jeudi 31 mai 2007 par Notre Voie

Le président du conseil général de Sinfra n'a qu'un seul mot à la bouche depuis son élection : des ressources propres pour son département qui ne doit pas dépendre totalement des subventions de l'Etat. Comment compte-t-il s'y prendre ? Notre Voie l'a rencontré.

Notre Voie : Depuis votre élection, vous êtes le seul président de conseil général qui insiste avec autant de hargne sur les ressources propres des départements. Qu'est-ce qui vous fait courir ?
Lia Bi Douayoua : J'ai fait une analyse et j'ai vu que l'avenir des conseils généraux et même l'avenir de la politique de la décentralisation en Côte d'Ivoire réside dans la capacité des acteurs et animateurs de cette politique à mobiliser le maximum de ressources propres. Tant qu'on n'aura pas compris cela, la décentralisation connaîtra des problèmes. Si, la main sur le c?ur, nous attendons chaque année, nous les maires et les responsables des conseils généraux, nous attendons que l'Etat finance l'ensemble de nos activités, cette politique ne va pas aller loin. Tout simplement parce que l'Etat a beaucoup de priorités, surtout en cette période où le pays sort de crise. Et, dans notre politique de décentralisation, nous en sommes aujourd'hui à la communalisation totale de la Côte d'Ivoire. Nous allons passer de 198 à près de 700 communes. Plus les 58 départements et si les élections ont lieu à Duékoué et à Sassandra, ce nombre va augmenter. Dieu seul sait combien de cadres s'organisent aujourd'hui pour voir le président de la République afin que leurs localités soient érigées en département. Ceci, parce que tout le monde a compris le bien-fondé de cette politique de proximité qui fait que les populations prennent en main leur destin en matière de développement.
Avec donc cette grande couverture et la situation de sortie de crise que nous allons connaître et- qui va forcément conférer d'autres charges à l'Etat, il n'aura pas suffisamment de ressources à mettre à la disposition des collectivités locales pour les investissements et les fonctionnements. C'est pour cela que ma réflexion est établie comme quoi l'avenir de la décentralisation passe par les ressources propres.

N. V : Etes-vous suivi par vos pairs dans cette démarche ?
L. B. D : J'ai déjà suscité à l'Assemblée des districts et des départements (ADDCI) l'organisation d'un séminaire à Bassam pour voir comment nous pouvons mobiliser des ressources internes. J'ai bénéficié dans mon département, des concours très précieux d'un préfet qui m'a compris très tôt. Au point qu'aujourd'hui, dans toutes les sous-préfectures, c'est le conseil général qui gère les marchés. Parce que la loi sur le régime financier, fiscal et domanial des collectivités est très clair là-dessus. Il y a un certain nombre de tâches pour lesquelles nous avons une quote part pour renflouer nos caisses.
Voici donc le combat que nous menons. Nous voulons faire en sorte que, dans les années à venir, notre budget repose en grande partie sur la mobilisation de nos propres ressources. Ainsi, nous serons maîtres de notre destin. Je suis allé en France où j'ai visité un certain nombre de conseils généraux, précisément celui de Rhône. Il dispose de près de 785 milliards de FCFA. Ce n'est pas le chiffre qui est important, mais le fait que 80% de cette somme proviennent de la mobilisation interne. A la limite, c'est de manière subsidiaire qu'ils ont la subvention de l'Etat. Il faut que nos collectivités territoriales aillent vers cela.
Il faut que nous, les responsables, ayons le courage d'aller vers nos parents pour leur dire qu'il faut payer l'impôt foncier. S'ils le font, la mairie a 40%, le conseil général 35%. Cela fait 75%. Ce pourcentage de ce qu'ils payent reste dans le département. C'est quelque chose d'important qu'il faut leur expliquer, et je l'ai fait.

N.V : Quels sont les différents secteurs qui peuvent rapporter de l'argent aux conseils généraux ?
L.B.D : La loi est clair là-dessus. Il y a l'impôt foncier. Pour toutes les patentes préléves dans le département, le conseil général a 35%. Pour les vignettes payées dans le département, le conseil général a 45%. Même dans les taxes forfaitaires des petits commerçants et artisans, le conseil général a une part. Pour l'impôt synthétique, la mairie a 40% et le conseil 10%. Tout cela se trouve dans la loi et je crois que le président de la République ambitionne de faire une grande réforme de la fiscalité pour faire en sorte qu'une grande partie des impôts locaux qui sont prélevés revienne aux collectivités locales. C'est à partir de cela que nous pouvons nous en sortir.
Ainsi, nous serons mis devant nos responsabilités. Si nous voulons, pour des questions électoralistes, éviter de titiller nos parents et qu'ils ne payent pas l'impôt, nous n'aurons pas les quotes parts et nous ne pourrons pas faire face aux différentes charges. C'est cela ma conviction et j'ai été aidé par un préfet qui m'a compris et qui nous appuie fortement. Nous allons faire une réunion avec tous les sous-préfets pour qu'ils nous cèdent les taxes d'intérêt général (TIG) que les exploitants forestiers payent dans les différentes sous préfectures. C'est que nous avons désormais la responsabilité du développement. Nous allons donc faire la passation des charges et ces taxes vont revenir au conseil général. Nous serons le premier conseil général en Côte d'Ivoire à bénéficier de cette taxe que la loi a prévue. Mais il fallait quelqu'un pour aller la chercher.
Nous sommes en contact depuis quelque temps avec les exploitants forestiers parce que la loi leur fait obligation de reboiser des espaces en proportion des cubages de bois qu'ils font sortir du département. Ce qui est logique. Avant, cela n'était pas suivi. Nous allons mettre à contribution tous ces exploitants forestiers qui coupent le bois ici pour qu'ils fassent ce que la loi a prévu. La loi leur fait aussi obligation d'aider les collectivités locales dans la réalisation d'un certain nombre d'infrastructures. Ce sont des choses que nous avons su il n'y a pas longtemps et nous avons écrit au chef de cantonnement forestier ici et aux responsables des scieries qui font couper le bois ici pour qu'elles fassent face à leurs obligations. Ce sont des choses prévues par la loi, mais il faut le savoir. Mais si vous ne vous y intéressez pas et que vous êtes assis pour dire : Ah ! je n'ai pas de trésorerie, l'Etat devrait mettre ceci ou cela à ma disposition et rien n'est venu?, mais vous allez attendre. Parce que l'Etat a d'autres priorités. L'Etat définit ses priorités, mais, au niveau des collectivités locales, il nous appartient de définir les nôtres. Et leur satisfaction passe par la mobilisation des ressources internes.
Nous avons mis en place un comité dirigé par le troisième vice-président et qui fait des réunions périodiques avec le payeur, le responsable des impôts et le trésorier du département. Nous leur demandons chaque fois ce qu'ils ont prélevé, quelles sont leurs difficultés, etc. Nous avons engagé des gens que nous payons à la fin du mois et qui les aident dans la mobilisation des ressources propres. Nous avons prévu, dans le budget modificatif, l'achat de deux mobylettes pour les aider dans la mobilisation des ressources propres. A la fin de chaque mois, nous leur donnons du carburant pour leur permettre d'être sur le terrain pour faire le recensement et mobiliser les ressources. C'est la voie du salut ; il n'y en a pas d'autres.

N.V : Quel est le taux de ressources propres que vous pensez atteindre à court terme dans la réalisation de votre budget ?
L.B.D : L'année dernière, nous en étions à 30%. Nous étions partis de 20%. Nous voulons progresser et nous sommes sur la voie. Nous nous sommes donné des objectifs chiffrables. Nous avons un document où, pour chaque type d'impôt, nous nous donnons un objectif annuel que nous déclinons par mois. Ce tableau de bord est suivi par l'ensemble des membres du bureau du conseil et des différents responsables des régies. Nous savons donc si nous allons dans le bon sens ou si nous avons des difficultés. Si nous avons des difficultés, nous voyons ce qu'il faut faire. En début de chaque année, nous rencontrons les cadres et nous leur demandons, par exemple, de venir payer leurs vignettes à Sinfra pour nous permettre de gagner les 45%. Nous avons une représentation à Abidjan. Ils nous remettent leur argent et nous venons acheter leurs vignettes. Voici une série d'actions que nous menons, parce que nous avons des objectifs chiffrés et que nous contrôlons chaque mois.

N.V : Vous avez, également, créé des structures pour le financement des activités lucratives des femmes et des jeunes. Comment cela a été réalisé ?
L.B.D : La population de Sinfra est évaluée à près de 200.000 âmes. Et 70% de cette population sont jeunes. Et ces jeunes n'ont pas de perspectives. Nous les voyons quelquefois à la gare routière en train de jouer les coxers. Les jeunes et les femmes viennent ici pour nous demander de l'aide, afin de réaliser des activités. Mais si nous nous esseyons dans nos bureaux pour sortir 100.000, 150.000 FCFA, 200.000 FCFA, et aider tous les jeunes et les femmes qui nous sollicitent, même le budget entier qu'on met à notre disposition pour les investissements ne va pas suffire.
Nous avons réfléchi et nous avons trouvé qu'il était bon de dégager la somme de 10 millions FCFApouvant servir de caution auprès d'un établissement de micro-crédit, afin de prêter de l'argent aux jeunes et aux femmes. Ainsi, ils savent qu'ils doivent faire fructifier l'argent qu'ils prennent et le rembourser pour que ce remboursement serve à d'autres jeunes et femmes. Nous l'avons fait avec la CMEC et la COOPEC. Bien sûr, nous constatons que nous avons des difficultés, parce que le taux de recouvrement est de 58 à 60%. Mais nous avons pris les garanties nécessaires. Pour chaque prêt, il y a un aval. Donc, par tous les moyens, cet argent sera récupéré.
Certains avaient pensé à un butin de campagne, parce qu'ils nous ont soutenu pendant les élections. Eh bien, ils se sont trompés, car nous sommes à présent dans la phase de recouvrement par voie d'huissier, avec tout ce que cela comporte comme frais. Il n'y a pas un seul prêt qui ne sera pas recouvré, parce qu'il s'agit de l'argent de toute la population et il ne doit pas rester dans la poche d'une seule personne.

N.V : Ces difficultés ne vous découragent-elles pas un peu ?
L.B.D : Pas du tout! Nous nous attendions à ces difficultés et c'est pourquoi nous avons mis ces garde-fous. Il y a un comité de gestion. Nous connaissons ceux qui ont pris l'argent et leurs avals. Figurez-vous que dans cette période de difficulté, nous avons déjà réussi à recouvrer la somme de 150000 FCFA en 15 jours. Nous allons donc tout recouvrer et reconstituer la caisse de garantie. Vous ne pouvez pas imaginer la joie que cette opération a produite chez des gens. 250.000 FCFA, ça change la vie d'un individu. Une jeune femme, une veuve, une déplacée de guerre, elle peut faire un petit commerce avec 50000 FCFA et changer sa vie.
Nous avons donc fait beaucoup d'heureux et nous voulons continuer d'en faire et quelques-uns ne vont pas nous détourner de nos objectifs. Nous y avons cru et nous allons nous donner les moyens d'avancer. Le but du conseil général n'est pas seulement de faire des infrastructures, c'est aussi d'améliorer les conditions de vie, le revenu moyen de nos populations.

Interview réalisée à Sinfra par Paul D. Tayoro

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