vendredi 25 mai 2007 par Nord-Sud

Le conseiller spécial du chef de l'Etat chargé de la défense, de la sécurité et des équipements militaires fait le point, dans cette interview, sur le démantèlement des milices à l'Ouest.

Monsieur le conseiller, moins d'une semaine après le passage du président à Guiglo pour le démantèlement des groupes armés, la tension est vive. Quel est l'état des lieux ?

Permettez-moi de faire d'abord un retour en arrière pour situer les choses. C'est vers la fin du mois d'avril que Maho Glofiéhi, le chef des Forces de résistances du grand ouest (Frgo) et les différents chefs des groupes armés sont venus me voir pour manifester leur désir de déposer les armes sans condition. Ils l'ont signifié à moi et au général Jean Pierre Lorougnon. La nouvelle était si bonne qu'il fallait informer le président de la République. C'était également le désir de Maho et de ses amis d'informer le président. C'était une aubaine pour nous. Nous avons donc présenté la situation au président de la République. Le président nous a donné mandat pour poursuivre les discussions avec eux afin d'étudier toutes les modalités. Avec l'accord du président, Jean Pierre Lorougnon et moi avons convié toutes ces personnes à une rencontre. Ils ont réitéré leur volonté d'aller au désarmement sans condition parce que pour eux, la raison pour laquelle ils ont pris les armes n'était plus d'actualité car avec l'accord de Ouaga, une nouvelle dynamique de paix s'est amorcée. Nous avons consigné tout cela dans un procès verbal. (Il nous présente une copie de ce PV). Ce document que nous avons tous signé est assorti d'un chronogramme qui devait déboucher sur une cérémonie de remise des armes au président de la République le 19 mai à Guiglo. Nous avons exécuté entièrement ce chronogramme. Nous avons invité les préfets de région et les autres préfets à venir à Abidjan pour une réunion avec le chef d'état major des armées pour leur présenter ce que les jeunes gens voudraient faire. Ils ont été priés de recenser les armes et de régler les détails de l'opération. Nous avons par la suite rencontré les responsables de Lima et du Frgo ici à Abidjan, pour accorder nos violons. Nous avons également rencontré des cadres et élus de l'Ouest pour préparer tout cela. Le clou de ces préparatifs, c'était le 19 mai. Comme je ne pouvais pas attendre cette date pour me rendre à Guiglo, je m'y suis rendu à partir du 15 mai. J'ai parcouru les villages pour expliquer aux gens pourquoi il fallait rendre les armes. C'est quand cette tournée a été bouclée, que je suis revenu ici. Je précise que dans la nuit du 16 au 17 mai, nous avons réuni à Guiglo, pour une séance de travail, les préfets et tous les responsables des groupes armés de 19h à 5h du matin. Il fallait faire les derniers réglages. Le principe était qu'il fallait faire un geste? pour accompagner le processus de désarmement volontaire. Nous avons étudié la clé de répartition d'un montant total de 280 millions de F Cfa à distribuer aux jeunes gens.

D'aucuns ont parlé d'un montant total de 500 millions.

Ce sont des histoires. Les 280 millions de F CFA devaient surtout servir à payer le transport des jeunes et à les encourager à s'inscrire dans le processus de paix.

Nous sommes tombés d'accord sur la répartition de l'argent par département et par groupe afin que chacun puisse en avoir. A Duékoué, il y a deux groupes, Apwê et Upergo, qui ont reçu 25 millions. A Guiglo, le Flgo, l'Upergo et l'Apwê ont reçu 50 millions. A Bloléquin les groupes se sont mis ensemble. Cela a fait un total de 50 millions. A Toulepleu, le Flgo et le Lima ont eu 60 millions. Pour les autres départements, certains groupes comme celui de Nonzi Paul et le Miloci qui viennent d'Abidjan ont eu 15 millions pour les deux groupes. Pour les mouvements divers, on a réservé 60 millions. Avant notre arrivée, les arriérés de factures se sont élevés à 20 millions. Le total des sommes donne 280 millions. Chacun des chefs a reçu une copie de la clé de répartition.

Comment l'argent a-t-il été transporté et qui l'a distribué?

Ce n'est pas Kadet Bertin qui a transporté l'argent. L'argent a été viré par le ministre des Finances à la trésorerie départementale de Guiglo. Le percepteur de Guiglo est allé chercher l'argent à Daloa. Les fonds ne sont pas passés par moi. Je croyais que l'argent allait mettre du temps avant d'arriver. Mais à la veille de la cérémonie du 19 mai, le percepteur m'a informé qu'il avait déjà reçu les fonds. Juste après la cérémonie, j'ai demandé que la répartition soit faite selon la clé validée par tout le monde. Voici le procès verbal établi après la distribution. (Il nous montre le document)

La grille de répartition a-t-elle été respectée ?

Bien sûr. Après la cérémonie, je suis rentré avec l'avion, puisque tout était déjà calé. C'est en présence de tous les préfets que la répartition des fonds a eu lieu. Je n'y étais pas, mais on m'a fait parvenir le document où tout le monde a émargé.

Le problème est que nombre de chefs de groupes armés n'ont pas donné d'argent à leurs éléments. D'où le mécontentement général

Je ne peux pas répondre à cette question, puisque cela n'est plus de mon ressort. J'ai fait le travail qu'on m'a demandé.

Avez-vous mis en place un comité de suivi, puisqu'il s'agit de fonds importants ?

Bien sûr que j'ai pensé au suivi. Comme dispositif mis en place, les Préfets de régions et les Préfets dans chaque département sont chargés de suivre la répartition des fonds entre les chefs et leurs éléments. Certains ont dû fuir. Hier, j'ai rencontré ici à mon bureau, Nonzi, Colombo et Gammi qui ont été mis en cause. Je leur ai demandé de retourner sur le terrain pour aller remettre l'argent aux destinataires. Ils ont été priés de tout faire pour régulariser la situation. Je suis l'évolution de la situation.

Combien de personnes sont concernées par la répartition des fonds?

Je ne rentre pas dans ces détails parce que les chefs sont venus me dire qu'ils veulent déposer les armes sans condition. Cela signifie qu'ils prennent des dispositions à leur niveau pour désarmer leurs éléments et faire le point. A partir de ce moment, je ne m'adresse pas individuellement aux éléments. Mon rôle à moi, c'est de vérifier si effectivement les armes on été déposées. Ce que le président a donné est une faveur pour l'ensemble de ceux qui ont déposé les armes. Sachez que l'argent a été remis en présence de témoins. Chaque chef devait venir avec deux de ses éléments. Mais de toutes les façons, les listes de tous les combattants sont ici à mon secrétariat.

Etes-vous vraiment convaincu que toutes les armes ont été réellement déposées ?

Ce que vous posez comme question n'est pas important. Le plus important c'est que les gens ont manifesté la volonté de déposer les armes et ils l'ont fait. C'est cette dynamique qui est extrêmement importante. Maintenant, il faut décrypter le message de Maho Glofiéhi. Il a dit qu'à partir de cet instant, tous ceux qui seront pris avec des armes seront responsables devant les lois de la République. Et que son mouvement ne couvrirait aucun individu détenant des armes. Ce message est fort pour les autorités que nous sommes. Très rapidement, l'Etat va assumer ses responsabilités vis-à-vis de cette région. Il faut renforcer la sécurité des gens dans la région.

On vous reproche de n'avoir pas associé le Centre de commandement intégré (Cci) à votre action de démantèlement des milices.

Le chef d'état-major des armées, je le disais tantôt, a participé à des réunions préparatoires de la cérémonie. Je ne peux rien entreprendre sans informer le chef d'état-major des armées. Je suis conseiller du président de la République et je rends compte au chef de l'Etat. Et c'est lui qui donne les instructions. J'ai validé ce que je devais faire avec le chef d'état-major. Je crois avoir fait mon travail. Dès l'instant où le Cema est informé, toute la structure chargée de mener cette opération de démantèlement est mise dans le moule. Je crois également qu'il faillait saisir la balle au bond. Et ne pas perdre le temps avec les procédures administratives. Les gens veulent déposer les armes, ok, on les prends et ensuite on avise. Le ministre de la Défense a été informé.

Justement, d'aucuns pensent que vous empiétez sur les prérogatives du ministre de la Défense. On dit même que vous êtes en fait, le vrai ministre de la Défense.

Que les gens pensent ce qu'ils veulent. C'est leur problème. Je fais mon travail au côté du chef de l'Etat. Et jusque-là, aucun ministre ne se plaint. Ceux qui pensent cela ne souhaitent pas qu'on sorte de cette crise. Le ministre Amani N'Guessan ne s'est jamais plaint du fait que je marche sur ses plates-bandes. Le ministre de la Défense est bien associé à cette opération, contrairement à ce que les gens peuvent penser. J'ai toujours rendu compte de l'évolution de mes missions au ministre.

Dans l'accord de Ouaga, il est dit que c'est le Cci qui s'occupe du démantèlement des milices. Après ce que vous venez de faire à Guiglo est-ce que le Cci ira encore sur le terrain ?

Nous avons fait le désarmement et le démantèlement des groupes d'autodéfense de l'Ouest ivoirien. C'est une ?uvre achevée. Le discours est on ne peut plus clair. Dès maintenant, toute personne prise en treillis ou en arme est en infraction si on s'en tient aux déclarations du chef Maho. Pourquoi voulez-vous qu'on recommence cette opération parce que ce n'est pas le Cci qui l'a dirigée ou menée ? L'Onuci était là. C'est à Abou Moussa que le président de la République a remis les armes. Qui mieux que l'Onuci est habilitée à valider ce qui est passé ? Allons devant et abandonnons les sentiers battus. Que tous s'engagent dans cette direction.

Les Ivoiriens ont été surpris de voir des mines anti-personnels dans l'arsenal de Maho. Etiez-vous également surpris?

Moi, je n'étais pas surpris. Il faut savoir que dans l'arsenal militaire de la Côte d'Ivoire, il n'y a pas de mines anti-personnels. Vous savez que la région de Toulepleu et de Bloléquin a été occupée pendant deux mois. On ne sait pas ce que l'ennemi a envoyé. Or, la plupart des armes qu'utilisaient les groupes d'autodéfense ont été arrachés à l'ennemi lorsqu'il était en déroute.

Beaucoup affirment que parmi les 1.027 armes qui ont été déposées, la majorité était constituée d'engins rouillés. Quelle explication?

Ceux qui soutiennent de telles assertions refusent de voir la réalité en face. Nous sommes en crise depuis 5 ans. Les affrontements directs n'ont duré que deux à trois semaines. Depuis lors, il n'y a pas de guerre. On gère la crise. Comment voulez-vous que des armes entreposées, qui ne servent pas, ne soient pas rouillées?

Le Cci aura-t-il vraiment les moyens de mener ses actions sur le terrain ?

Le Centre de commandement intégré aura les moyens pour faire son travail. C'est normal que les choses traînent un peu. La structure vient d'être créée. Ce qui compte, c'est la dynamique dans laquelle elle est née. Depuis N'Gattadolikro où la première brigade mixte a été mise en place, les choses sont en train d'avancer progressivement. Je pense aussi que la communauté internationale qui est engagée fortement dans ce programme va mettre des moyens à la disposition de la Côte d'Ivoire. Il faut compter avec cette donne. Dans l'urgence, ce qu'il faut pour sécuriser la zone de l'Ouest, c'est que l'armée ivoirienne prenne le relais. Pendant que les miliciens ont déposé les armes, il ne faut pas que d'autres personnes en armes en profitent pour terroriser la population. Que les populations, elles-mêmes, contribuent à leur sécurité en dénonçant tout mouvement suspect. Elles doivent être leur propre service de renseignement. C'est cette collaboration entre la population et les Fanci qui doit ramener la paix dans cette région, définitivement. Il faut que les gens regagnent leurs domiciles et leurs plantations pour que la confiance et la cohésion renaissent.

Le Pnddr a-t-il encore sa place dans les processus de désarmement ?

Je ne porte aucun jugement de valeur sur le Pnddr. C'est une structure créée par l'Etat de Côte d'Ivoire. Il jugera de l'opportunité de son maintien ou de sa disparition. Je ne m'engage pas dans cette polémique.


En votre qualité de conseiller du Président pour les questions militaires, comment envisagez-vous la future armée réunifiée de Côte d'Ivoire ?

Nous travaillons sur la future armée. Le temps n'est pas encore venu pour étaler cela sur la place publique. Ce que je peux vous dire, c'est qu'il faut réexaminer la doctrine d'emploi de notre armée. Il faut tout remettre à plat. La première doctrine faisait de notre armée une petite armée capable de régler les problèmes intérieurs. L'armée française était là pour s'occuper de la défense de la Côte d'Ivoire. L'évolution de la situation à la faveur de la crise, a montré que cette doctrine-là n'est plus opérationnelle. Aujourd'hui, notre armée présente un certain nombre de problèmes. Je peux en citer deux ou trois. Il y a d'abord un problème de statut. Dans les années 90, après la révolte, les militaires ont obtenu d'aller à la retraite à 55ans. Un militaire du rang à 55ans ne peut être envoyé en mission. Si bien qu'aujourd'hui, les gens sont nombreux. La régulation normale des effectifs est bloquée. On dit abusivement qu'il y a plus d'officiers que de sous-officiers. A côté de cela, comme les gens ont pris de l'âge, il y a beaucoup de risques de maladie. Il y a beaucoup de grands malades. Il faut réexaminer la question du statut très rapidement. L'armée a également un problème d'effectif.

Quel est le nombre de militaires ivoiriens ?

Quand on associe tous les corps, on tourne autour de 18.000 hommes. C'est insuffisant pour un pays comme la Côte d'Ivoire. C'est à revoir. En troisième lieu, il y a le problème de la formation. Il y a de nouveaux emplois plus techniques. Il faut s'adapter. On a besoin de logisticiens, de marins et de pilotes etc. Il faut également revoir la répartition des bases militaires sur l'ensemble du territoire. Dans la reforme, il y a beaucoup de choses à faire. Il ne s'agit pas seulement d'associer les Fanci aux Forces nouvelles pour dire qu'on a une nouvelle armée. Il y a les grands chantiers. Il faut travailler la doctrine.

La question des grades des Forces nouvelles pose problème en ce moment dans les casernes. Comment allez-vous la régler ?

Il faut que nos militaires se rassurent. Ça, c'est un petit problème que nous allons gérer. Du temps de l'apartheid en Afrique du Sud, ce pays a connu des problèmes pires que les nôtres quand il fallait aller à la paix. Il y avait au moins quatre à cinq armées sur le territoire qu'il fallait réunifier. Il y avait l'armée des Blancs et celle de l'Anc. Même-là encore, il y avait beaucoup de groupes comme celui du chef Buthelezi. Malgré toutes ces diversités, ils ont réussi à mettre en place une armée nationale et républicaine. Ce problème des grades n'est pas au-dessus de nos moyens. Il faut que les gens se calment et laissent les responsables travailler. On ne peut pas aliéner les intérêts de la Côte d'Ivoire à un problème de grades. Ce sont des petits problèmes que nous allons régler.

Interview réalisée par Traoré M. Ahmed

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