vendredi 25 mai 2007 par Fraternité Matin

L'avénement de la vidéo et du DVD, l'arrivée de nouvelles chaînes de télévision étrangères,... ont conduit à la fermeture de nombreuses salles cinématographiques. Point n'est besoin d'être un féru de l'art cinématographique pour faire ce constat à la fois triste et amer: le cinéma en Côte d'Ivoire, à l'instar de celui de nombreux pays de la sous-région, a perdu de sa superbe. On dira plus nettement qu'il est mourant! Il suffit simplement de dénombrer les salles de cinéma encore fonctionnelles et leur affluence pour s'en convaincre. D'une soixante (toutes catégories confondues), dans les années 80, le nombre de salles a progressivement chuté depuis 1990. Mais la catastrophe est survenue en 2003, au plus fort de la crise sociopolitique qu'a traversée la Côte d'Ivoire, avec son corollaire de couvre-feu, de climat d'insécurité et qui s'est traduite par la fermeture de plusieurs salles. Notamment le plus grand complexe cinématographique de la sous-région: Le cinéma Les Studios composé de 5 salles. Suivra au cours de la même année, la fermeture des 2 salles du Cinéma Le Paris. Sans oublier Le Capitole à Bouaké. M. David Rodier Gnohouéhi, distributeur, exploitant de cinéma et gérant de la salle du Cinéma Ivoire de l'Hôtel Ivoire, relève également d'autres raisons ayant conduit à la fermeture de certaines salles. La gestion et l'exploitation des salles étaient devenues intenables pour les propriétaires ou exploitants, surtout à cause du coût d'acquisition ou de location des films et du coût d'entretien des salles (matériel de projection, sièges, toilettes, etc.) . Il note, en outre, la percée de la vidéo et du DVD (qui a entraîné l'effet des Home Vidéo), le changement de l'espace audiovisuel avec l'arrivée de nouvelles chaînes de télévision étrangères et l'absence d'une véritable politique de soutien ou d'aide à la création et à la restauration des principales salles. Dans ces conditions, a-t-il ajouté, L'arrivée fulgurante de certaines religions en quête de lieux adéquats de culte a été un salut pour certains propriétaires ou exploitants de salles en proie à d'énormes difficultés. Les responsables de ces religions ont fait des propositions très alléchantes aux propriétaires de certaines salles qui n'ont pu résister?. On notera que certaines salles (nous citerons pêle-mêle, le Cinéma Liberté des 220 logements dans la commune d'Adjamé) ont été ainsi transformées en lieux de culte.
Aujourd'hui, il ne reste plus que quelques salles dont les plus en vue sont les Cinémas de l'Hôtel Ivoire (550 places), Primavera de la Galerie Prima Center (250 places) et La Fontaine du Centre commercial SOCOCE Deux-Plateaux (218 places).
Cependant, malgré leur nombre réduit, l'affluence dans ces salles laisse à désirer. M. David Rodier Gnohouéhi fait remarquer que par le passé, le Cinéma Ivoire, considéré comme le pivot de lancement des films dans la sous-région, pouvait réaliser en moyenne, un chiffre d'affaires de 16 millions de francs CFA par mois, Les Studios, 34 millions de francs CFA et Le Paris, 8 millions de francs CFA. Les sociétés de distribution de films d'alors qui nous employaient, pouvaient ainsi largement faire face à l'ensemble de leurs charges (droits d'acquisition de films, impôts, loyers, salaires, etc.) et dégager des bénéfices considérables. Je ne veux même pas parler des recettes de certains films notamment: Liaison fatale, Titanic, Basic instinct, Le Roi lion, E.T, Bouka, Bal poussière et, récemment, La Passion du Christ, Caramel, etc. qui se plaçaient au dessus du lot?. La situation, en l'état actuel des choses, soutient-il, est plus que pénible. J'ignore les recettes des autres salles encore en exploitation, mais à notre niveau, nous réalisons à peine le 10ème du chiffre d'affaires moyen d'alors. Malgré tout, je continue d'espérer parce que je sais que le public aime toujours le cinéma et de plus en plus les films africains et notamment ivoiriens. C'est pourquoi, très souvent, et cela à mon corps défendant, il m'arrive de projeter des films dont la qualité, du fait de l'inexpérience de certains réalisateurs et des moyens techniques utilisés, laisse à désirer. Avons-nous le choix entre sombrer définitivement et résister par tous les moyens??
Affirmer dans ces conditions que la survie de l'activité cinématographique en Côte d'Ivoire ne tient en réalité qu'à la volonté et à la foi en des lendemains meilleurs de ces quelques propriétaires ou exploitants de salles et réalisateurs, ne peut paraître exagéré.
Mayane Yapo
Focus : La culture de cinéma. Aider le 7e art ivoirien à sortir de sa léthargie, en redonnant l'envie aux populations de découvrir ou redécouvrir les émotions provenant du grand écran grâce aux films d'ici et d'ailleurs. Voici la noble mission que s'est assignée le ministère de la Culture et de la Francophonie à travers l'organisation de la deuxième édition de la quinzaine des cinémas du monde?, dont le premier coup de clap a été donné mardi dernier. Le ministre Kouadio Komoé dans son message, a formé le v?u que cette biennale, dont le thème est cinéma et paix?, permette de jeter les bases de l'installation progressive d'une véritable culture du cinéma en Côte d'Ivoire. La direction de la francophonie et de la coopération culturelle, maître d'oeuvre de ce festival, qui pour l'occasion a bénéficié de l'appui du ministère des Affaires Etrangères et d'ambassades accréditées en Côte d'Ivoire, entend saturer, et ce jusqu'au 26 mai prochain, le public d'?uvres cinématographiques. Plus d'une cinquantaine de films, provenant de Côte d'Ivoire et de douze autres pays d'Afrique, d'Europe, d'Amérique et d'Asie seront projetés pendant toute cette période au Palais de la Culture, au Goethe Institut, dans certaines communes ainsi que dans des établissements secondaires. Un engouement réel a pu être constaté dès le premier jour des projections. Ainsi au Palais de la Culture mercredi, à la faveur de la journée jeunesse, les enfants venus en très grand nombre des différentes communes d'Abidjan, ont pu suivre des films pour tout-petits et adolescents. Même son de cloche au Goethe Institut où des élèves ont pris d'assaut la salle de projection pour suivre le film allemand Yes I am?, en présence du réalisateur Sven Halfar, qui a effectué le voyage d'Abidjan pour la quinzaine des cinémas du monde?. Dans l'optique de mettre en lumière le caractère international de l'évènement, un pays sera à l'affiche pendant une journée, afin de faire découvrir la richesse de sa culture, à travers des ?uvres cinématographiques. Moments de brassages et d'échanges culturels par excellence, ce festival entend non seulement servir de levier au 7ème art, mais aussi accompagner le processus de réconciliation, d'où la thématique du cinéma comme vecteur de paix. La présence massive du public, bien que souhaitée pendant les projections est aussi attendue pendant les ateliers, conférences et tables rondes. Ces travaux de réflexion représentent le second volet de ce festival qui a pour mission non seulement de reconquérir les cinéphiles, mais aussi d'aider à remettre en selle toute l'industrie cinématographique ivoirienne qui se trouve dans un état de déliquescence avancé.
Hervé Koutouan
Option : Qu'en reste-t-il ?
Les Studios, Le Paris, Ivoire, Le Plazza, Entente, El Mansour, Roxy, Saguidiba, etc. Que reste-t-il de nos salles de cinéma? Rien que des souvenirs. Des souvenirs d'une époque. Une belle époque où la production cinématographique ivoirienne était, elle aussi, à son apogée. Aiguisant l'appétit des cinéphiles locaux, au même titre que les productions venant d'ailleurs. D'Amérique et d'Asie, notamment. Quel que fût leur goût (films d'action, western, chinois, hindou ou autres), les amateurs du 7ème art savaient où aller pour étancher leur soif d'aventure, de découverte, leur besoin de détente, de retrouvailles. Qu'elles fussent de grande classe ou populaires, les salles de cinéma ont longtemps animé et rythmé le quotidien des Abidjanais. Des noms de salles mythiques frappant l'imaginaire collectif par leur côté chic ou suscitant les fantasmes les plus saugrenus du fait des folles rumeurs que drainait leur réputation lugubre. Les salles de cinéma, de Treichville à Yopougon, en passant par Adjamé, Plateau et Cocody, ont contribué à la ?dolce vita' d'Abidjan la belle, la Manhattan de l'Afrique de l'Ouest que fut jadis la capitale de la Côte d'Ivoire: resplendissante et triomphante. Belle, douce et agréable. Où des espaces de jeu existaient à la pelle pour les enfants. Où les jeunes savaient où se retrouver pour se divertir sainement. Où la violence pouvait facilement être canalisée par une organisation sociale bien structurée. Où les repères familiaux étaient encore bien en place. Où les parents jouaient leur rôle éducatif et où les enfants savaient rester à leur place. En un mot, chaque chose était à sa place et tout était bien en place. C'était il y a longtemps. Au temps du miracle, devenu mirage ivoirien. Au temps de papa. Au temps de l'Etat providence. Au temps du sans souci.

Par Michèle Pépé

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