mardi 5 juin 2007 par Le Matin d'Abidjan

Près de quinze ans après la sanglante guerre du Liberia, l'ancien ministre ivoirien des Affaires étrangères fait des révélations. Il reconnaît officiellement le soutien de feu Houphouët-Boigny et de la France au rebelle Charles Taylor.

Quels souvenirs gardez-vous de Charles Taylor ?
L'idée que je garde de lui, c'est quelqu'un d'intelligent, surtout malin, vif, qui a des reparties assez promptes et qui était capable de charmer et également très colérique quand il faut. Donc un homme très intelligent, qui avait de la personnalité et qui en imposait, ça c'est sûr.

Pourquoi la Côte d'Ivoire, à l'époque a-t-elle soutenu la rébellion de Charles Taylor contre Samuel Doe ?
Je suppose, parce que je n'ai pas posé cette question au Président Houphouët-Boigny en tant que telle. Moi-même j'avais assisté à l'époque à des négociations entre le Président Houphouët-Boigny et Tolbert. Il avait demandé à Tolbert de faire un effort pour inclure les Natifs dans son gouvernent, parce qu'à l'époque il y avait les Africains américains qui étaient quand même la force dominante. Et donc Houphouët avait insisté qu'il les intègre dans la gestion du pouvoir parce qu'ils sont très violents. Et puis après on sait ce qui s'est passé. Avec le coup d'Etat de Doe, ça a été des massacres. Et je suppose que ce qui a le plus choqué le Président Houphouët c'est que le fils de Tolbert était marié à une de ses filleules, et ce fils avait été arrêté pendant le coup d'Etat. Et puis un jour, un des domestiques du Président Houphouët-Boigny a dit qu'on l'avait sacrifié. Le président a dit que ce n'était pas possible puisqu'il (Doé ndlr) m'a promis de le libérer. Alors le domestique a dit " l'un des serviteurs de Doé est mon cousin. Il dit qu'ils l'ont tué parce qu'enfin de compte on a dit que s'il devait avoir l'esprit des Tolbert, il fallait qu'il boive son vin dans le crâne de Tolbert. " Et je crois que cela a été un facteur déterminant dans la haine d'Houphouët-Boigny pour Doé et cela peut expliquer un peu son soutien à toute force qui devait combattre Doé.

Donc le Président Houphouët n'a jamais pardonné au Président Samuel Doé, la mort du fils de Tolbert ?
Oui, mais surtout dans les conditions macabres

Il n'y avait pas que la Côte d'Ivoire qui soutenait le rebelle Charles Taylor. Il y avait aussi le Burkina Faso et la France. Alors, pourquoi tous ces soutiens ?
Il faut demander cela aux diplomates français. A l'époque, je pense que la France avait quelques intérêts ou des visées d'étendre un peu ses relations avec cette partie du Liberia qui avait des potentialités.

Etait-ce une façon pour Paris d'étendre son influence au détriment de celle de Londres ou de Washington ?
Ça, c'est une question qu'il faut poser aux grandes puissances. Parce que vous savez, ils sont tous amis, mais quand il s'agit des intérêts, il y a quelques fois des visées différentes. Mais enfin, je me rappelle qu'une fois je partais à Gbarna voir Taylor. Je suis arrivé à Takata et à ma grande surprise il y avait l'arc de triomphe, on m'a chanté la Marseillaise et l'orateur a fait son discours : " La France est un grand pays, la révolution française est un exemple ". Alors j'ai dit, " vous vous trompez, je ne suis pas l'ambassadeur de France ". Mais cela montre à quel point ce monsieur avait des relations avec tout le monde. Ça c'est une vérité.

A cette époque vous souteniez le NPFL. Est-ce que vous parliez avec Charles Taylor de la brutalité de ses combattants ou pas ?
Oui, oui, ça a été une préoccupation parce qu'un jour, ils avaient arrêté des soldats nigérians. Ils les avaient déshabillés, les avaient humiliés et j'avais été chargé par le Président Houphouët d'aller trouver Taylor à Gbarna pour lui dire que c'était des méthodes à éviter, et qu'il ne fallait pas humilier une grande puissance. Il a compris, il s'est excusé après. Il y avait cette violence qui faisait que, en fin de compte, chaque fois, le Président Houphouët-Boigny était obligé d'attirer son attention pour lui dire que c'était très dangereux pour lui-même. Mais vous savez, Taylor est quelqu'un d'imprévisible, il en faisait un peu à sa tête. Ça aussi, c'est un des traits de caractère de Taylor et de Fodé Sanko que j'ai connu aussi parce que les deux sont de la même veine.

Avec du recul, Amara Essy, est-ce que vous ne regrettez pas d'avoir soutenu Charles Taylor ?
Vous savez, je crois qu'avec des ''si'' on peut refaire le monde. Ce qui est certain, c'est que quand Taylor a mené son attaque, tout le monde, même en occident, souhaitait la fin du régime de Doé.

La fin du régime de Samuel Doé ?
Oui, puisque vous savez comment il a massacré les responsables politiques. Tous les ministres ont été fusillés au bord de la mer et tout ça c'était horrible. Mais on avait pensé que, élu président, il allait s'amender et que les choses allaient changer. Malheureusement, ça n'a pas été le cas.

Ce procès aujourd'hui, c'est une bonne ou une mauvaise chose ?
Je crois que c'est un précédent qui peut être salutaire pour l'avenir, parce que je crois que la prise du pouvoir par les armes, avec les massacres, on le paye tôt ou tard quelque part. Si ce n'est pas Dieu, les hommes ont des systèmes juridiques aujourd'hui pour pouvoir rattraper tous ceux qui ont tué, s'ils sont coupables effectivement.

A vos yeux justement, est-ce que Charles Taylor est coupable ?
Je ne suis pas juge de Taylor, mais quand on est chef, on est responsable de tout ce qui se fait dans votre entourage. Mais ce n'est pas à moi de juger en tant que tel.

Vous savez, on dit que la victoire a plusieurs pères, la défaite est orpheline. Tout le monde était aux pieds de Taylor à l'époque. Il était reçu comme un chef d'Etat avec tous les honneurs, donc aujourd'hui c'est trop facile de dire, parce qu'il il est en prison, que c'est le plus coupable. Moi je crois que vous avez des civils qui sont au pouvoir et qui sont encore plus coupables que lui peut-être quelque part, je ne sais pas. Donc moi je suis quand même assez prudent. Il faut faire la part des choses entre la réalité et la fiction, avec tous les témoins qui vont défiler pour témoigner. Vous savez, moi j'ai vu une situation en Sierra-Leone qui m'a laissé rêveur. A l'époque, les troupes de Fodé Sanko coupaient les bras des adversaires qu'ils attrapaient. Mais, ils se sont rendus compte après que Norman, qui était le ministre de la Défense, qui malheureusement a terminé aussi en prison maintenant, faisait aussi la même chose. Mais on imputait ses crimes aux gens de Fodé Sanko. Donc quelque fois je suis quand même assez dubitatif. Nous espérons que les choses vont se passer bien, et que, vraiment, toute la vérité pourra sortir de ce procès, et les vrais coupables, parce que ce n'est pas seulement Taylor, tous ceux qui ont commis des crimes doivent être également jugés et répondre de leurs crimes. J'espère cela.

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