vendredi 25 mai 2007 par Fraternité Matin

En marge du lancement des magasins généraux à San-Pedro, Tapé Do donne sa position sur les multiples remous qui secouent la filière.M. Tapé Do, comment se porte la filière quatre ans après sa libéralisation totale?
De mon côté, ça va. De votre côté, c'est-à-dire?
Pour moi, tout va parce que je ne peux pas juger la filière par rapport aux remous. La filière est constituée d'individus de divers horizons. Donc, il peut toujours y avoir des remous. Mais ces remous sont tout de même récurrents. Tant que les hommes seront là, il y aura des remous. Cela est dû à des incompréhensions. Et je pense qu'un jour, on s'assoira autour d'une table pour parler essentiellement de ce dont nous souffrons.
Justement, ces remous ont ressurgi cette fois-ci au moment où les résultats d'un audit de l'Union européenne vous accablent. Quel commentaire vous inspire cet audit?
Il y a six ans que l'Union européenne a perdu le contrôle de la filière. Avant, elle nous envoyait des experts. Aujourd'hui, elle n'a plus facilement cette possibilité. Donc, elle fait ce qu'elle veut pour nous disqualifier de la gestion de la filière. Si les auditeurs s'étaient adressés à des responsables du pays et de la filière pour voir ce qui ne marche pas, on pouvait considérer le résultat de leurs travaux. Un audit, c'est aussi dire comment on doit faire. Mais quand un audit est fait juste pour réclamer la dissolution de tout ce qui existe déjà, ça veut dire qu'on a des idées inavouées derrière. Je pense que la décision ne se trouve entre les mains de l'Union européenne. Où se trouve la décision alors?
Elle est avec le Chef de l'Etat. C'est lui le premier responsable de ce pays. C'est lui qui nous a donné la filière. Si notre gestion n'a pas marché, c'est lui qui doit nous dire la conduite à tenir.
Et si c'est justement le gouvernement qui a demandé l'audit, quelle conduite allez-vous tenir?
Selon ce que j'ai vu et entendu, l'Etat de Côte d'Ivoire a sollicité l'aide financière de l'Union européenne pour faire un audit. Et on leur a confié ce travail. Et ils devraient se payer eux-mêmes. Dans leur rapport, il est même dit que les auditeurs n'ont pas eu accès aux bureaux de certains responsables. Moi, je ne sais pas sur quoi ils se sont basés dans ce cas pour sortir les résultats rendus publics ? Pour moi, ces résultats peuvent être vrais comme ils peuvent être faux. Doutez-vous donc de l'audit?
Moi, j'ai reçu plus de 34 questions de journalistes venus de Londres qui m'ont posé des questions du genre Quels sont tes liens de parenté avec Gbagbo? ou Pourquoi as-tu donné 10 milliards à Gbagbo? , Pourquoi la BCC a signé un contrat avec une compagnie française pour acheter des armes ?. Vous voyez déjà comment c'est faux. Je pense que c'est la deuxième partie de la guerre contre notre pays qui s'annonce. Les gens ne pensaient pas qu'il devait y avoir des discussions directes entre le Président Gbagbo et le secrétaire général des Forces nouvelles, Soro Guillaume. Ils allaient passer par la filière au cas où ce dialogue ne marchait pas pour semer le désordre.
Pour vous, c'est un audit dont les résultats étaient connus d'avance?
Oui. Je m'explique. Selon eux, cet audit a été réalisé en 2006. Et c'est en 2007 que les résultats sont connus. L'audit a été réalisé pendant la guerre. On peut critiquer notre gestion. Mais c'est malsain de mélanger nos actions avec la politique et dire que nous avons acheté des armes. S'appuyer sur un tel travail pour demander de confier la filière à une structure privée est le signe de la mauvaise foi. On ne peut pas confier le café et le cacao à quelqu'un qui ne les produit pas. Non ! Le désordre qu'ils veulent semer pourrait envoyer le chaos dans le pays. Nous ne pouvons pas admettre qu'on nous arrache ainsi violemment la filière pour la donner à des privés afin de la récupérer après. La dernière fois, on nous a envoyé une facture de trois milliards de francs devant servir à payer les experts.Pour quel travail?
Pour payer des experts européens qui doivent élaborer des réformes de la filière. Pour cela, il faut payer trois milliards. Nous avons même payé 300 millions. Et après, nous avons refusé de payer le reste parce que ce ne sont pas les experts qui nous manquent en Côte d'Ivoire. C'est le même combat qui continue.
Pendant que l'audit de l'Union européenne fait des vagues, le Fonds de développement et de promotion du café et du cacao (FDPCC) est dans la tourmente. Ma réaction face au problème du FDPCC est claire. Je ne peux pas admettre qu'il y ait un administrateur provisoire dans une structure de la filière café-cacao pour prendre l'argent des paysans. Cet administrateur n'a pas sa place dans la filière pour sa comptabilité. Donc, vous soutenez Henri Amouzou. Je le soutiens à fond. Je ne peux pas accepter qu'on humilie une personnalité de la trempe d'Henri Amouzou avec qui nous avons créé tout ce qui attire les gens aujourd'hui. Vous allez donc contre une décision de justice?
Je suis d'accord que c'est une décision de justice. Mais, je ne suis pas d'accord qu'on nous envoie un corps étranger dans la filière à payer à plus de cinq millions de francs par mois. Alors que c'est ce qu'on reproche à Amonzou. Ce qu'on refuse à un initiateur de la réforme ne doit pas être octroyé à un individu qui tombe comme ça dans la filière. Je ne serai jamais d'accord. Des deux côtés où l'on vous attaque, il est toujours question de gestion. Ne prêtez-vous pas le flanc au regard de vos trains de vie ?
Ecoutez, moi, je ne juge pas les sorties d'argent. Je ne juge pas ce que fait Amouzou. Je ne dis pas que tout ce qu'il fait est bon. Loin de là. Je dis que la manière n'est pas indiquée. Comment les reproches faits à Amouzou devaient être présentés?
Henri Amouzou est un élu d'une organisation privée de producteurs. C'est donc une assemblée de ces producteurs qui doit le destituer si on estime qu'il n'a pas bien travaillé. Et puis, les gens oublient aussi une chose. La gestion directe du FDPCC n'est pas le fait d'Henri Amouzou. Elle est du ressort du secrétaire exécutif qui fait office de directeur général. C'est lui qu'on doit juger à mon avis. Parce que c'est lui qui gère l'argent.
Peut-on s'attendre alors à une assemblée générale ces temps-ci?
Nous continuons de demander aux uns et aux autres de mettre balle à terre afin que nous organisions avec sérénité une assemblée générale extraordinaire. Et si la justice ne veut pas entendre les producteurs, qu'allez- vous faire?
Elle ne pourra pas agir ainsi. Elle ne peut pas nous obliger à accepter un administrateur provisoire. Ce n'est pas possible. Son rôle, c'est quoi ?
Gérer.
Gérer quoi ?
FPDCC. C'est un planteur ? C'est rigolo. Nous ne pouvons pas admettre ce genre de choses.

Et si c'était le souhait du Président Gbagbo qui croit en la justice?
Le Président Gbagbo peut être découragé par rapport aux remous dans la filière. Il nous a confié la filière en nous disant que l'argent n'aime pas le bruit. Mais c'est un homme courageux, sinon certains de ses proches lui disent de reprendre la filière. Il y a longtemps qu'on lui dit ça. Il refuse parce qu'il sait que nous traversons des moments difficiles. Et que ce n'est pas pour gâcher ce qui a été fait. Si Tapé Do gère mal et qu'il ne veut rien comprendre, si cela est avéré, c'est une autre histoire. Cela peut se passer entre nous producteurs et non au tribunal.

Mais ce sont des producteurs qui ont assigné Amouzou en justice.
Ce n'est pas leur rôle. Il est vrai qu'on peut se fâcher à un moment donné quand on n'est pas d'accord sur un sujet. On s'assoit pour se parler.

On vous reproche aussi d'être trop dépensiers.
C'est-à-dire ?

De vivre dans un luxe qui ne ressemble pas aux agriculteurs.
Non ! Ecoutez, les gens ne savent pas ce qu'ils disent. Moi, je suis le PCA de la BCC qui gère dix francs par kilo. Et d'ailleurs, ce n'est pas le PCA qui gère cet argent. Nous avons un directeur qui fait ce travail au quotidien.

Mais, sous votre contrôle.
Je ne gaspille pas de l'argent. Je suis né comme ça. Je suis un homme généreux, très sentimental

Qui aime le luxe.
Non, je n'aime pas le luxe. Si j'aimais le luxe, je serai toujours en costume. Regardez-moi. Je suis en pagne. Comme je suis très croyant, je n'aime pas voir mon prochain souffrir. Et si j'ai la possibilité d'aider les gens, je le fais sans hésiter. C'est tout.

Depuis la libéralisation de la filière, les producteurs en campagne ne se sont pas véritablement retrouvés au niveau des prix. Comment expliquez-vous cela?
Nous sommes dans un pays en guerre. Dans ce contexte, une partie des ressources est consacrée à la survie des institutions du pays. Parce que l'Etat prend l'initiative de gérer certaines situations. C'est pourquoi, nous versons à l'Etat, plus de 250 milliards par an comme impôts afin de faire fonctionner les institutions et que l'appareil administratif de notre pays ne s'arrête pas. Ceci se fait de façon légale parce que ce sont des impôts. Souvent, certains producteurs ne comprennent pas les choses ainsi. Nous attendons la fin de la crise pour demander à l'Etat de baisser son barème d'impôts vis-à-vis de la filière.

Pourquoi les prix que vous annoncez chaque fois ne sont-ils pas appliqués sur le terrain?
C'est juste une question d'organisation des producteurs.

Alors comment se fait-il que depuis plus de cinq ans, vous n'arrivez pas à les organiser?
La guerre a entraîné le désordre partout, même dans les campements.

Que comptez-vous faire pour les producteurs des zones sous contrôle des Forces nouvelles maintenant qu'on s'achemine vers la fin de la guerre?
Gbagbo et Soro sont en train de marcher vers la paix. Nous souhaitons vivement que leur marche soit sincère. Et les paysans de ces zones doivent dire merci à Dieu parce qu'ils seront libérés.

Que doivent-ils attendre concrètement des gérants de la filière que vous êtes?
Une fois la paix revenue, nous allons recenser les plantations détruites et donner les moyens aux planteurs pour relancer la production. Parce que nous perdons un tonnage important du plus beau café de la Côte d'Ivoire. Cela fait des trous importants dans les recettes de notre pays. Les paysans perdent aussi.

Alors pourquoi les structures de la filière sont-elles restées sans dire mot devant la commercialisation de ce plus de café par le canal des pays tels que le Burkina Faso et la Guinée?
Pour signifier une quelconque indignation, il faut pouvoir se rendre dans ces régions. Nous ne pouvons pas parler sans savoir ce qui s'y passe réellement. La seule chose qui nous restait était d'encourager les acteurs de la crise à s'entendre pour que notre pays soit réunifié.

Un autre problème de la filière concerne la non stabilisation interne des prix aux producteurs pour laquelle un fonds de garantie a été créé. Comment l'expliquez-vous?
Vous devez retenir ceci. La commercialisation a été libéralisée. En principe n'importe qui peut acheter le produit en Côte d'Ivoire. Nous avons créé une structure pour nous permettre de travailler dans ce contexte. Nous avons voulu en créant le Fonds de régulation de commercialisation (FRC) économiser pendant cinq ans plus de dix mille milliards de francs pour pouvoir acheter nous-mêmes nos produits en passant par les magasins généraux. Parce qu'il faut contrôler le stock. Cela pour empêcher les pertes liées au fait que les prix grimpent quand le produit se trouve dans les magasins des exportateurs. Et les gens nous embêtent pour cela.

A qui faites-vous allusion?
Ce sont les multinationales telles que Cargill ou ADM. Pourtant, ce sont elles qui constituent l'Union européenne. Ces multinationales opèrent avec nous sur le terrain. Elles connaissent nos faiblesses. Elles l'exploitent à travers l'Union européenne. Simplement parce qu'elles veulent contrôler la filière. Je vous dis que ce combat sera dur.

Qu'est-ce qui n'a pas marché avec le FRC?
Le FRC était logé à la BCC. Pour une question de transparence, le ministre Alphonse Douati l'a retiré par une ordonnance. Nous n'étions pas d'accord à l'époque parce que c'est une économie forcée qui devait nous permettre d'acheter 1,2 million de tonnes afin de les revendre nous-mêmes et de reconstituer un nouveau fonds. La suite des choses nous a donné raison parce qu'on a vu que ce sont les exportateurs qui ont bénéficié du soutien grâce à ce fonds et non les producteurs. Alors pourquoi continuez-vous de cotiser pour le FRC?
Il n'a qu'un franc par kilo. Ce qui donne un milliard de francs.
C'est beaucoup tout de même pour une structure dont vous ne bénéficiez pas des activités. Le FRC a des employés à payer. Surtout il avalise les coopératives auprès des banques. Sans cela, ces coopératives ne vont pas fonctionner. Il a des usines partout dans le pays. Les retombées de ces activités vont lui permettre, plus tard, de fonctionner de façon autonome. Quand les magasins généraux que vous lancez maintenant seront-ils fonctionnels?
De façon physique, ces magasins existent déjà. Il s'agit des infrastructures gérées par Sifca-Coop. Il ne reste plus qu'à mettre en place une organisation pratique de fonctionnement. Donc cela va démarrer incessamment.

Interview réalisée par
Doua Gouly

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