samedi 26 mai 2007 par Notre Voie

11 ? Le baiser de paix est-il un baiser ou une embrassade ?
Lecteurs miens, nous sommes à l'heure du pardon et de la réconciliation, une heure qui ne va pas, ni ne s'écoule sans baisers (de paix) et embrassades. Témoin, le titre de l'article fort riche de Marie-Adèle Djidjé, et je cite: Gbagbo et Soro se donnent le baiser de paix devant Dieu? (in Frat-Mat du lundi 21/05/07). Ah, bon ! comment ça ? Un baiser de paix devant Dieu, est-ce un petit bisou ou un grand bisou ? Mon Dieu ! Heureusement que sous le même titre, il y a une photo avec le sous-titre suivant qui précise la nature du baiser de paix, et je cite : Gbagbo et Soro s'embrassent sous le regard attendri? (jouissif serait blasphématoire) du cardinal Renato Raffaele Martino?. Bien vu et bien dit, Marie-Adèle, tu t'es rattrapée à temps. Nous sommes dimanche 20/05/07 à la Cathédrale Saint-Paul, à la grande messe officiée par le légat (du latin legatus, envoyé, délégué, ambassadeur) du Pape Benoît XVI. Avec la photo, l'on comprend que le baiser de paix est ici fort synonyme d'embrassade, action qui consiste à recevoir un ami (un allié) dans ses bras ou à se jeter dans les siens, à l'entrelacer pour marquer son amour ou son affection, geste qui, du reste, peut être accompagné de ... baisers (action d'appliquer, de poser sa bouche sur une personne, une chose, par affection, amour, respect). A quel moment donc, les deux mots sont-ils distincts ? Qui a lu les oeuvres de Molière sait nettement la différence entre le baiser? et I'? embrassade?. Dans le Misanthrope (1666), Alceste reproche à Philinte sa manie d'embrasser. Une manie qui, selon Molière, produit des donneurs d'embrassades.
Par ces temps de réconciliation, soyons nombreux, lecteurs miens, à être des donneurs d'embrassades. En revanche, dans Le Malade imaginaire (1673), Thomas Diafoirus, saluant la ravissante Angélique qu'il doit épouser, lui demande respectueusement la permission de la baiser? ; le sens du verbe étant faire un baiser à?. Sans aucune connotation sexuelle. C'est cette acception que l'on trouve dans l'expression fort galante baiser les mains, qui signifie faire des baisemains, ses compliments à une personne dont on prend congé?. C'est donc une expression de civilité et de compliment qui évoque assurance de service, de respect et d'amitié à l'endroit de quelqu'un. Exemple: Dites à Madame Fidèle la baronne que le chevalier que je suis lui baise les mains, mille fois ! Du point de vue syntaxique (ou grammatical) nous avons affaire à un mot (baiser) qui a la particularité de fonctionner comme nom ou comme verbe sans changer de morphologie (contrairement à d'autres mots qui ont besoin d'affixes quand ils veulent passer de la catégorie du nom à celle de verbe: arbre/arboriser, politique/politiser, deuill endeuiller, prison/emprisonner...). Pour le mot (baiser), on notera que le verbe a précédé le nom, comme le singe a précédé l'Homme qui, à la différence de son ancêtre, peut avoir l'esprit tordu ou mal tourné. Jadis, mot extrêmement chaste et entièrement pudique à une époque où l'on baisait les mains (cf. Le mot baisemain cité ci-dessus), les pieds, le front et à la rigueur les lèvres d'une personne aimée, mais... c'est tout. A côté du verbe baiser, existait bel et bien l'expression claire faire l'amour avec quelqu'un?. Une telle juxtaposition expressive montre que, sur le verbe baiser, il n'y a aucune ambiguïté, aucun soupçon de grivoiserie et de paillardise. Mais la proximité des deux expressions dans les communautés d'usage (classes riches, classes populaires) et leur présence dans les chansons paillardes ont fini par donner au verbe baiser le sens crû et
grossier que tout le monde connaît, à savoir coiter, forniquer, deux verbes qui évoquent plus la bestialité de la chose que l'idée d'une union intime (cf. Claude Duneton, la puce à l'oreille, Ed. Balland, Paris 2001, pp. 87-91). Ah, les hommes !
Comme nom, le mot baiser retrouve sa vaillance étymologique et sémantique, loin de la paillardise. Dans Cyrano de Bergerac?, Edmond Rostand résume ainsi pertinemment la situation définitoire et je cite : Un baiser, à tout prendre, qu'est-ce?
Un serment fait d'un peu plus près, une promesse
Plus précise, un aveu qui veut se confirmer,
Un point rose que l'on met sur le i du verbe aimer;
C'est un secret qui prend la bouche pour l'oreille
(cf. Corinne Bouteleux, Les phrases célèbres?, Ed. de Vecchi, Paris, 2001, P. 41). Qui donc a entendu ou lu baiser de paix? ne doit penser ni à une bouche contre bouche entre Gbagbo et Soro, ni un secret qui prend la bouche pour l'oreille... mais à une embrassade forte et particulière. Ce baiser est donné en signe de réconciliation, d'amitié ou d'union rétablie. C'est aussi la cérémonie qui a lieu pendant la grande messe. A l'opposé exact du baiser de paix, il y a le baiser de Judas, perfide et traître. Que Dieu nous garde des perfides, destraîtres et du Démon (maudit-soit-il !). Quand à nous patriotes, baisons par civilité ceux qui retournent dans la République après l'avoir agressée. Notre capacité à pardonner nous y oblige.A Marie-Adèle Djidje, mon merci et mes linguistiques félicitations. 21- Zone ex- assiégée ou ex-zone assiégée, que dire ?
La guerre est finie et si invraisemblable que cela paraisse, cette fin a surpris bien de gens y compris leur vocabulaire. Témoins. Des rebelles dans notre vocabulaire nous sommes désormais à ex-rebelles qui, revenus avec empressement dans la lumière de la République, que dis-je, dans la civilisation, courent déjà et à l'aise dans nos patriotiques rues. Si le démantèlement de la zone de confiance nous a donné une ex-zone de confiance, pourquoi les zones assiégées (c'est-à-dire sous contrôle rebelle) qui ne le sont plus deviennent des zones ex-assiégées en
lieu et place de ex-zones assiégées ? Cette interrogation, je la dois au Professeur Mamadou Koulibaly qui s'est irrité de cette appellation (zone ex-assiégée) au séminaire du FPI, des 28 et 29 avril`2007 au Groupe Ivoire Académie à Treichville. Thème Le retour du FPI dans les zones ex-assiégées?, avec sa faute lexicale. En fait, le groupe de mots zone assiégée, renvoyant à une seule réalité ou notion unique, fonctionne comme un bloc (incassable). Quand la soudure est ainsi forte entre les mots mis ensemble, on dit que la forme est lexicalisée. Exemples: (la) chaise longue, (le) malade imaginaire, (sa) femme blanche.... La logique de dérivation impose que ex (élément du latin hors de, antérieurement, ci-devant, ancien) soit placé comme préfixe devant le nom simple ou composé et non comme infixe (à l'intérieur du composé). On dira donc ex-zone assiégée comme on dit (son) ex-femme blanche, les ex-forces rebelles, l'ex-malade imaginaire... et non autre chose. Par comparaison syntaxique, l'adjectif assiégée (dans zone assiégée?) est dans la même fonction d'épithète que le syntagme de confiance? (de zone de confiance), de même que bovine (cf. viande bovine) est épithète comme est épithète le segment de b?uf (cf. viande de b?uf) qui lui est substituable.
C'est donc une impropriété de dire ou d'écrire zone ex-assiégée dont abusent volontiers la presse et même certains beaux esprits de la République. Nul ne pouvant dire zone ex-de confiance, mais ex-zone de confiance. Ne pas mettre le ex là où il faut, c'est en ajouter à nos maux (de tête). Et, dans cette République, bien de choses ne sont pas à leur place. Témoin, les grades Soro que la République a du mal à trancher. Pourquoi des faux grades militaires sur des rebelles peuvent-ils devenir de vrais grades militaires sur des ex-rebelles ? Ce n'est pas du blanchiment ça ? Les rebelles ont-ils pris les armes pour une question de grade ?
Je terminerai par cet exemple tantinet personnel. Un cousin mien, jeune transporteur à Tengréla, et membre actif de la rébellion, a failli perdre son grade d'adjudant payé à crédit, 7000 frs (sept mille francs), me dit-on. Son chef de zone Brahima Konaté, qui n'est plus, menaça de le dégrader s'il ne payait pas le reste de l'argent. Il se mit à jour la semaine qui suivit... en disant qu'il y a des puits qu'on creuse aujourd'hui pour des soifs de demain. Pour le cousin mien, que dis-je, l'adjudant, I'heure de boire est arrivée... A vrai dire monsieur le ministre de la Défense, il arrive que l'on crée un problème en le posant sur la place publique. A méditer.


Koné Dramane

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