mardi 5 juin 2007 par Nord-Sud

La situation devient chaotique en Guinée. Sans attendre le début du mot d'ordre de grève lancé par les syndicats, les jeunes habitants des faubourgs ont décidé de prendre leur destin en main et de faire partir Lansana Conté du pouvoir.


Il pleut des balles et des cadavres en Guinée depuis le vendredi 9 février. A l'hôpital national Donka, le seul Centre hospitalier universitaire (CHU) de Conakry, depuis la nuit du vendredi, jour de la nomination de M. Eugène Camara au poste de Premier ministre, la noria des ambulances de la Croix rouge ne cesse de s'accélérer. Tous les médecins, même les gynécologues et les dermatologues, sont réquisitionnés, pour aller renforcer les services des urgences chirurgicales et le service de traumatologie. Des ambulances portant des inscriptions en italien indiquant que c'étaient des dons de la Croix rouge napolitaine à la République de Guinée, s'arrêtent dans un crissement de pneus et, aussitôt, des auxiliaires de santé et des médecins en jaillissent, couverts de sang. Un brancard ou une civière, portant un blessé criant à fendre l'âme ou figé dans un silence cadavérique, accompagné d'un parent tremblant ou sanglotant, en descend.





Des commissariats saccagés, des armes emportées





Le malade est transporté aux urgences, le brancard récupéré, l'ambulance repart aussitôt dans un crissement de pneus. A la salle de soins située au rez-de-chaussée du pavillon principal, les médecins débordés pratiquent de la médecine de guerre. Sans anesthésie et avec des moyens de fortune.

Tous, ils sont hantés par les pertes massives de sang, car la plupart des blessés qui ont rendu l'âme à l'hôpital, sont décédés des suites d'hémorragies importantes. Devant nous, un patient atteint d'une balle à la cheville et qui perd beaucoup de sang est traité. Sans anesthésie, les médecins ouvrent la plaie, y introduisent des ciseaux et des pinces. L'un d'entre eux, qui n'est pas chirurgien, nous explique : On cherchait la veine qui pisse le sang pour l'étrangler et arrêter l'hémorragie. On n'avait pas le temps de lui faire une anesthésie locale. Il aurait pu se vider de son sang et mourir. Actuellement, même s'il a perdu beaucoup de sang, il est hors de danger . Réfugié dans le bureau de ce médecin et enfermé à double tour, car l'hôpital grouille d'agents des renseignements généraux, se promenant talkie walkie en main, venus surveiller les parents des malades et les responsables des ONG qui s'occupent des blessés, il fait une description des blessés. Tous les malades que vous avez vus souffrent de plaies transficientes au niveau de l'abdomen (les balles sont entrées et sorties du corps) causées par des armes à feu. Vous avez vu ces éviscérations causées par les balles (les intestins sortent de l'abdomen). On pourrait en déduire que les tirs ont été effectués à bout portant. Il y a plusieurs cas de dommages importants au niveau de la cage thoracique entraînant des hémothorax, pneumothorax, des hémiparalysie suite à des dommages portés à la colonne vertébrale. Au service de neurochirurgie, vous verrez tous les malades qui sont là, dont certains sont en état de mort clinique après la perte d'une part importante de cervelet. Les militaires, vous le savez certainement, ont tiré sur des gens mais ils en ont jetés d'autres du haut du pont du 8 novembre (environ 10 mètres de haut). Plusieurs jeunes ont ainsi vu leur colonne vertébrale brisée. Mais d'une manière générale, la majorité des patients décédés l'ont été surtout par hémorragie.

Hier dimanche à 17 heures, le pays comptait 25 morts, dont 13 rien que dans la seule ville de Conakry. Et le mot d'ordre de grève générale n'était pas encore entré en vigueur. Il n'est effectif que depuis ce matin. L'intersyndicale (association des centrales syndicales que sont le CNTG) dirigée par Rabiatou Serah Diallo et l'USTG du Dr Fofana Ibrahim, élargie aux syndicats proches du pouvoir que sont ONLSG et l'UDTG, a déposé vendredi matin un avis de grève qui devient effectif ce jour. Mais les jeunes issus des faubourgs n'ont pas la patience d'attendre. Dès l'officialisation de la nomination d'Eugène Camara, beaucoup d'entre eux se sentent floués et, sans attendre un quelconque mot d'ordre, commencent à poser des barricades dans les rues. C'est à Hamdallaye, Taouyah, Hafia, Dar-es Salam La manifestation commence à grossir vers 22 heures. Les revendications politiques commencent alors à fuser. Dorénavant la rue ne veut plus de meilleures conditions de vie, mais la démission de tout le gouvernement et la tête de Lansana Conté. Ainsi, un cortège de véhicules de l'escorte présidentielle qui passe au quartier Matam est caillassé par les jeunes manifestants. Les bérets rouges du BASP (Bataillon autonome de la sécurité présidentielle), ripostent aux lancers de pierres par des tirs de fusils d'assaut dans la foule. Deux personnes sont tuées, dont un élève de 14 ans. Ces meurtres mettent le feu aux poudres et la mèche de la déflagration sociale s'allume. Les jeunes émeutiers se livrent alors à ce qu'ils s'étaient refusés de faire lors des précédentes manifestations : les pillages. Le samedi matin, tous les faubourgs de Conakry rallient le mouvement, choqués par la mort des deux jeunes de Matam. Rameutés par la clameur populaire et Radio-cancan qui décuple le nombre des victimes, les jeunes emportent tout sur leur passage. La mairie de Ratoma, l'agence SGBG (Société générale de banque en Guinée) du carrefour Constantin, l'agence Western Union de Hamdallaye, l'agence Sotelgui (Société des télécommunications de Guinée) de Taouyah, une station d'essence à Hafia, les boutiques de vente de cartes de recharge téléphonique Areeba et Nafa, des boutiques appartenant à des membres du PUP, le parti présidentiel, et même l'une des résidences du capitaine Ousmane Conté le fils du président Conté, située à Taouyah dans la commune de Ratoma, sont pillées ou saccagées.





Vers la proclamation de l'état d'urgence





Pour maintenir l'ordre, la police anti-émeute et la Brigade anti-criminalité (BAC) sont déployées dans les rues dès l'aube, le samedi 10 février. La police sécurise Kaloum, le quartier des affaires et Dixinn le quartier des ambassades, puis prend position devant les points stratégiques de la capitale : l'Assemblée nationale, le palais présidentiel, la RTG (télévision guinéenne), le carrefour Liberté. L'armée faisait des patrouilles à vive allure dans la ville. La foule n'a pas déferlé dans les communes riches, mais défend l'accès à ses quartiers, divisant de facto, la ville en deux. D'un côté les quartiers riches ultras protégés par la police et l'armée, et de l'autre, les faubourgs privés d'eau et d'électricité 16 heures par jour, où se massent le gros des émeutiers. Les hauts cadres, qui n'ont pas eu le temps de faire sortir leurs familles ont tous pris des chambres à l'hôtel de l'Indépendance. Les touristes et les Occidentaux en général restent barricadés dans leurs hôtels. De temps en temps, la police fait des incursions dans les quartiers chauds et cela donne lieu à des affrontements qui s'achèvent toujours par des morts du côté des manifestants.

Vu le nombre de plus en plus grandissant de morts dans leurs rangs, les manifestants se radicalisent. Ainsi, hier dimanche, plusieurs commissariats ont été attaqués et des armes emportées. Il s'agit des commissariats des quartiers Matam, Coza et Bonfi. Certains émeutiers sont dorénavant armés. Plusieurs préfectures à l'intérieur du pays, sont saccagées. Dans la ville de Mandiana, tout ce qui rappelle l'Etat est parti en fumée. A Coyah et Kankan, l'insurrection est totale et les forces de l'ordre ont disparu.

Dorénavant, les manifestants, soutenus par l'Intersyndicale à l'origine de la grève de 18 jours au mois de janvier, ne veulent plus négocier. Ils réclament le départ pur et simple du général Lansana Conté, qui gouverne la Guinée depuis 1984 c'est-à-dire depuis bientôt 23 ans. Le président Conté qui est à la moitié de son septennat, (il vient de démarrer sa 4ème année) n'entend pas s'en laisser conter. Selon des sources dignes de foi, il a pris la décision de proclamer l'état d'urgence. Cela signifie le renforcement des pouvoirs de police de l'armée et l'autorisation donnée à la garde présidentielle, le fameux BASP, de se déployer dans les rues pour pourchasser les manifestants. Tout le monde le sait en Guinée, quand la garde présidentielle sort, elle ne rentre jamais avant d'avoir fait au moins une dizaine de tués. Le général-président semble déterminé à se battre pour conserver son fauteuil, même s'il ne gouverne pratiquement plus. Tous les grands leaders syndicaux sont entrés dans la clandestinité et ne répondent plus au téléphone. Ils savent qu'à partir de ce matin, la répression se mettra en place. Ils savent qu'ils sont les cibles prioritaires. Leurs délégués répondent à leur place. L'un d'entre eux accepte de nous informer que le chef de l'Etat les a fait convoquer au camp Almamy Samory Touré où il réside depuis quelques temps. Mais ils refusent de s'y rendre tant que cette convocation ne sera pas appuyée par un document officiel.

La Guinée se trouve donc dans un état de fièvre politique forte, que les médecins du centre hospitalier national Donka ne peuvent traiter. Occupés qu'ils sont à soigner les blessés, qui ne cessent de déferler sur cet hôpital délabré et démuni.





Touré Moussa

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