vendredi 25 mai 2007 par Fraternité Matin

Depuis quelques années, de nombreuses salles de cinéma, dans de nombreux pays africains, sont vides ou fermées. Pouvez-vous en déterminer les causes?
Le constat est juste. Il peut s'expliquer par le fait que nous n'avons sans doute pas su nous adapter à une certaine évolution. Lorsque je dis nous, il s'agit d'un ensemble de partenaires qui inclut, les professionnels, les décideurs publics, les personnes chargées d'orienter la politique des Etats. Dans ce constat, l'on peut déceler plusieurs causes. La première, purement économique, est liée au fait que les salles semblent ne plus être rentables parce que l'affluence a diminué pendant que le coût d'exploitation de ces salles (coût de l'électricité, de la maintenance des équipements, de l'entretien de la salle et de sa qualité) a augmenté. Là où il aurait fallu faire de la réhabilitation, de la rénovation, cela n'a pas été fait à temps et par conséquent, il y a eu un désintérêt du public. Qui a appris à consommer les images dans un confort plus important que par le passé. D'une part, du fait de l'arrivée des cassettes (il y a déjà deux bonnes décennies et demie) qui a modifié l'attitude des spectateurs vis-à-vis du cinéma. Ces derniers peuvent désormais louer les cassettes pour les regarder chez eux, avec une consommation familiale (ce qui coûte moins cher que d'emmener toute la famille au cinéma). D'autre part, pendant ce temps, la qualité de projection dans la plupart des salles qui étaient bien plus des salles populaires que des salles de haut niveau (telle Les Studios que vous aviez ici, etc.), laissait à désirer. Tout cela combiné a fait que les recettes, déjà insuffisantes, ne pouvaient pas supporter les coûts d'entretien et d'exploitation des salles de cinéma. Evidemment, cela s'est conjugué avec beaucoup d'autres choses. Au niveau de la diffusion des films par cassette et par DVD, le phénomène du piratage s'est accru. Le public qui n'a pas forcément un haut pouvoir d'achat, préfère regarder les films à un coût qui n'a rien à voir avec sa valeur économique. Puisque ceux qui font la location des cassettes ne paient aucun droit aux ayants -droit. Un cercle vicieux s'est donc installé ; qui a entraîné la fermeture des salles de cinéma. Et les cinéastes ont assisté impuissants
Les cinéastes n'ont pas assisté impuissants. Ils se sont battus. La piraterie est un crime économique répréhensible et dans la plupart de nos Etats, des textes existent pour lutter contre ce fléau. C'est dans leur application qu'on constate un laxisme phénoménal parce que bien souvent, les instigateurs (ceux qui ont les moyens pour investir dans les équipements pour procéder à la duplication) sont des personnes d'une certaine respectabilité. Parfois, on soupçonne certains, mais lorsqu'on veut faire des descentes (quand on a la volonté au niveau des services étatiques chargés de le faire), on tombe toujours sur du menu fretin et ça ne va pas loin. Il faudrait plutôt une condamnation exemplaire, la prison, une pénalité sévère du point de vue financier pour que les gens se résolvent à comprendre que cela ne doit pas se faire. Imaginez que vous construisez une maison et quelqu'un vient y loger sans avoir de comptes à vous rendre. Pourquoi on laisse faire au niveau de la culture? Tant qu'on n'arrivera pas à donner une base économique aux industries culturelles, ce sera malheureusement une grande part de non développement pour nos pays, une grande part de perte de recettes pour l'Etat. Les professionnels font déjà leur part. Ils font les films dans des conditions absolument difficiles. Et déjà qu'on les accuse de faire trop de choses à la fois (d'être scénariste, réalisateur, producteur et distributeurs de leurs ?uvres), ils ne peuvent pas encore se transformer en forces de police et en arsenal judiciaire pour éviter cela. Il ne s'agit pas devant ce phénomène-là d'être pessimiste ou optimiste, il faut être déterminé pour que ça change. Pour cela, il faut mettre autour d'une table tous les partenaires pouvant contribuer à ce changement. Pour éduquer les populations contre la piraterie, la télévision et la radio pourraient faire de grandes campagnes de sensibilisation parce que la répréhension seule ne peut suffire. Il faut ensuite penser à la mise en place d'une économie cinématographique et audiovisuelle. Je pense qu'il y a une claire nécessité d'une réflexion au niveau bien sûr de chaque pays, mais également au niveau de la CEDEAO, de l'UEMOA de mener des actions permettant de penser de manière plus globale, une politique de l'image, de sa production et de sa circulation dans nos régions. Je sais que l'UEMOA a déjà commencé et il faut s'en féliciter. Il y a eu plusieurs réunions auxquelles les professionnels ont participé. Je pense que c'est dans cette direction qu'il convient d'aller. Je crois aussi qu'il faut absolument faire en sorte que nos pays ne soient pas de vastes marchés pour l'importation de films qui viennent de partout et qui contribuent à folkloriser quelque part nos marchés nationaux. Je veux dire par là que les films rentrent sans qu'aucun droit ne soit payé et reversé à quiconque. Il faut peut-être instaurer des droits à payer sur la cassette vierge parce qu'on sait de toute façon que les gens font des copies. Certains pays ont mis en place un système de taxation sur les supports que nous pourrions copier. De sorte que les taxes recueillies repartent alimenter des fonds qui vont permettre de soutenir la production nationale, d'améliorer le circuit de distribution en salles parce qu'il est certain que les choses ont beaucoup bougé, techniquement parlant. Il faudrait que nous arrivions à poser un certain nombre de piliers, à la fois au niveau législatif, réglementaire pour protéger l'émergence d'une industrie nationale dans chacun de nos pays. Et en même temps trouver le moyen de créer une synergie régionale parce qu'en réalité, il n'y a pas de fatalité. Il faut seulement agir avec des options cohérentes et une détermination dans leur application. Peut-on aujourd'hui imaginer un cinéma sans salle de projection?
Imaginer un cinéma sans salle de projection, je crois que c'est très difficile parce que lorsqu'on parle de cinéma, parfois on fait beaucoup d'amalgames avec tous les titres de production qu'il y a. Notamment les productions vidéographiques de longs métrages. Pour ce qui est du cinéma, un film cinématographique n'existe qu'à partir du moment où cette ?uvre rencontre un public. Et le lieu de rencontre entre l'?uvre et le public, c'est la salle de cinéma. C'est clair qu'il faut avoir une politique de réhabilitation des salles de cinéma. Peut-être qu'il n'y en aura plus en grand nombre comme par le passé. Il faut repenser cela. Le coût d'exploitation des films peut être également modéré par le fait que le support physique peut ne plus être la pellicule cinématographique, mais un disque dur, un DVD, etc. C'est sûr que nous n'allons pas imaginer pouvoir résoudre le problème de la distribution et de l'exploitation des films cinématographiques en Afrique aujourd'hui, en continuant de penser aux salles de cinéma telles qu'elles ont été il y a dix ans. Vous savez que la diffusion sur pellicule cinématographique coûte très cher parce que la pellicule se détériore, elle a un coût très important. Aujourd'hui, on peut diffuser à partir de nouveaux supports. Mieux, on peut programmer plusieurs salles à partir d'un seul point par les nouveaux canaux de transfert de l'information (par rémission de point à point, par satellite, etc.). On peut même imaginer une programmation régionale des films. Il s'agit simplement de se donner les moyens et l'expertise nécessaire pour mettre cela en place. Les professionnels ne peuvent pas être les seuls à réfléchir et à proposer des solutions parce qu'il y a la-dedans, une question de volonté politique, de persévérance dans la mise en ?uvre des choix qui peuvent être faits. C'est pour cela que je dis que chaque Etat pourrait ne pas y parvenir et qu'on pourrait par une coopération régionale y arriver. Cela peut aboutir à la mise en place d'une Union africaine du cinéma. Qu'en pensez-vous?
Nous avons déjà fait des tentatives. Il y a eu le Consortium interafricain de distribution cinématographique (CIDC) et le Centre interafricain de production de films (CIPROFILM). Ces deux organismes ont été l'émanation de l'Organisation commune africaine et malgache (OCAM) qui a commencé en 1968. C'était quand même une vision précoce d'une coopération régionale en matière de cinéma. Pour des tas de raisons qu'il serait fastidieux de relever ici, cette initiative a échoué. D'abord parce qu'il n'y a pas eu une bonne maîtrise de la gestion par les responsables ; cela a été aggravé par le fait que les Etats ne jouaient pas franc jeu. C'était aussi un lieu de confrontation et de volonté de préséance, etc. Tout cela n'a pas permis à ces deux structures qui, sur le plan de leurs idées, étaient très viables. Je ne dis pas qu'il ne faut pas réessayer, c'est d'ailleurs pour cela que j'ai cité l'UEMOA qui, aujourd'hui, est en train de mettre en place une politique sectorielle en matière de production et de circulation des images dans les 8 pays de l'UEMOA. Cela me paraît être un ensemble cohérent qui peut être un laboratoire nouveau et excellent pour tenter d'apporter les corrections dont je parlais tantôt. Parler de cinéma africain ou des cinémas africains, lequel convient le mieux?
Il y a eu une polémique qui s'est instaurée autour de cela, et qui, à mon avis, a été suscitée par une certaine presse européenne, notamment française. Tout le monde parle aujourd'hui du cinéma européen, je ne pense pas que cela signifie que Roman Polanski est un cinéaste comme Mathieu Kakevitch. Ça ne me gêne pas qu'on dise cinéma africain, parce que je ne crois pas qu'il y ait quelqu'un d'assez imbécile pour penser que tous les cinéastes africains font les mêmes types de films. C'est un faux problème dans lequel on tenterait de nous enfermer pour mettre en place des contradictions interpersonnelles. C'est stérile tout ça, parce que notre problème est complètement ailleurs. On dit le cinéma américain, mais nous savons très bien que le cinéma de Scorsese est différent de celui de David Lee. Quand on parle de cinéma africain, on entend par là, le contexte historique dans lequel ce cinéma essaie de naître, de son environnement économique, politique, etc. Mais il ne s'agit surtout pas de dire qu'il n'existe qu'un seul cinéma estampillé parce que personne ne peut dicter à un cinéaste le type de film qu'il doit faire ; ça n'a pas de sens. Je pense qu'il faut que nous apprenions à ne pas emboucher le clairon à des gens qui, au lieu de vivre chacun de nos films pour les comprendre, sont là pour faire des descriptions superficielles des films africains. Il ne faut pas qu'on nous infantilise quand même! Nous savons très bien que lorsqu'on parle du cinéma, il n'existe pas une sorte de brigade de cinéastes qui font tous les mêmes films et que quelqu'un aurait décidé qu'un film africain doit être comme ça et pas autrement. Ça n'a jamais existé et la Fédération panafricaine des cinéastes a toujours insisté sur la liberté de création de ceux-ci et sur la nécessité d'une diversité de la production. Quelle place occupe le cinéma africain dans le contexte de mondialisation et de globalisation?
La place qu'occupe le cinéma africain dans le contexte de mondialisation est quasiment insignifiante, parce que nous produisons très peu et nous avons une très faible capacité de pénétration des marchés. Nos films ne sont pas vus de façon importante sur notre propre continent. Ce n'est pas cependant indifférents que nous continuions de produire des films, même dans cette situation ; parce qu'il y a la nécessité de constituer un patrimoine, parce que le cinéma n'est pas seulement une consommation éphémère. Nous sommes en train de bâtir une mémoire qui sera importante pour les générations futures. C'est pour cela que nous devons bâtir avec les nouvelles technologies pour sauvegarder nos images en les transférant sur des supports numériques, dans des disques durs, parce que les générations à venir auront besoin de savoir, d'avoir des traces de nos vies d'aujourd'hui. Que ce soit au plan de notre imaginaire ou de la réalité documentaire. Est-ce que le cinéma africain nourrit son homme?
Oui, de richesse culturelle. La richesse économique, malheureusement, tarde à se mettre en place, mais elle n'est pas impossible à atteindre. Certains professionnels arrivent quand même à vivre de ce métier. Si tout était respecté et que chacun faisait sa part de boulot, depuis la naissance de l'idée, du scénario, jusqu'à la diffusion en salle, ça irait bien. Nous avons jusque-là des maillons encore très faibles et qui contribuent à affaiblir l'ensemble de l'activité cinématographique. Je pense qu'aujourd'hui, on ne pourra pas séparer le cinéma de l'audiovisuel de façon générale et de la télévision. La télévision africaine est encore un marché énorme où nous pouvons toucher notre public et il faut que nous nous en occupions sérieusement. Cela est d'autant plus déterminant que la jeunesse consomme de plus en plus d'images. Alors, si l'Afrique est absente de son propre regard et de sa propre télévision, l'on peut imaginer les dommages culturels, psychologiques et sociaux que tout cela peut entraîner!
Je pense qu'il nous faut parvenir à inventer une économie adaptée à notre situation. Je vois qu'il y a une grande production de films vidéo au Nigeria. Ils ont trouvé leur marché et c'est rentable. Alors, on peut toujours se dire que c'est malheureusement entre les mains de commerçants plutôt qu'entre les mains des créateurs et des professionnels. Mais il y a là un départ de quelque chose et moi, j'espère que c'est de la quantité que naîtra également la qualité. Le public est très important parce que sans lui, il n'y a pas d'économie. Il y a indiscutablement des piliers à mettre en place pour que nous puissions réellement tirer profit de tout le potentiel qui existe en Afrique. La culture, d'une manière générale en Afrique, peut être porteuse d'une économie forte. Il suffit pour cela de mettre en place des instruments, des règlements, des lois, une législation.
Interview réalisée par
Mayane Yapo
Repères
QUINZAINE. Abidjan accueille, depuis le 15 mai, La quinzaine des cinémas du monde?. Cette manifestation, qui s'achève le 26 mai, a pour thème central: Cinéma et paix?. Elle est organisée par le ministère de la Culture et de la Francophonie, en partenariat avec des ambassades occidentales. HISTORIQUE. C'est le 28 décembre 1895, lors de la première projection payante jamais organisée que naît le cinéma à Paris. Le cinéma américain n'est donc pas historiquement le premier. Il n'est pas non plus le premier en nombre de films produits. Mais il est le plus puissant économiquement et artistiquement parlant. En créant Hollywood en 1907, les Américains ont inventé le Star-système et les films à gros budgets dont le premier du nom est La naissance d'une Nation, du réalisateur D.W. Griffitch, en 1915.

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