jeudi 7 juin 2007 par Notre Voie

Des affrontements sanglants entre militants du Hamas et du Fatah, les deux grands mouvements politiques palestiniens, ont fait des dizaines de morts et des centaines de blessés. SEM Awad Yakhlef, ambassadeur de Palestine à Abidjan, donne un éclairage sur ce conflit qui oppose les deux mouvements. Interview.
Notre Voie : Le Hamas et Fatah sont-ils des mouvements frères, rivaux ou ennemis ?
Awad Yakhlef : Le Hamas et le Fatah sont deux mouvements palestiniens qui luttent pour la naissance d'un Etat palestinien. Le 13 septembre 1993 ont été signés, à la Maison blanche, les Accords d'Oslo entre Israéliens et Palestiniens. Dans les accords, il était dit qu'un Etat palestinien devait voir le jour, au plus tard, le 1er mai 1999. Aujourd'hui, nous sommes en 2007. Quatorze ans après, l'Etat palestinien n'a pas encore vu le jour. Le non respect des différents accords par Israël, ajouté à la dégradation de la situation sociale liée au récent blocus a créé un sentiment de désarroi chez nombre de palestiniens. Les gens ne croient plus à une paix négociée durable avec Israël. N.V. : Ce qui se passe sur le terrain, c'est que le Hamas et le Fatah s'affrontent très violemment A.Y. : Cette querelle fratricide est regrettable. Mais cela est lié, comme je l'ai indiqué tantôt, au désespoir des Palestiniens. L'armée israélienne s'est retirée de la bande, mais elle contrôle les frontières terre, mer et air, au point où la zone est assimilable à une grande prison. Il y a une réelle crise sociale qui poussent les gens à faire n'importe quoi. N.V. : Voulez-vous dire qu'il n'y a pas de crise politique entre le Hamas et le Fatah ?
A.Y. : C'est deux projets politiques différents. Le Hamas estime qu'il faut changer de cap, après les échecs enregistrés dans les négociations avec Israël. Le peuple palestinien continue de vivre sous occupation. Vous convenez avec moi qu'on ne peut pas négocier pour négocier. C'est difficile à gérer pour nous, mais avec le récent accord signé à la Mecque, nous osons croire que la paix reviendra entre les frères palestiniens. Je pense qu'il est important que la communauté internationale joue son rôle dans la résolution de la crise. Elle doit apporter son soutien au gouvernement, en appuyant ses actions. Il ne faut pas occulter le fait que le Hamas a remporté les élections qui ont été organisées de façon claire et démocratique, et validées par tous les observateurs internationaux. Nous n'avons pas de choix que de continuer à travailler ensemble. N.V. : En principe, vous avez besoin d'union pour mener votre combat. Le constat, c'est que vous vous tiraillez
A.Y. : Nous travaillons dans ce sens. Vous savez que le gouvernement est composite de toutes les forces politiques. Cette équipe a malheureusement été confrontée à la pression de la communauté internationale qui a imposé un blocus économique. Je vous assure que c'est une situation délicate. N.V. : Pourquoi le Fatah ne laisse-t-il pas la main libre au Hamas, qui a remporté les élections, de gouverner ?
A.Y. : Après sa victoire, le Hamas a formé un gouvernement qui a duré 13 à 14 mois. Ce gouvernement a été isolé sur la scène internationale, les uns et les autres refusant de collaborer avec le Hamas. Cela a eu des répercussions fâcheuses sur les populations au niveau social. Nous avons dû réagir pour rectifier le tir en formant un gouvernement d'union nationale. Cette équipe, dois-je le rappeler, est dirigée par le Hamas ! N.V. : Malgré tout, la gestion de la sécurité est une question qui divise les deux mouvementsA.Y. : A mon avis, le Hamas fait une erreur sur cette question. Il veut gouverner avec son armée. Ça ne se fait pas dans un pays démocratique. N.V. : On peut parler de situation d'exception en Palestine
A.Y. : C'est du jamais vu. Comme partout dans le monde, la sécurité est liée à l'Etat et non à un parti politique ou un mouvement. N.V. : Ne pensez-vous pas que le problème entre le Hamas et le Fatah est lié au pouvoir ?
A.Y. : Je ne le pense pas. Les deux mouvements ont des programmes politiques différents. N.V. : Certains militants du Fatah accusent les militants du Hamas d'être des espions américains ,quand les éléments du Hamas accusent ceux du Fatah d'être des collabos d'Israël. Qu'en dites-vous?
A.Y. : La situation économique et sociale fait que beaucoup d'hommes perdent les pédales. Le peuple palestinien n'a de combat légitime que celui de la création d'un Etat indépendant avec pour capitale Jérusalem. N.V. : Quel commentaire faites-vous de l'attitude israélienne dans la crise ?
A.Y. : Israël se livre à une véritable destruction de la Palestine, avec bien entendu des tueries massives de civils palestiniens. Je ne vois pas en quoi l'aéroport de Gaza est dangereux pour qu'on la bombarde ! Nous n'avons pas de forces armées en tant que telles. En un mot comme en mille, Israël continue de se comporter en force d'occupation en Palestine. N.V : L'armée israélienne dit répondre à des attaques de roquettes des éléments du Hamas
AY : Est-ce qu'il y a des tirs de roquettes à Gaza et en Ci Jordanie ? Pourquoi l'armée israélienne fait-elle des incursions intempestives dans les territoires palestiniens pour terroriser les familles ? Ils font des contrôles en terre palestinienne, ils procèdent à des arrestations. Je pense que l'armée israélienne se livre à des actes de barbarie. NV : Comment faire alors pour sortir de la crise ?
AY : La communauté internationale doit s'impliquer à fond, mais faire beaucoup preuve de rigueur vis-à-vis d'Israël. Il ne faut pas négocier pour négocier. Israël doit se mettre une bonne fois pour toutes dans la tête qu'il n'y a pas de solution militaire à la crise. On peut arriver à la paix, à condition qu'on ait la volonté. NV : Vous ne pensez pas qu'il est nécessaire de renégocier l'accord de paix signé en Arabie Saoudite récemment entre le Hamas et Fatah ?
AY : Non. Les gens font une exploitation tendancieuse des divergences entre les mouvements palestiniens. On fait croire qu'il y a une guerre civile Palestinienne. Je dis que ce n'est pas vrai. Les palestiniens sont assez intelligents pour se lancer dans une telle aventure. On n'arrivera jamais à une guerre civile entre Palestiniens. NV : Comment voyez- vous l'avenir du processus de paix ?
AY : J'ai l'impression qu'on sort d'un projet pour entamer un autre. L'accord d'Oslo préconise la création d'un Etat palestinien à côté d'Israël. Ça n'a pas été le cas. Le monde entier a fait pression sur le président Arafat afin qu'il ne déclare pas l'Etat palestinien. Par ailleurs, le président américain a donné cinq points à Israël qui ont dynamité la feuille de route. N.V. : Lesquels ?
A.Y. : Par exemple, le retour aux frontières de 1967 n'est pas acceptable ; le non respect du droit de retour des réfugiés palestiniens ; la possibilité pour l'Etat hébreux de conserver le statut de colonie sur certaines agglomérations. N.V. : Quelles perspectives de paix au Proche-Orient ?
A.Y. : Il n'y a pas une volonté réelle de la communauté internationale de faire revivre le processus de paix. Il y a de grands discours dans les media mais sur le terrain, il n'y a rien de concret.



Interview réalisée par César Ebrokié

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