première étude de faisabilité après laquelle les fonds seront débloqués et mis à la disposition de la Sicogi pour faire le bonheur des populations d'Abobo. Parce qu'il est anormal que la Sicogi ait construit toute la Côte d'Ivoire sauf Abobo. N.V. : Vous êtes un privé qui apporte son concours à l'Etat. Comment cela se passe concrètement ?
M.D. : Moi, en tant que gérant de fortune, pendant 8 ans, j'ai exercé pour une structure financière de la place. Mais depuis 3 ans je suis indépendant et dûment agréé. Je suis membre du GSCGI (Groupement suisse des conseils et gérants indépendants) - cela part donc seulement de contact. C'est un métier dans lequel la publicité nous ait interdite. Parce que nous sommes liés par le secret professionnel. Et le secret bancaire fait partie intégrante de la constitution suisse. Il est évident aussi que les gens sont souvent méfiants. Parce que quand un ivoirien qui arrive d'Europe en disant : je peux réaliser telle chose, on est dubitatif. On se dit : voilà un escroc de plus. Mais lorsqu'on est un professionnel et qu'on a fait ses preuves, il est intéressant de tomber sur des structures comme la Sicogi. Aujourd'hui, c'est la preuve pour toutes les entités de l'Etat, pour toutes les entités privées qui recherchent des financements en faisant appel à des gens comme nous. Nous ne sommes pas des intermédiaires en tant que tel. Parce que nous aidons les clients à atteindre leurs objectifs, à respecter les prérogatives qui nous sont fixées par un mandat signé en bonne et due forme et à veiller à satisfaire à leurs besoins. Si je fais part à une institution financière crédible à même de prêter de l'argent à une institution ivoirienne, c'est en réalité à l'Etat ivoirien. Donc ce ne sont jamais des fonds illicites. Parce que, même si je bénéficie de la double nationalité, après tout, je suis ivoirien. Je suis de Man. J'ai grandi à la Riviera II. Je ne peux pas mettre la corde au cou au ministère des Finances de mon pays. Ce n'est pas normal. Donc, j'ai un rôle important à jouer dans le développement de notre nation. N.V. : On dira que c'est le projet concorde qui vous a fait connaître. En avez-vous encore d'autres en vue ?
M.D. : J'ai encore énormément de projets. Nous sommes actuellement en train de travailler. J'étais récemment au siège de la Sicogi où j'ai rencontré le président de la Mugecpaci, M. Ladji Traoré, qui réunit dans sa mutuelle 42 fédérations de chauffeurs de taxis wôrôs (taxis communaux) et de gbakas (minis bus de transport urbain) de toute la Côte d'Ivoire. Cela s'inscrit aussi dans la même veine de la politique de lutte contre la pauvreté ! Parce que, parmi ces gens, en temps normal, certains n'auraient jamais espéré être propriétaires d'une maison un jour. Nous avons discuté avec la Sicogi. Et la Sicogi a décidé de dédier 500 logements de son opération immobilière actuelle à la mutuelle. C'est-à-dire que des chauffeurs de wôrôs, de taxis et de gbakas pourront être demain à la Résidence concorde, des voisins de médecins, de banquiers d'avocats... Une façon de réussir leur insertion dans le tissu social ivoirien. N.V. : Avez d'autres clients sur votre calepin ?
M.D. : J'ai plusieurs clients qui sont africains ou étrangers. La Côte d'Ivoire les intéresse. Parce qu'il faut reconnaître que la Côte d'Ivoire représente plus de 40% de la masse financière de l'Afrique de l'Ouest. C'est une place de choix en terme de matière première mais en terme également de savoir-faire financier. Il faut dire que depuis très longtemps, le pays bénéficie des fondamentaux économiques, ce qui fait qu'aujourd'hui, lorsqu'on a besoin d'une information, quel que se soit le niveau d'endettement intérieur ou extérieur, il n'y a qu'aller sur le site des impôts ou du ministère des Finances et de l'Economie. C'est vrai que je vis à l'étranger, je mène ma petite vie à Genève avec tous les avantages, mais la Côte d'Ivoire, c'est mon pays après tout. Quand il y a un coup de fusil, je perds le sommeil. Si j'ai un peu d'expérience, il est normal que je la partage avec mes concitoyens. Demain, si des milliers d'Ivoiriens ont un logement, un emploi et peuvent subvenir aux besoins de leurs petites familles respectives, offrir une éducation à leurs enfants, c'est tout un bénéfice pour le pays. On ne dira pas c'est grâce à Marcellin Doh mais Marcellin Doh aura apporté sa petite pierre au développement économique de la Côte d'Ivoire. N.V. :L'environnement économique actuel ne vous effraie t-il pas ?
M.D. : L'environnement économique, c'est vrai, a effrayé certains de mes partenaires pendant un bon moment (je dirais au plus fort de la crise). Mais c'est un travail de longue haleine. Même mes clients locaux, lorsqu'ils allaient dans une banque de la place financière locale, on leu demandait de patienter. Mais c'est à nous, en tant que financier, de nous inspirer des règles de fonctionnement ou de l'expérience internationale pour faire l'apologie de la place financière ivoirienne. Pour tout dire, c'est surtout en période de crise qu'il faut être présent. Ce n'est pas lorsque les choses seront aplanies, lorsque le 2ème ou 3ème boom économique se sera produit que les gens doivent frapper à la porte. Ce sera trop tard. Vous savez, c'est comme sur les places boursières. La Côte d'Ivoire est un joyau boursier. Aujourd'hui, nos actions sont au plus bas et elles commencent à remonter. Donc c'est aujourd'hui qu'il faut les acheter. Parce que dans 2 à 3 ans, lorsque les choses seront revenues à la normale, il sera un peu tard. Je dirais que le prix d'entrée d'une action en Côte d'Ivoire coûtera exagérément chère.


Interview réalisée par J.S. Lia et Schadé Adédé

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