mercredi 23 mai 2007 par Fraternité Matin

Depuis que la Côte d'Ivoire s'arc-boute à "son" poste de gouverneur de la Banque, que d'autres partenaires veulent lui arracher, certains jusqu'au-boutistes n'hésitent pas à envisager l'éclatement de l'Union monétaire. Les conseillers à qui le Président Wade avait demandé de lui présenter les scénarios possibles de la conséquence du retrait de la Côte d'Ivoire, ne lui ont laissé aucune illusion sur la viabilité de la monnaie ainsi amputée.
Le Président de la République avait commandité une étude sur la situation de la zone monétaire Uemoa, dans une hypothèse de retrait de la Côte d'Ivoire. L'un des experts qui ont travaillé sur la question, le professeur d'université Moustapha Kassé, a expliqué, le mardi dernier (15 mai, ndlr), que les résultats de l'étude desservent les pays de la zone monétaire. Si la Côte d'Ivoire décidait de se retirer de la Bceao, il n'est pas certain, en l'état actuel de la situation économique des sept pays restants, qu'ils puissent établir une banque qui ait la vigueur de la Banque centrale des Etats de l'Afrique de l'Ouest, telle qu'on la connaît actuellement. Le Pr Kassé a indiqué que la majorité des avoirs de la Bceao, à savoir environ 1900 milliards des 3500 milliards de francs Cfa de réserve de devises de la banque, proviennent de la Côte d'Ivoire. Or, en cas de séparation, chacun reprend ce qui lui appartient.? Ce qui ne laisse plus grand-chose au groupe restant. D'ailleurs, le Sénégal, qui est parmi les mieux lotis, ne possède que 700 milliards des avoirs de la Bceao. Est-ce suffisant pour créer une banque??, interroge le Pr Kassé. L'ancien doyen de la Faculté des Sciences économiques et de gestion (Faseg) de l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad), s'exprimait le mardi dernier, à la Résidence hôtelière Le Ndiambour, lors d'un séminaire sur l'évaluation de l'étude prospective Sénégal 2025?. L'universitaire a voulu, en donnant l'exemple de la Bceao, démontrer le fait que le Sénégal, par ses élites et par sa classe dirigeante, est incapable, dans les conditions actuelles, d'avoir une politique monétaire indépendante?. Ce débat a été remis au goût du jour, comme l'a précisé le Pr Kassé, par la volonté exprimée par les dirigeants ivoiriens, de voir un de leurs ressortissants occuper le poste de gouverneur de la Bceao, à la suite du gouverneur sortant, Charles Konan Banny. Avant même l'hebdomadaire international Jeune Afrique, de nombreux organes avaient fait état de la volonté de dirigeants ivoiriens, dont le président de l'Assemblée nationale, Mamadou Koulibaly, de voir la Côte d'Ivoire sortir du Franc Cfa pour créer sa monnaie propre, en cas de divergences avec ses partenaires. Il est vrai que si la Côte d'Ivoire est le partenaire le plus riche de l'Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa), elle est également l'un des plus endettés. Depuis le déclenchement de la crise politico-militaire qui a coupé le pays en deux, le gouvernement du Président Laurent Gbagbo, invoquant la situation du pays, a cessé de verser sa contribution aux différents organes de la banque. Si elle veut se retirer, elle ne pourrait le faire qu'après s'être acquittée de tous ses engagements et avoir régularisé sa situation. Mais, comme le dit un fonctionnaire togolais de la Bceao, il n'est de l'intérêt de personne, de pousser les Ivoiriens à se retirer de l'institution communautaire. Si les gens mettent en avant le devenir de la banque et son renforcement, ils ne vont pas chercher à radicaliser la position des Ivoiriens, d'autant que même les rebelles n'imaginent pas que la direction de la Bceao puisse revenir à un non-Ivoirien. Qu'on le veuille ou pas, si la Côte d'Ivoire devait se retirer de l'Uemoa, la zone perdrait beaucoup de sa force et le processus d'intégration des pays de la Cedeao serait fortement retardé.? Dévaluation
En plus de permettre à ses membres de bénéficier d'une monnaie forte, la Bceao a l'avantage inestimable de permettre à certains Etats particulièrement dépensiers, de bénéficier de la mutualisation des résultats que permet le compte d'opération communautaire. La solidarité de la banque qui traite tous ses membres en un compte unique, permet à certains de faire des dépassements budgétaires ou de se payer des déficits quasi illimités dans leur gestion.
L'agent de la Bceao ajoute même par ailleurs que si la Côte d'Ivoire devait quitter la banque aujourd'hui, une autre dévaluation deviendrait absolument inévitable?, parce que les économies restant ne sont pas assez fortes pour supporter la monnaie commune à son taux actuel. Le Pr Kassé, pour sa part, indique que seule la présence d'un pays comme le Ghana aurait pu contrebalancer la prédominance de la Côte d'Ivoire dans la Bceao.
Malheureusement, au moment où le Ghana se préparait pour demander à intégrer la zone, il y a eu la dévaluation du franc Cfa. Cela les a refroidis, et ils ont préféré se préparer de leur côté, pour créer une autre zone monétaire avec le Nigeria et d'autres pays.? Tout le débat sur la sortie éventuelle de la Côte d'Ivoire de la Bceao et, éventuellement, de l'Uemoa, se pose depuis que le gouverneur Charles Konan Banny a fait comprendre aux dirigeants de la zone qu'il ne souhaiterait pas retrouver le poste qu'il avait confié, provisoirement, à son adjoint Damo Justin Barro. Alors que les dirigeants ivoiriens font clairement entendre qu'ils ne pourraient accepter, pour lui succéder à ce poste, qu'un autre Ivoirien. D'autres, comme le Président Abdoulaye Wade, voudraient faire jouer le principe de la rotation.

Mohamed Gueye
Journal sénégalais "Le Quotidien" dans son édition du 19 mai 2007

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